Hommes d'hier et hommes de demain

Maître J.-Ernest Grégoire le lundi, 15 mars 1943. Dans La vie créditiste

Distinction

Les hommes d'hier ne sont pas nécessairement vieux, et les hommes de demain ne sont pas néces­sairement jeunes.

Un jeune homme qui pense en termes de l'étalon-or, en termes d'embauchage intégral, en termes de droit de vivre soumis à l'emploi, est un homme d'hier, même s'il est frais émoulu de l'université.

Par contre, un homme qui relègue le non-sens financier au royaume des loups-garous, qui mesure le droit de vivre à l'existence d'une production abondante, qui admet les loisirs lorsque la machine travaille pour l'homme, celui-là, eût-il soixante ans, est un homme de demain.

L'homme d'hier se croit encore à l'ère de la force musculaire, du bœuf et du moulin à vent.

L'homme de demain a reconnu la vapeur, l'élec­tricité, le pétrole, et il salue l'avènement prochain de l'énergie solaire directe.

Pour l'homme d'hier, le progrès pose des pro­blèmes insolubles sans l'enrégimentation, la caser­ne, la socialisation.

Pour l'homme de demain, le progrès fait l'hom­me libre, permet la culture, dématérialise la vie.

La pierre de touche de l'homme d'hier, c'est qu'il croit, dur comme roche, qu'un homme ne serait plus un homme, s'il mangeait un morceau de pain sans produire du travail vendable.

La pierre de touche de l'homme de demain, c'est d'admettre que la production, toute production qui correspond à des besoins, doit aller aux consomma­teurs pour qui elle est faite, quelle que soit l'ori­gine de cette production, même si elle naissait sans coûter à personne plus de travail qu'un rayon du beau soleil de Dieu.

Les socialistes sont des hommes d'hier. Ils ne rêvent que de trouver de l'emploi pour tous et de répartir moins inégalement la rareté. Les socialis­tes, comme tous les hommes d'hier, sont des hom­mes de rareté.

Les créditistes sont des hommes de demain. Au salaire qui disparaît quand la production se méca­nise, ils ajoutent ou substituent le dividende pour tirer sur la production de la machine. Les crédi­tistes ne rationnent pas  : ils ont vu l'abondance et offrent la clef à tous pour puiser à cette abondance. Les hommes de demain sont des hommes de l'âge d'abondance.

À qui les faveurs  ?

Le sort de l'homme d'hier, c'est d'être tout à fait acceptable aux puissances qui tiennent le monde dans le creux de leurs mains. C'est que la philoso­phie de l'homme d'hier et la philosophie des ex­ploiteurs d'hommes conduisent à un point com­mun  : l'être humain attelé, l'être humain mené, l'être humain placé dans l'alternative d'abdiquer sa liberté ou de crever de faim.

Le sort de l'homme de demain, c'est d'être ex­communié par les puissances d'argent et par les pouvoirs bon gré ou mal gré subalternes des puis­sances d'argent. C'est que la philosophie de l'hom­me de demain libère la personne humaine  : elle veut un homme libre d'organiser lui-même sa pro­pre vie, profitant des avantages de la société et du progrès, enrichissant d'ailleurs la société en don­nant sa pleine valeur autrement que sous le har­nais des enrégimenteurs d'hommes.

Roosevelt, Churchill, sont des hommes d'hier. Des hommes d'emplois pour tous au sortir de cette guerre comme pendant cette guerre. Leur charte est acclamée, leurs portraits remplissent journaux et revues, ils vont sans doute avoir leurs statues avant de mourir.

Le vice-président Wallace (aux États-Unis) est presque un homme de demain  : quelle publicité donne-t-on à ses discours  ?

Le secrétaire Cordell Hull est un homme d'hier  : ses déclarations sont reproduites jusqu'à la derniè­re ligne.

Sir William Beveridge est un homme d'hier. Tou­te la presse lui est acquise.

C.-H. Douglas est un homme de demain. Toute la presse boycotte son nom et ses œuvres.

N'a-t-on pas vu, dans notre propre province, des salles paroissiales accordées aux C. C. F., qui res­tent des hommes d'hier, et refusées aux Créditistes, véritables hommes de demain  ?

Par qui l'ordre nouveau  ?

