Finance contraire aux faits

Louis Even le mardi, 01 mai 2001. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

Le système financier est en contradiction avec les réalités économiques. — Le système financier actuel fait déclarer « impossibles » des projets publics que les réalités proclament « possibles », — Le système financier actuel écrit « dette publique », là où les développements réels devraient écrire « enrichissement public », — Le système financier actuel fait le pays travailler pour des guerres qui sont finies depuis des années. — Le système financier actuel fait du gouvernement souverain un mendiant aux portes d'institutions privées. — Le système financier actuel fait de la finance une tyrannie, au lieu d'un service.

Cet article de Louis Even a été écrit en 1953. En 2001, le système financier est encore « en contradiction avec les réalités économiques ».

Le système financier actuel n'est pas du tout une représentation fidèle des faits économiques. Il les ignore, ou les violente, ou les estropie, ou les contredit tout à fait. Il déclaré « impossibilité financière » là où il y a possibilité réelle. Il exprime l'enrichissement du pays par une dette publique. Il nous fait travailler aujourd'hui pour des guerres passées. Il fait de la finance une tyrannie au lieu d'un service.

On peut bâtir, on ne peut pas payer

Pour ne parler que de finance publique, ne constate-t-on pas tous les jours la discordance entre les possibilités physiques et les possibilités financières ?

Une route, un pont, un aqueduc, sont demandés par la communauté. La route, le pont, l'aqueduc, sont physiquement possibles. On a tout ce qu'il faut réellement pour les construire : matériel, bras, machines. On a la nourriture, les habits, les chaussures, etc., dont la main-d'œuvre employée à ces projets aurait besoin. Mais on attend. On remet, ou on renonce tout à fait, parce qu'on n'est pas capable de payer.

La communauté est capable de construire, elle n'est pas capable de payer. Capacité physique, incapacité financière.

La finance est-elle la fidèle représentation de la réalité ?

Enrichissement réel, dette financière

Qu'y avait-il au Canada quand les premiers colons y vinrent de la vieille France ? — Ni fermes, ni routes, ni bâtiments, ni organisation sociale. Ni dettes, non plus : les Peaux-Rouges n'avaient pas découvert notre système financier.

Après trois siècles et demi, regardez le Canada : ses fermes, ses paroisses, ses villes, ses usines, ses moyens de transport, ses voies de toutes sortes, ses services publiques, ses écoles, ses universités, ses laboratoires...

Mais voyez ce que la finance en a fait : dette fédérale, dettes provinciales, dettes municipales, dettes de corps publics, dettes de compagnies, dettes de particuliers.

Enrichissement réel, endettement financier.

Le pays matériellement le plus riche au monde, ce sont les États-Unis. Eh bien, c'est aussi la nation qui a la plus grosse dette publique.

La finance exprime-t-elle, ou déforme-t-elle, les réalités ?

Travailler pour des guerres finies

La première guerre mondiale se termina en 1918. La deuxième en 1945. Physiquement, réellement, ces guerres sont donc bien finies. Elles continuent financièrement.

Rien que pour la deuxième, on taxe les Canadiens, chaque année, 325 millions de plus qu'auparavant, sans éteindre la servitude. Pour gagner ces 325 millions, les contribuables canadiens doivent travailler. Ils travaillent donc, en 1961, pour une guerre finie en 1945 ! Ils continueront en 1962, et perpétuellement, tant qu'on n'aura pas mis au rancart cette insulte au réel. Les Anglais continuent de travailler pour les guerres faites contre Napoléon 1er !

Ce sont des sueurs, des fatigues, des privations, du sang répandu, des membres perdus, des vies sacrifiées, des deuils, qui ont gagné la guerre. En réalité, oui. Mais le système nous fait dire que nous en sommes redevables à la finance, et il faut chaque année lui payer tribut.

Une telle finance est-elle la représentation des réalités ?

Le souverain rendu mendiant

Le gouvernement déclare, et répète souvent, qu'il ne peut avoir d'autre argent que l'argent demandé à ceux qui en ont. Même pour créer des richesses nouvelles, comme des routes, des aéroports, il doit chercher l'argent là où il y en a déjà ; sinon, s'en passer ; ou encore, faire faire de l'argent nouveau par une institution privée (la banque).

L'argent doit sûrement commencer quelque part. S'il ne commence pas par acte du gouvernement, il ne pousse pas non plus dans les sillons du cultivateur, ni sous la truelle du maçon.

Il y a plus d'argent au Canada aujourd'hui qu'il y en avait il y a quinze ans. D'où sort cet argent ? D'où sort toute augmentation d'argent ?

Si le gouvernement n'est pas capable d'émettre une piastre nouvelle, c'est que d'autres émettent les piastres nouvelles.

Le gouvernement n'est pas donc pas souverain au pays ?

Non, il ne l'est pas. Et les créateurs de la richesse, hommes des champs, hommes des mines ou de la forêt, hommes des usines, ne le sont pas non plus.

Mackenzie King le disait bien : La démocratie est vaine, la souveraineté du gouvernement ou du Parlement est un terme vide de sens, tant que le contrôle de l'argent et du crédit n'est pas entre les mains de la nation, mais entre les mains des banques qui opèrent pour leurs intérêts privés.

Le gouvernement souverain : mendiant. Les industriels, les commerçants : mendiants. La nation qui travaille : mendiante. Il faut aller aux portes des banques, pour obtenir le droit de vivre, même quand on a la capacité de produire ce qu'il faut pour vivre.

Une tyrannie au lieu d'un service

Nous n'avons que de l'argent loué. Nous n'avons que l'argent permis par ceux qui ont droit de vie et de mort sur l'argent. Et ce sont eux qui décrètent les conditions de naissance de l'argent ; eux qui en fixent le terme de durée. Au terme de sa durée, marquée par eux, cet argent doit leur être retourné — avec de l'intérêt en plus. On est ainsi obligé de leur demander d'autre argent, pour remplacer celui qu'ils reprennent ; et le nouveau flot qui sort est, lui aussi, condamné à rentrer à terme, toujours avec de l'intérêt en plus.

Comme il faut de l'argent pour financer les développements, on peut bien s'endetter à mesure qu'on développe le pays !

Les gouvernements ne sont bien que les contremaîtres des mendiants ; ils taxent les mendiants pour payer le loyer de l'argent aux véritables maîtres de la nation, aux maîtres de toutes les nations.

C'est horrible, mais c'est ainsi.

La servante est devenue la maîtresse, et quelle maîtresse ! La finance n'est pas du tout la représentation des réalités ; elle est la « dictatrice » tyrannique de ceux qui produisent des réalités.

On ne pouvait avoir d'elle cinq sous pour les chômeurs de dix années de misère. Elle consent des milliards pour la tuerie. Puis, quand les canons se taisent et qu'on retourne à la production de paix, elle réclame le retour des milliards qui ont permis aux humains de s'entre-égorger.

Il est clair qu'une finance de cette nature et de ce caractère peut exiger un système de taxes qui tient les peuples dans la servitude et le rationnement, même en face de leurs richesses.

Ce serait un tableau bien différent avec un système financier conforme aux réalités.

Louis Even

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