Exposé Populaire du Crédit Social

Louis Even le mardi, 01 août 1939. Dans Cahiers du Crédit Social

Le Crédit social réclame l'adaptation du régime économico-social aux fins de l'association, selon les aspirations des associés et les possibilités de l'époque et du lieu.

Fins de l'association

L'association des hommes ne peut avoir d'autre fin dernière que la fin dernière des hommes eux-mêmes ─ la gloire de Dieu.

Mais pour arriver à cette fin dernière, il y a des moyens qui, dans leur ordre, sont comme des fins intermédiaires.

Ainsi la fin immédiate des activités économiques des hommes, c'est l'adaptation des biens temporels à la satisfaction des besoins humains.

Il ne peut y avoir de contradiction, dans un ordre bien établi, entre la fin dernière et les fins intermédiaires.

Notre société organisée au Canada facilite-t-elle la satisfaction des besoins des Canadiens ?

On ne peut répondre positivement, puisque partout l'on se plaint, et les résultats justifient certainement les plaintes.

Les biens ne manquent pas

Qui osera soutenir que les biens manquent au Canada pour la satisfaction des besoins temporels des Canadiens ?

Nous croyons que, par leur organisation en société, les Canadiens peuvent produire les biens qu'il leur faut beaucoup plus facilement que si chacun devait tout faire pour lui-même, en dehors de l'association.

Aussi lorsqu'on pousse des individus aujourd'hui à fuir le groupe social, à s'exiler dans la solitude, ce n'est pas parce que la terre actuellement cultivée ne suffit pas pour fournir la nourriture et le vêtement nécessaires au Canada. Les cultivateurs restreignent leur production, ils pourraient fournir davantage à l'appel d'une demande solvable.

Les moyens de transport entre les différentes parties du pays ne manquent pas, ni non plus avec les pays étrangers. Ce qu'une province ou un pays ne fournit pas, une autre région le fournit, et nos chemins de fer sollicitent du trafic.

Qu'est-ce qui fait défaut ?

Qu'est-ce qui fait donc défaut, pour que les membres de la société canadienne soient satisfaits de leur organisation ?

Qui osera blâmer la Providence d'avoir été mesquine à l'égard du Canada ? Nous avons peut-être le pays le plus gâté au monde par l'abondance de richesses naturelles.

Dira-t-on que nous manquons de la population nécessaire pour exploiter les richesses naturelles, les transformer en volume suffisant pour satisfaire les besoins temporels des onze millions d'habitants du Canada ?

Mais nous avons au bas mot 300,000 hommes qui ne font rien et demandent à fournir leur part de travail dans la production de richesses.

Demandez à n'importe quelle femme du Canada qu'est-ce qui manque pour mettre un peu de confort dans sa maison — de l'argent dans sa poche ou de la marchandise dans le magasin ?

Demandez au marchand pourquoi la marchandise ne quitte pas son magasin pour entrer dans les maisons ? Est-ce que les Canadiens n'en veulent plus ? Est-ce qu'il refuse de servir les clients ?

Et il n'y a pas que la maîtresse de maison qui se plaigne du manque d'argent. Les associations répètent le même cri. Les municipalités n'ont pas d'autre problème. Les gouvernements non plus.

Mauvaise conduite de l'argent

Est-ce la production qui est mal conduite ? Est-ce que le cultivateur n'est plus capable de produire des récoltes ? Est-ce que le fabricant d'habits, de chaussures ; le manufacturier d'instruments et d'objets de toutes sortes ne savent plus travailler ?

Est-ce que les producteurs de services, les médecins, les professeurs, ont oublié comment servir l'humanité ?

Ou bien n'est-ce pas l'argent qui se conduit mal ?

Un être se conduit mal quand il n'accomplit pas sa fonction. On ne peut dire que le cultivateur, l'ouvrier, le transport, le professionnel ne savent ou ne veulent pas accomplir leurs fonctions. Mais l'argent, lui ?

Quelle est la fonction de l'argent ? Pourquoi a-t-il été inventé, sinon pour écouler la production plus facilement ? Fait-il cela aujourd'hui, ou ne sert-il pas plutôt à mettre l'humanité en pénitence ?

