La finance publique sous une économie créditiste

Louis Even le samedi, 01 janvier 1944. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

Budget de réalités

Sous le régime actuel, les gouvernements portent deux questions en tête lorsqu'ils préparent leur budget annuel :

    1. Qu'est-ce que le pays veut ?

    2. Qu'est-ce que le pays peut payer ?

C'est même par la deuxième question qu'ils com­mencent ; et avant d'établir une liste des crédits à voter, des dépenses publiques à autoriser, ils cherchent d'abord quelles sommes ils peuvent tirer du public par les taxes.

Et en répartissant les appropriations pour les di­vers services, octrois et travaux publics, ils s'effor­cent de ne pas dépasser le chiffre des recettes. Ils veulent équilibrer leur budget.

Un régime créditiste procède d'une tout autre façon.

Pour établir un budget des crédits à voter, un gouvernement créditiste se pose deux questions :

    1. Qu'est-ce que le pays veut ?

    2. Qu'est-ce que le pays peut fournir ?

Fournir, non en argent, mais en hommes, ma­chines et matériel, pour les services et les travaux qu'il demande.

Quelles sont les possibilités réelles du pays ? De quels bras, de quel matériel, le pays peut-il se passer dans la production de nourriture, de vête­ments, de logements, pour produire, à la place, des routes, des ponts, des améliorations publiques ?

Prenons un exemple. La province veut une rou­te de 100 milles de longueur, sur 66 pieds de lar­geur. Si elle veut cette route, il faut évidemment qu'elle consente à ce que des hommes, des machi­nes, du matériel soient employés à la construction de la route.

Les hommes qui travailleront sur la route ne feront ni nourriture ni vêtements. Il faudra donc que les autres fassent assez de nourriture et de vê­tements, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour les travailleurs de la route.

Le problème est un problème de capacité de pro­duction. Si la province peut, sans mettre à mal la production pour les besoins privés, détourner de cette production des hommes et du matériel pour faire une route, rien ne s'oppose à la construction de la route demandée. Il n'y a qu'à l'entreprendre.

Si, au contraire, le public ne veut pas tomber au-dessous d'un certain niveau de vie et que, pour maintenir ce niveau de vie, il requiert les énergies productrices qu'il faudrait détourner pour avoir la route, il est inutile de songer à faire la route. On ne peut faire deux choses à la fois, lorsqu'on n'a de bras et de machines que pour une chose.

C'est au peuple à exprimer son choix par ses re­présentants attitrés, tant que son choix est dans les limites des choses physiquement possibles. L'ar­gent n'a rien, absolument rien, à voir là-dedans ; la volonté du banquier ou d'un dictateur quelconque, encore moins.

Sous une économie créditiste, il peut y avoir des problèmes de possibilités réelles, des problèmes d'hommes et de matériel ; mais jamais de problème d'argent, parce que l'argent doit venir d'après les réalités et disparaître avec elles. S'il n'en est pas ainsi, c'est parce que l'argent est désordonné.

Aussi, le budget créditiste procède-t-il simple­ment à faire la hiérarchie des services publics de­mandés et possibles, sans s'occuper des taxes. Les dépenses n'ont rien à faire avec les taxes.

Ensuite, il prévoira ce qu'il faut retirer par les taxes, non pas pour équilibrer les dépenses, mais pour enlever les excédents possibles d'argent. Les taxes n'ont rien à faire avec les dépenses.

Un Budget créditiste

Nous sommes en 1955 et sous un régime crédi­tiste. Pour simplifier disons que la province est un État souverain — ce qui serait tout à fait confor­me à l'ordre.

Les statistiques de l'Office du Crédit National montrent, pour l'année écoulée, une augmentation de biens capital (usines, etc.), une production de biens de consommation, (nourriture, vêtements, etc.), et une entrée de produits par importations, le tout se totalisant à 2,200 millions. Soit une ac­quisition totale de richesses réelles de 2,200 mil­lions.

D'autre part, les statistiques montrent une usure de biens de capital, une consommation de produits, et une sortie de produits, par exportations, en tout de 1,950 millions. Soit une diminution de ri­chesses de 1,950 millions.

La différence, 250 millions, exprime un enrichis­sement net. Une augmentation de richesse qui va servir de base à une augmentation de pouvoir d'a­chat, parce que, sous un régime créditiste, on ne veut plus représenter de l'enrichissement par une dette.

Et nous procédons au budget. D'abord, le vote des crédits.

La première chose qu'un parlement créditiste va demander, c'est l'assurance du minimum vital à tous et à chacun des citoyens. Pour tous et chacun, comme dit le Pape, l'assurance d'une part des biens de la nature et de l'industrie du pays, au moins suffisamment pour permettre une honnête subsistance.

On s'est déjà entendu les années précédentes sur la garantie d'un minimum vital de $10.00 par mois à chaque citoyen. Cela ne doit pas être exagéré, puisque, sous le régime de rareté de Mackenzie King, l'expert Marsh parlait de $9.00 par enfant par mois.

Pour les trois millions et tiers de la province de Québec, cela fait 400 millions pour toute l'année. Ce sera évidemment le plus gros item du budget, car c'est lui qui touche à plus de monde.