Tout le monde parle d'ordre nouveau. Mais on peut s'attendre à ce que les profiteurs de l'ordre ancien ne permettront point si facilement l'établis­sement d'un ordre nouveau qui ne respecterait pas leur pouvoir. Ils accepteront un changement de formule, mais non un changement de substance. Et comme ils possèdent des moyens, ils veillent sur leur grain.

Aussi assistons-nous à la préparation de l'ordre de demain par des hommes d'hier. Il ne manque pas de spectateurs pour s'y méprendre et bénir cette fumisterie.

Le meilleur moyen de faire obstruction à une ré­forme réelle, c'est de promouvoir une réforme ap­parente et de lui faire beaucoup de publicité. Les lâches s'en contenteront  : C'est mieux que rien, diront-ils. Les conciliants l'appuieront  : Il faut procéder par paliers. Des moralistes la soutien­dront  : Il ne faut pas être trop radical. La clique cachée, elle, enregistrera une victoire  : une centra­lisation de plus, comme prix d'un morceau de pain de plus.

Suivez les débats d'Ottawa. Lisez les discours prononcés autour du comité de restauration et de rétablissement, puis autour du comité de sécurité sociale. Vous verrez la pléiade d'hommes d'hier parler sérieusement de la confection de l'ordre de demain.

Ils cherchent les moyens de vivre mieux qu'hier, tout en subissant le système financier d'hier. Le système financier étant centralisateur par excellen­ce et disposant de moyens brutaux pour atteindre sa fin, on devine à quoi l'on peut s'attendre.

Le premier-ministre, Mackenzie King, est un homme d'hier. Le discours du trône renferme la pierre de touche  : "du travail pour tous après la guerre". Après de belles phrases sur la fonction so­ciale de l'industrie, prononcées le 3 mars, vous l'en­tendez demander de trouver des mesures, non pas pour empêcher les crises financières, mais pour en atténuer les effets.

Mais qu'est-ce donc qu'une crise financière  ?

Hommes d'hier, ces ministres et députés qui croient les crises financières de la même nature et aussi inévitables que des crises de soleil, de neige, de vent ou de pluie.

Hommes d'hier, les C. C. F., comme MacInnis. Tout en relevant l'absurdité d'un régime dans le­quel on vit mieux lorsque 1,600,000 Canadiens sont employés à la guerre que lorsque ces mêmes hom­mes et jeunes gens sont disponibles pour la produc­tion utile (discours du 25 février), M. MacInnis nous dira, le 3 mars, que si des hommes sont dé­pourvus des richesses de ce monde, c'est qu'ils n'ont pas su économiser.

Économiser quoi  ? De l'argent sans doute. Ils auraient donc dû se priver de toucher à la produc­tion, la laisser s'entasser et hâter le chômage  ! Où mène la mentalité d'hier chez des gens qui veulent pourtant une réforme  ? Radicaux pour déraciner la propriété privée, mais pas radicaux du tout vis-à-vis de règlements qui conduisent à l'enrégimenta­tion du bétail humain.

Homme d'hier, Gordon Graydon, chef de l'oppo­sition à Ottawa  : "Assurer du travail et un salaire à nos gens, c'est le premier objectif que nous de­vons viser." (3 mars). Aussi ne faut-il pas s'éton­ner de l'entendre demander la visite de Sir Be­veridge au comité canadien de sécurité sociale lors­que cet économiste à plans viendra en Amérique.

Seuls quelques orateurs créditistes à Ottawa se sont montrés hommes de demain.

Dans notre province

Et en Nouvelle-France ? Sociologues et politi­ciens n'y parlent-ils pas aussi d'ordre nouveau ? Mais qui, en dehors des cadres créditistes, a le cou­rage, la vision de proposer un monde délié des res­trictions de la finance ; un monde dans lequel l'hom­me puisse vivre sans être par règlement une bête à production ?

Sans doute qu'il s'en lève pour réclamer que cet animal soit mieux traité, mieux nourri, mieux logé — mais toujours à condition qu'il soit occupé à quelque chose de vendable.

Civilisation mercantile. Civilisation de soumission du consommateur au producteur et, par le producteur, au financier.

Les plus hardis, toujours en dehors des créditis­tes, parlent de nationalisation, d'embauchage à des travaux publics.

Mais l'homme libre ? L'homme que la machine remplace pour la production matérielle et libère pour les activités créatrices de son propre choix — qui ose croire que cet homme-là puisse exister et ne pas se damner ? Qui, sinon les créditistes, hom­mes de demain ?