Si l'argent se conduisait, ou était conduit, conformément à son rôle, il y en aurait davantage quand il y a augmentation de production utile. Il y en aurait moins quand il y a diminution de production utile. Or que constate-t-on ? L'argent vient surtout pour la guerre, donc pour la destruction de la production et des producteurs. Il disparaît en plein essor de la production de choses demandées par tout le monde.

Quel pays a suspendu la guerre, de 1914 à 1918, par faute d'argent ? Quand on parle de guerre imminente aujourd'hui, y a-t-il un chef de gouvernement, même au Canada, qui dise qu'il ne peut y avoir de guerre parce qu'on manque d'argent ? Demandez à ces mêmes gouvernements des travaux utiles, et écoutez leur réponse.

Nous pourrions en dire long sur la cause principale des guerres modernes, sur la finance des guerres, sur la finance des révolutions, etc., alors que la finance de la distribution des choses utiles fait terriblement défaut. Nous y reviendrons à l'occasion.

Importance de la question de l'argent

Le Crédit Social veut que les associés, les citoyens, retirent le maximum d'avantages de leur association, de leur vie en société.

C'est parce que partout le problème se présente comme un problème d'argent, que le Crédit Social étudie la question de l'argent et en fait son thème ordinaire.

Nous ne prétendons jamais que la question monétaire soit la seule à régler, la seule qui doive nous occuper. Pas même que ce soit la question la plus élevée. Mais c'est la plus pressée, parce que tout le reste se heurte à un problème d'argent.

Le désordre qui règne dans le régime monétaire est tel qu'il gâte tout le reste.

On a fait un silence calculé sur cette question dans le passé, et à la faveur du silence et de l'ignorance, on a imposé à l'humanité civilisée le système le plus inique qui se puisse concevoir.

Vous trouverez encore des gens supposés intelligents qui se scandalisent et poussent des cris de putois quand on parle de la question de l'argent. Il y en a qui sont des intéressés, et qui ne veulent pas qu'on dérange leur brigandage. Ils sont assez peu nombreux.

D'autres sont des politiciens fainéants, et ils ne veulent pas être distraits de leur douce quiétude.

D'autres sont de prétendues lumières, et ils ont honte de constater la grande ombre qu'on souligne dans leur enseignement.

D'autres sont des gens relativement satisfaits, qui s'imaginent que si le sort de leurs voisins s'améliore, le leur pourrait en pâtir. Ils sont de la vieille école de la rareté. Ils n'ont pas encore vu l'abondance qui les étouffe de toutes parts. Ils n'ont pas encore reconnu l'abondance sacrilègement supprimée dans chaque chômeur ─ homme ou machine ─ dont la légion grossit sans cesse.

D'autres occupent certains postes de commande, dans divers domaines, et n'ont jamais eu assez de jugement ou de vertu pour conduire les hommes autrement qu'à la faveur de leur pauvreté. Ils ont peur d'une libération économique des foules. Comme les contremaîtres d'esclaves d'autrefois qui craignaient la suppression de l'esclavage.

L'argent est important dans notre monde actuel, non pas que l'argent soit la richesse, mais parce que la richesse n'est pas distribuée sans argent. La richesse, les biens utiles, vous rie au nez et vous crevez de faim devant des greniers pleins à craquer, si vous n'avez pas d'argent.

On ne vit pas selon la capacité du Canada à nous faire vivre, mais selon la présence de l'argent dans la maison. L'argent est rare, et parce que l'argent est rare, il faut supprimer la richesse.

C'est un désordre évidemment, mais qui plaît souverainement à ceux qui ont le contrôle de l'argent.

"Ceux qui contrôlent l'argent et le crédit sont devenus les maîtres de nos vies, et sans leur permission nul ne peut respirer."

Ces paroles sont de Pie XI. On comprend que, sans argent, on ne peut ni manger, ni s'habiller, ni se loger, ni se soigner, ni s'instruire. Ce qu'on comprend moins, c'est pourquoi le manque d'argent. Cette étude va nous renseigner et montrer le remède.

L'argent est fait par des hommes

Si la quantité d'argent sur la terre dépendait de la température ou de quelque autre facteur échappant à l'homme, on serait obligé d'en accepter les conséquences. C'est peut-être l'état d'esprit qui a maintenu la permanence d'un système faux. On nous a tellement prêché la patience qu'on a fini par accepter l'écorchage pur et simple.