Puis viennent les services publics essentiels : depuis la paie du premier-ministre à celle du plus humble fonctionnaire. Il faut bien fournir le moyen de vivre à ceux qui travaillent pour la Province. Situons ce deuxième item à 40 millions. Il ne de­mandera pas plus d'hésitation que le premier.

Puis, les allocations spéciales — maladies, vieil­lesse, etc. Ce sera bien comme l'année précédente à peu près. Marquons-les à 50 millions.

Disons que l'instruction publique est habituée à une dizaine de millions, l'aide à la colonisation 20 millions, et à l'agriculture 10 millions.

Puis, viennent les projets de voirie et de travaux publics. Là, le débat est plus prolongé. Il s'agit de savoir, comme on l'a expliqué ci-dessus, si ce qui va être enlevé de capacité de production à des ser­vices privés, en faveur d'améliorations publiques, est ou n'est pas conforme à la volonté prépondé­rante du peuple. Par comparaison avec l'année der­nière, en tenant compte des observations reçues de leurs électeurs, et aussi en considérant l'expan­sion de 250 millions relevés par la statistique, nos députés finissent par convenir d'une affectation de 70 millions aux travaux publics de toutes sortes.

Pour abréger, passons une foule de détails, et di­sons que le budget des dépenses votées se monte à 600 millions.

Vu que le parlement souverain a repris le con­trôle de toute émission de crédit-argent, ces 600 millions seront soldés simplement par des émissions de crédit, tout le long de l'année, à mesure qu'il faut des chèques pour les dividendes, les services, les octrois et les travaux.

Retraits par taxes

Ce sera une émission totale de 600 millions au cours de l'année. Or, la statistique des faits de la production et de la consommation à démontré que, pour maintenir l'équilibre, une expansion de 250 millions seulement est justifiée.

Si l'on émet 600 millions au lieu de 250, c'est 350 de trop. Il faudra donc que le Parlement, res­ponsable et souverain pour le rappel comme pour l'émission de tout crédit-monnaie, ordonne le re­trait de 350 millions de la circulation, tout au long de l'année.

Comment le fera-t-il ? En votant ce qu'on appel­le aujourd'hui taxes, et qui serait plutôt un prélè­vement circulatoire, pour assainir la circulation de l'argent dans le corps économique.

Où ira-t-on chercher cet argent ? Comme dans le passé, là où il abonde et menace de s'accumuler dangereusement. L'expertise fiscale consistera à s'arrêter à un mode très simple de prélèvement, qui ne fasse que du bien au corps économique, en le décancérisant d'excroissances dangereuses, et non pas en saignant des parties vitales.

Le chiffre de 600 millions paraît très élevé. Il faut se rappeler que le 400 millions du dividende national n'est pas une dépense pour des travaux publics, mais une distribution essentielle d'une partie de la production des biens ordinaires. C'est le cinquième de la production totale rivé à la satis­faction des premiers besoins des citoyens.

Cette distribution privilégiée par les dividendes établit une hiérarchie dans les fins du système éco­nomique. Si le système existe pour satisfaire les be­soins temporels des hommes, les premiers besoins doivent être les premiers servis. Ce droit garanti de tous sur la première tranche de la production empêche les activités économiques de s'évader trop vite vers des excentricités et des aventures internationales. Puis, s'il existe telle chose que la société, est-ce que les nécessités de tous les membres de cet­te société ne doivent pas être satisfaites avant que certains secteurs se lancent dans la consommation ou le gaspillage des surplus ?

Le dividende opère aussi comme un moteur dans la circulation ; il fait aller le sang économique à tou­tes les ramifications du corps économique. Le corps tout entier s'en portera mieux.

Le retrait de 350 millions peut aussi paraître élevé. Pourtant, il ne doit pas faire bien mal, puis­qu'on retire 350 d'une circulation où l'on jette 600. De plus, remarquons qu'en 1943, sous le vieux ré­gime, par l'intermédiaire de la pompe centrale d'Ottawa, on aura retiré de notre seule province plus de deux fois cette somme pour des cadeaux à l'étranger et pour financer la destruction d'hommes et de choses.

D'ailleurs, nous avons employé des chiffres ar­bitraires. Ce qu'il convient de remarquer, c'est l'esprit qui préside à ce budget créditiste. Ce que le pays désire et peut faire en fait de choses publiques, comme en fait de choses privées, il le fait, sans s'oc­cuper du problème de financement. Il n'y a pas de problèmes de financement. La finance naît, à me­sure des besoins. Et pour que cette finance reste saine, la même autorité retire ce qu'il faut, à me­sure des excédents.

Les dépenses sont conditionnées uniquement par les demandes du public, dans les limites des possibilités physiques d'exécution. Les taxes sont conditionnées uniquement par l'hygiène de la cir­culation monétaire.

On est en droit de prévoir généralement un dé­veloppement continuel de la richesse du pays, par l'augmentation de la population, des machines et l'application de la science aux moyens de produc­tion. On est dans un monde progressif. Il y aurait donc toujours plus d'émissions que de retraits.

(Voir aussi quelques questions sur le budget en page 6.)

Louis EVEN

D'un prêtre du Nouveau-Brunswick :

"Mes félicitations sur toute la ligne de vos activi­tés, mais surtout lorsque vous videz les mots du sens croche et trompeur dont les politiciens les ont bour­rés et fourbis".    (G. P., ptre)

Louis Even

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