Les quelque 80 législateurs actuellement en ses­sion à Québec posent, discutent, concluent, dans les chaînes d'hier. Hommes d'hier, depuis le pre­mier-ministre jusqu'à la plus carpe, de ses députés. Parfaitement inoffensifs pour ceux qui sont deve­nus les "maîtres de nos vies" et contrôlent notre droit de respirer.

Ceux qui passèrent de 1936 à 1939, et qui ai­ment tant à chanter sur toutes les octaves qu'ils ont donné du travail et du pain à la province, n'ont-ils pas limité leur pain aux permissions de la finance, au lieu de le jauger à la production qui s'offrait  ? Et l'on ne voit pas, dans leurs plus récen­tes déclarations, qu'ils aient rien quitté de l'hom­me d'hier et rien acquis de l'homme de demain.

L'autre groupe qui se lève, avec un programme de réformes, sera-t-il fait d'hommes d'hier ou d'hommes de demain ?

Les puissances d'argent sauront, dans tous les groupes, barrer la route aux hommes de demain, et n'admettre à la préparation de demain que des hommes rétrécis par les idées économiques d'hier. La rouille ou le vernis politique importent peu, pourvu que ce soit des hommes d'hier !

C'est pourquoi il faut opposer une autre vigi­lance et une autre pression à la vigilance et à la pression des financiers.

C'est pourquoi ceux qui veulent qu'en notre pays, demain soit préparé par des hommes de de­main, doivent forcer les hommes publics, soit à se dékyster de leur mentalité périmée d'hier, soit à prendre leur retraite.

Les centaines de mille électeurs et électrices, éclairés et formés par Vers Demain, ne peuvent consentir à confier leur destinée à des hommes d'hier. C'est pourquoi ils s'organisent. C'est pour­quoi l'Union des Électeurs examine les hommes qui brandissent des programmes ou sollicitent des mandats, quelle que soit leur allégeance politique.

C'est pourquoi Vers Demain se fera un devoir d'exposer les paroles et les actes publics des politi­ciens, aspirants ou en selle, afin que l'Union des Électeurs sache au juste si elle a affaire à des re­plâtreurs d'hier ou à des créateurs de demain.

Charles Parent, député d'où ?

Un électeur de Saint-Sauveur est obligé de rap­peler à M. Charles Parent qu'il est député du comté de Québec-Ouest-Sud au fédéral.

Il s'agissait de la conscription, et l'électeur, Léo­pold Duchaîne, avait écrit à son député que les représentants fédéraux de la province de Québec devraient démissionner en bloc, puisqu'on ne te­nait aucun compte à Ottawa de la volonté com­mune de la province. Charles Parent n'a pas goûté cette suggestion. Il répond à son électeur de faire plutôt pression pour que les députés conscription­nistes (des autres provinces) démissionnent, et de protester auprès de M. Blackmore.

L'électeur reprend sa plume :

"Vous me dites que je devrais protester auprès de M. Blackmore, qu'il est le chef du Crédit Social et qu'il est en même temps notre chef. Moi, j'ai à vous dire que sur cette question de la conscription, je n'ai pas d'affaire à M. Blackmore. Il est le représentant d'un comté de l'Alberta. Je sais qu'il est pour la conscription ; et si les gens de l'Alberta ne veulent pas de la conscription, qu'ils protestent près de leurs députés.

"Moi, je reste dans le comté de Saint-Sauveur, et vous représentez ce comté ; c'est pour cela que je vous écris, pour que vous protestiez contre la conscription. Si je restais en Alberta, je ferais la même chose, j'écrirais au député de mon comté pour qu'il fasse des pressions.

"Monsieur Blackmore n'est pas mon chef. Nous ne sommes pas un parti politique. C'est l'Union Créditiste des Électeurs de la Province de Québec. Le leader, c'est monsieur Louis Even. La directrice, c'est Mlle Gilberte Côté. Il y a aussi l'Association Créditiste du Canada. C'est l'Honorable Solon Low le président et M. J.-Ernest Grégoire le vice-président.

"L'Union Créditiste des Électeurs n'est pas pour la conscription. Et vu que vous représentez les électeurs, c'est pour cela que je vous écris, et je crois que vous allez le comprendre comme moi."

M. Duchaîne demande ensuite à son député de recevoir une délégation d'électeurs et termine :

"Nous ne sommes pas des rebelles. C'est de bons électeurs qui veulent rencontrer leur député qui les représente pour lui demander ce qu'ils veulent.