L'argent n'est fait ni par Dieu, ni par les anges, ni par les phénomènes naturels, mais bel et bien par les hommes.

Et pas par des hommes socialement inspirés. Le seul fait que l'argent naisse à milliards pour la guerre dans tous les pays du monde, et qu'il disparaisse sans justification quand la production bat son plein, prouve assez que le mobile n'est ni social ni même humain.

Quelques ignorants nous répéteront que la quantité d'argent ne dépend pas des hommes, parce qu'il faut limiter l'argent d'après l'or disponible.

Cette fable-là ne prend plus aujourd'hui. Certainement les hommes n'étaient pas dirigés sur les mines d'or de 1914 à 1918 quand l'argent naissait féeriquement. Et aujourd'hui qu'on a plus d'or que jamais, l'argent est plus rare que jamais. L'or abonde aux États-Unis, et il s'y trouve 13 millions de chômeurs, faute d'argent pour payer leur travail, faute d'argent pour acheter les produits du travail. Jamais le Canada n'a produit autant d'or — et l'argent nous manque toujours.

L'argent manque, parce que ceux qui le manufacturent et le détruisent en détruisent plus qu'ils en manufacturent.

L'argent abondait pendant la guerre, parce que ceux qui le manufacturent et le détruisent en fabriquaient plus vite qu'ils en détruisaient.

La crise est faite par des hommes

Pourquoi est-on dans une crise depuis dix ans ? Est-ce une crise d'hommes, de matériel ou d'argent ?

La crise n'est pas l'œuvre de la Providence, mais celle des hommes, et se contenter de prières pour en atteindre la fin serait insulter la Providence.

Le soleil ne luit-il pas comme auparavant ? La pluie ne tombe-t-elle plus ? Le sol a-t-il perdu sa fécondité ? Faut-il blâmer les saisons ? La sécheresse ? Les sauterelles ?

On a eu dans le passé des famines faute de rendement des récoltes dans des pays et faute de moyens de transport pour faire venir les produits d'ailleurs. On a eu des années de disette succédant à des années d'abondance, par suite de conditions naturelles non maîtrisées par les hommes.

Mais il était réservé à notre siècle de lumière, de technique, de transport rapide, de communications instantanées, il était réservé à notre siècle de science et de progrès de fournir ce phénomène nouveau : famine et abondance simultanément et dix années durant.

Cette crise-là est l'œuvre d'hommes, de ceux qui contrôlent le niveau de vie de l'humanité en contrôlant l'argent et le crédit.

Qui fabrique l'argent ?

Mais qui donc fabrique l'argent et n'en fabrique pas quand on en a le plus besoin ?

D'où vient l'argent ? Question capitale, et qu'on ne s'est guère posée. On sait d'où viennent les légumes, d'où le coton, d'où le cuir, d'où le papier, d'où le caoutchouc, le café, le riz, et quoi encore. On sait d'où viennent des choses rares et qu'il faut aller chercher bien loin, des choses dont on se sert rarement et dont bien des gens ne se servent jamais.

Mais l'argent ? Cette chose courante dont tous ont tant besoin, cette chose si importante dont la présence ou l'absence ont tant de portée sur la vie individuelle et sur la vie sociale, d'où vient-il ?

Fouillez vos manuels scolaires ou ceux de vos grands garçons et de vos grandes filles, et cherchez la page où l'on explique où commence l'argent, l'argent moderne surtout, l'argent qui finance les guerres sans hésitation et qui nous fait tant souffrir par son absence quand nos hommes et nos jeunes gens sont revenus des tranchées vers les champs et les ateliers. Cherchez et apportez-nous le manuel, et dites-nous la page : nous proclamerons la perle rare.

Le fait est que l'on n'en parle pas.

Mais n'est-ce pas le gouvernement qui fait l'argent ? C'est bien la chose qu'on serait porté à croire parce que ce serait la chose logique. Mais si le gouvernement faisait l'argent, il n'en manquerait pas toujours. Le gouvernement fédéral lui-même se plaint du manque d'argent, excuse son incapacité par le manque d'argent. Le ministre des finances lui-même nous dit que le gouvernement ne fait pas d'argent et n'a que celui qu'il prend par les taxes. Il aurait pu ajouter : et celui qu'il emprunte des faiseurs d'argent.

L'argent est tout de même bien fait par des hommes. Il ne l'est pas par nous, cultivateurs, ouvriers ou professionnels ; pas par nous, les créateurs de richesse ; pas non plus par notre gérant social, le gouvernement. Par qui donc ?

Où l'argent ne manque-t-il jamais ? Où allons-nous quand nous manquons d'argent et que nous devons en emprunter ? Où va le gouvernement lui-même quand il veut de l'argent et que nous n'en avons plus à lui passer ?

Où ? Mais aux banques ! Et comment se fait-il que les banques ont toujours de l'argent à prêter ? Nos épargnes ? Nos surplus ? Mais nous n'avons plus de surplus. Si les banques n'avaient que nos épargnes comme possibilités de prêts, le niveau de leurs possibilités varierait d'après nos surplus. Elles manqueraient même d'argent avant nous si elles n'avaient que nos surplus.

L'explication de la fécondité continuelle des banques, c'est qu'elles tiennent la manufacture de l'argent.

Pour le comprendre, il faut bien savoir ce que c'est que l'argent.

Qu'est-ce que l'argent ?

L'argent est tout instrument généralement accepté en échange de produits. La nature de l'instrument importe peu, dès lors qu'il est universellement accepté dans le pays.

J'achète une chaise de cinq dollars. Je puis la payer avec dix pièces de cinquante sous, ou avec cinq billets d'un dollar. La pièce métallique, le rectangle de papier sont de la monnaie. Ce n'est pas le matériel qui compose l'argent qui fait sa valeur. Il y a exactement le même matériel dans un billet d'un dollar et dans un billet de dix dollars.

Mais, si j'ai un compte à la banque, je puis aussi payer la table au moyen d'un chèque. Le chèque déplace la monnaie de mon compte au compte du marchand. Je puis tirer des chèques pour la pleine valeur de mon compte de banques.

Donc tout ce qu'il y a dans les comptes de banques est de l'argent. Mais les comptes de banque ne sont-ils pas faits des épargnes d'argent de métal ou de papier ? Loin de là.

Il y a au Canada 287 millions de monnaie en métal ou en papier ; mais il y a tout de même plus de 2,500 millions dans les comptes de banque.

Origine des comptes de banque

Les comptes de banque ne sont pas bâtis rien qu'avec de l'épargne. La plus grande partie des comptes de banque sont bâtis par le banquier lui-même, pas par l'épargnant.

Je suis un épargnant. J'ai économisé deux dollars et je les apporte à la banque. Le banquier les met dans son tiroir, prend son livre, cherche mon compte et place $2.00 à mon crédit. Mon compte de banque a grossi de deux dollars en déplaçant de l'argent que j'apporte à la banque.

Je suis maintenant un emprunteur. Je viens à la banque pour avoir un prêt de vingt mille dollars. Je n'apporte pas d'argent à la banque, je viens en chercher. Que fait le banquier ? Me donne-t-il des dollars en papier ? Nullement. Après m'avoir fait signer des garanties, il prend encore son livre, cherche encore mon compte de banque et place $20,000.00 à mon crédit. Mon compte de banque grossit de $20,000.00.

Qui grossit mon compte de banque dans ce dernier cas ? Sûrement pas moi, puisque je viens chercher de l'argent au lieu d'en apporter. Qui donc ? Le banquier lui-même. Où prend-il ce vingt-mille dollars ? Il ne tire rien de son tiroir. Il ne diminue aucun compte de personne, il ne sort rien de sa poche, et il grossit quand même mon compte de $20,000.00. Il y a $20,000.00 de plus qu'auparavant dans le total des comptes de banque du pays. La base à chèque est augmentée de $20,000.00. D'où vient cet argent ? Demandez au banquier.

Les comptes de banque grossissent de deux manières : la petite manière, par l'apport de l'épargnant - simple déplacement d'argent. La grosse manière par un emprunt ─ introduction d'argent nouveau qui n'existait pas auparavant. Création d'argent alors ? Aucun doute, si ces 20,000 dollars sont de l'argent. Or, ils sont de l'argent, puisque je m'en sers, en faisant des chèques, pour acheter ou payer n'importe quoi, au même titre qu'avec de l'argent de métal ou de papier.