Du camp 39 au camp 40

Jean-Baptiste Thériault, un de nos Voltigeurs du nord abitibien, nous écrit :

"J'étais monté au Camp 39 le dimanche précé­dent, avec J.-Robert Ouellette, pour une assemblée créditiste. C'était rendu aux oreilles de la compa­gnie à Iroquois Falls, et elle a envoyé une lettre à Arthur Dupré, leur grand foreman, lui disant de ne laisser aucune organisation entrer dans les camps. Hier, je suis monté au Camp 40 pour faire une assemblée, et M. Beaupré m'a montré la lettre qu'il venait de recevoir de la compagnie Abitibi Power & ; Paper Co. Ltd. Je n'étais pas de bien bonne hu­meur. Malgré tout, j'ai discuté quand même avec les hommes, et j'ai pris les 6 abonnements que je vous envoie."

Bravo, M. Thériault ! Avec des gars de cette trempe, le Crédit Social est inarrêtable.

Le Bloc rend-il myope ?

Dans Le Bloc du 4 janvier, Léopold Richer fait allusion à une réflexion de Vers Demain du 15 dé­cembre. M. Richer écrit :

"Dans un numéro précédent, nous avons attiré l'attention de nos lecteurs sur les décla­rations audacieusement conscriptionnistes de M. Solon-E. Low, président de l'Association Créditiste du Canada. Pour toute réponse, Vers Demain écrit : "Petite vipère politique."

Si Léopold Bicher veut bien ouvrir de nouveau notre numéro du 15 décembre, et s'il n'est pas at­teint de myopie, il y verra bien d'autre chose que "Petite vipère politique", en contre-partie à sa ten­tative intéressée de coiffer les créditistes québé­cois du bonnet conscriptionniste. Nous lui recom­mandons les pages 1, 2, 3 et d'autres.

Le Bloc du 25 novembre ne se contentait pas de citer des paroles conscriptionnistes de M. Low et d'ignorer les déclarations des porte-voix officiels des créditistes du Québec ; mais il jugeait "néces­saire" de publier ces textes triés parce que "les par­tisans du Crédit Social essaient de travailler l'opi­nion publique de notre province". C'est ce rappro­chement calculé à dessein qui sentait son reptile.

Cette fois-ci, le 4 janvier, Le Bloc promet de dé­montrer que "les Créditistes du Québec ne peuvent pas demeurer affiliés à un parti conscriptionniste et faire semblant de combattre la conscription."

Nous attendons la démonstration. Mais pour qu'elle ne fonce pas sur des moulins à vent, elle devra être précédée d'une autre. Il faudra d'abord démontrer :

    1. Qu'il existe un parti créditiste fédéral ;

    2. Que les créditistes du Québec sont affiliés à ce parti ;

    3. Que les créditistes du Québec font seulement semblant de combattre la conscription.

Il peut se faire que, dans le Bloc Populaire, on ne soit pas capable de penser autrement qu'en termes de partis et de chefferie. Ce n'est pas le cas chez les créditistes.

Nous défions quiconque de prouver, par exem­ple, que, même en ce qui concerne le mouvement créditiste lui-même, dans la seule sphère du Crédit Social, l'Honorable Solon Low ait jamais donné la moindre directive ou tracé la moindre ligne de con­duite aux créditistes du Québec. À plus forte rai­son, encore moins en ce qui ne concerne pas le Cré­dit Social.

Si fin soit-il, si ferré soit-il sur d'autres questions, Léopold Richer aura la partie dure pour tenir sa promesse avec succès.

Dans la région de Hull

Louis-Philippe Bouchard exerce actuellement son zèle près des gens de Hull et des environs. Cette région reçut la lumière créditiste bien avant le Témiscamingue, où M. Bouchard a eu de si bons résultats avant les fêtes.

Les amis hullois de la cause ne vont pas se con­tenter de mettre leur abonnement en règle : ils vont aussi faire leur part de contributions à la finance du mouvement, et plusieurs voudront imiter l'ardeur de M. Bouchard. Le véritable déve­loppement consiste en effet dans la multiplication de travailleurs locaux.

Des centres créditistes de la première heure ont manifesté un merveilleux regain d'activité cette année et sont en tête pour les progrès dans la pro­vince : Québec et Asbestos, par exemple. Nous désirons pouvoir dire la même chose de Hull avant longtemps : comme noblesse, aînesse oblige.

Maître J.-Ernest Grégoire

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