L'épargnant travaille et se prive pour grossir son compte ; on le récompense par 11/2 pour cent sur son économie tant qu'elle reste entre les mains du banquier.

Le banquier tient une plume et d'un trait vous fait 20,000 dollars. Il s'en récompense en vous demandant 6 pour cent sur le montant total, même quand vous remboursez graduellement, ce qui équivaut à 12 pour cent sur le montant réellement entre vos mains.

L'emprunt public

L'emprunt public se fait de la même manière. Accompagnons le ministre des finances à la banque, pour un emprunt d'un million.

Le ministre passe au banquier une "obligation", une "débenture," promesse de rembourser :

Je promets de rembourser à la banque la somme d'un million de dollars dans vingt ans, plus l'intérêt à cinq pour cent pendant vingt ans.

Que fait le banquier ? Sort-il un million en papier ? Pas du tout. Comment, cette année, sortirait-il 750 millions en papier dans un pays qui n'en a pas 300 ? C'est autre chose que le banquier fait. Quoi donc ?

Le banquier fait comme tout à l'heure. Il ouvre son livre au compte du ministre des finances et y inscrit un million au crédit du gouvernement. Le ministre des finances peut dès lors signer des chèques pour un million de plus, pour payer ou acheter n'importe quoi.

Où le banquier a-t-il pris ce million ? Ni dans son tiroir, encore moins dans sa poche, ni dans le compte de personne.

C'est un compte grossi sans en diminuer aucun autre. Qui peut faire telle chose excepté le banquier ? Qui, autre que lui, peut prêter sans diminuer son propre compte ?

Pour prêter de l'argent sans en prendre nulle part, il faut en fabriquer, et c'est exactement ce que fait le banquier.

Mais est-ce une bonne chose, ou est-ce une mauvaise chose ?

La fabrication d'argent avec une plume est une magnifique invention moderne. Vu que la production moderne de biens utiles est très facile, il est heureux que la production d'argent moderne soit facile. Cela permettrait, par la comptabilité, d'avoir autant d'argent qu'il en faut pour écouler toute la production.

Et pourtant l'argent est rare ! Oui, à cause de celui qui tient la plume et des conditions qu'il pose à sa création d'argent.

Voyons plutôt. Une petite conversation avec le banquier, supposant qu'il ose tout dire, va nous révéler des choses formidables.

Le crédit social volé

CITOYEN ─ Monsieur le banquier, avez-vous prêté un million au ministres des finances ?

BANQUIER ─ Certainement.

CITOYEN — Mais je ne vous ai pas vu lui passer d'argent !

BANQUIER ─ Non. Je n'ai pas prêté d'argent en métal ou en papier.

CITOYEN ─ Qu'avez-vous donc prêté ?

BANQUIER — Du crédit pour un million de dollars.

CITOYEN ─ Comment est-ce fait, le crédit ?

BANQUIER ─ Voyez. Voici le livre : $1,000,000.00.

CITOYEN — Je ne vois que l'inscription d'un million.

BANQUIER — C'est justement cela, le crédit. Une entrée comptable dans mon livre, au compte du gouvernement.

CITOYEN — Mais est-ce de l'argent, cela ?

BANQUIER — Je crois bien. Base à chèque autant que le numéraire de métal ou de papier. C'est l'argent moderne, bien supérieur à l'autre, car personne ne peut le voler. Et c'est le crédit qui donne des ailes à l'argent visible. Beaucoup de crédit, l'argent circule et les affaires marchent. Pas beaucoup de crédit, l'argent dort et les affaires stagnent. Le crédit est responsable de plus de 90 pour cent des transactions commerciales.

CITOYEN ─ Magnifique. Mais où l'avez-vous pris, ce million de crédit ? Est-ce nos épargnes ? Nos comptes, à nous qui en avons encore, ont-ils diminué ?

BANQUIER ─ Pas du tout. Je n'ai rien enlevé à personne et j'ai quand même placé un million à la disposition du gouvernement.

CITOYEN — Alors, vous avez été obligé de le faire, ce million, et c'est un million nouveau ajouté aux anciens ?

BANQUIER — Exactement. Les banques commerciales créent le crédit qui sert d'argent.

CITOYEN ─ Sur quoi est-il basé, cet argent moderne ? Est-il basé sur l'or ?

BANQUIER — Allons donc ! Il n'est pas entré une once d'or à la banque pendant l'opération.

CITOYEN ─ Mais qu'est-ce qui rend cet argent bon ? Qu'est-ce qui fait sa valeur ? Comment pouvez-vous lancer ainsi un million nouveau ?

BANQUIER ─ Cet argent va circuler et va acheter, parce qu'il y a de quoi l'honorer dans le pays. Les cultivateurs, les ouvriers, les professionnels sont capables de fournir des biens et des services de toutes sortes pour répondre de cet argent. Cet argent est basé sur la capacité du pays à produire et livrer les biens. Le crédit réel du pays est bon et loin d'être épuisé. Tant qu'il y a du monde et du matériel pour produire des biens, je puis faire de l'argent.

CITOYEN — Si je comprends bien, c'est parce qu'il y a au Canada une société organisée, des producteurs, des distributeurs, des consommateurs, que vous pouvez faire cet argent.

BANQUIER — Vous l'avez dit. S'il n'y avait que des ours ou des Peaux-Rouges, je ne ferais pas d'argent, il ne pourrait rien acheter.

CITOYEN — Alors, c'est le crédit de la société organisée qui permet la création d'argent ?

BANQUIER ─ Exactement.

CITOYEN — C'est le crédit social qui est à la base de ces millions que vous créez ?

BANQUIER ─ Oui, mais si je ne le change pas en crédit de la banque, personne ne peut s'en servir. Pas d'argent, pas de commandes ; pas de commandes, hommes et machines chôment.

CITOYEN — À qui appartient le crédit social ?

BANQUIER — À la société.

CITOYEN ─ Et le crédit bancaire, l'entrée comptable rendue possible par le crédit de la société, devient dès lors la chose de la société ?

BANQUIER — Pas du tout. Ce million, j'en suis le propriétaire. Je l'ai pris à la société, mais il devient ma propriété. Je suis cependant assez bon pour en prêter l'usage à la société pendant un certain nombre d'années, après quoi je le détruirai, et la société va me récompenser, par l'intérêt, de ma bienveillance à lui prêter le crédit que je lui ai pris.

CITOYEN ─ Mais, quand on prend quelque chose à quelqu'un, on appelle cela un vol. Et que le voleur ait le toupet de prêter au volé ce qu'il lui a pris, en se faisant récompenser pour le prêt et en exigeant la destruction complète de la chose volée après avoir touché la récompense, c'est un peu fort. Vous volez tout un pays, et on ne vous met pas en prison !

BANQUIER ─ Mais il n'y a pas de vol, puisque c'est la société elle-même, par son gérant, le gouvernement fédéral, qui me permet de lui prendre son crédit et de le lui re-prêter. Elle me récompense pour cela et, bon an, mal an, la société m'apporte 128 millions pour me remercier de l'opération. Si c'est un vol, il est dûment légalisé et publiquement récompensé.

Le dette impayable

Et quel est le résultat de cette situation absurde ?

Deux hommes sont en présence. L'un, le ministre des finances, représente la société, le peuple souverain. L'autre, le banquier, est l'engagé d'un système à profit. Le souverain tient une plume qui fait des dettes ; l'engagé du profiteur tient une plume qui fait l'argent. Lequel est le véritable maître ?

Voyez la suite. Le ministre va mettre ce million en circulation dans le public en rédigeant des chèques. Mais chaque année il va en retirer, par les taxes, 5 pour cent, donc $50,000 pour apporter au banquier comme intérêt.

Au bout de vingt ans, il a rapporté vingt fois $50,000, ou un million en intérêts. Tout le million est rentré par tranches. Le ministre est-il quitte ? Pas du tout. Il faut maintenant rapporter le million en bloc, le capital. Le banquier seul fait l'argent. Il fait un million et oblige à rapporter deux millions, sans que personne autre en fasse.

Où le gouvernement va-t-il prendre l'argent la deuxième fois ? S'il le trouve, il l'enlève à d'autres, et d'autres ne pourront pas tenir leurs obligations, puisque tout argent a son origine dans l'opération de la banque et ne sort de la banque qu'à la condition d'y revenir avec quelque chose en plus.

La seule solution est de renouveler l'emprunt, de faire de nouveaux emprunts pour continuer à payer l'intérêt sur les emprunts passés. C'est pourquoi la dette publique grossit toujours, et augmente, en moyenne, de l'intérêt annuel à payer.

L'argent est nécessairement rare puisqu'il naît à condition de mourir en plus grande quantité qu'il est né. S'il reste de l'argent, c'est simplement grâce à l'augmentation de la dette publique.

Quand la dette augmente, l'intérêt total augmente. Quand l'intérêt annuel augmente, les taxes augmentent. Quand les taxes augmentent, l'argent diminue, même si les prix montent. Quand l'argent diminue, on se prive. Quand on se prive, le chômage s'installe. On connaît le reste.

Tout cela paraît très simple et facile à comprendre, quand on le dépouille de tout l'appareil qui l'entoure, le complique et le camoufle.

Mais comme on tient le public dans l'ignorance absolue, il attribue les résultats au gouvernement du jour. Le parti de l'opposition signale avec zèle l'incompétence du parti au pouvoir. Si les "rouges" sont au gouvernail, les bleus" crient au peuple : Voyez-vous comme vous êtes mal administrés ! Changez cela aux prochaines élections.

Aux prochaines élections, on passe la place aux "bleus". Et comme le ministre des finances, bleu ou rouge, tient toujours la plume qui signe les débentures et endette le pays, et comme le banquier sans couleur tient toujours la plume qui change le crédit de la société en dette sur le dos de la société, le résultat est exactement le même.

Le jeu a continué longtemps. Il a fallu la succession des deux grands partis, avec une grosse majorité, sous la même crise poignante, avec la même stérilité révoltante, pour détrôner enfin l'esprit de parti, nous semble-t-il, sauf chez ceux qui sont payés pour l'entretenir.

Désordre

Désordre que cette naissance de l'argent à l'état de maître des hommes : L'argent fut institué pour servir ; on le fait naître en asservissant. L'argent vient au monde dans le livre des profiteurs, en créant des dettes mathématiquement impayables. Et le vol du crédit de la société est à la base de l'opération qui endette ainsi la société.

Comment veut-on que l'argent qui débute de cette manière accomplisse un rôle bienfaisant ? Il naît en commandant, il continue de commander. Il naît pour le profit de quelques exploiteurs ; il continue de profiter à quelques exploiteurs. Il naît en plaçant les gouvernements à ses pieds ; il continue de maîtriser les gouvernements.

Pendant ce temps, l'être humain, l'enfant naît esclave de la dette. Il assume en venant au jour sa part de la dette publique de son pays. Il naît endetté et le restera tous les jours de sa vie. Le système se charge de faire grossir la dette. Le maître, c'est l'argent ; l'esclave, c'est l'être humai. Désordre !

Les familles nombreuses peuvent bien souffrir d'un tel régime : multiplier les enfants, c'est multiplier les esclaves.

Désordre, l'argent rare dans un monde de production abondante, Désordre, l'argent qui disparaît quand la production est maintenue. Désordre, l'argent réglé par le mobile profit du banquier, au lieu du mobile nécessité sociale. Désordre l'argent qui naît propriété de quelques individus, alors qu'il est la monétisation d'une propriété publique. Tant qu'on n'aura pas redressé ce désordre-là, il sert à peu de chose de vouloir établir un peu d'ordre dans les relations sociales.

L'ordre dans la monnaie

Que faut-il pour remettre de l'ordre dans le système monétaire ? Simplement régler l'argent d'après la production du pays et d'après le bien commun.

Qui peut faire cela ? Sûrement pas le banquier, puisque son mobile est le profit de son institution.

Seule, la société elle-même, par son gérant, le gouvernement, peut voir adéquatement à son bien.

Faut-il tout chambarder ? Pas du tout. Il faut être arriéré ou mal intentionné comme les communistes pour vouloir changer ce qui va bien. La production va bien. La propriété privée va bien. Le commerce et l'industrie sont entre des mains habiles. Le défaut n'est pas là.

Que le gouvernement change simplement la loi qu'il a faite et qui est désastreuse pour la société. Qu'il rappelle la loi qui permet au profiteur de s'emparer du crédit de la société, d'en faire du crédit bancaire privé et de ne l'émettre qu'en imposant une dette.

Non pas la suppression des banques. Que les banques restent des banques. Qu'elles continuent de recevoir les épargnes et de les placer fructueusement. C'est leur fonction propre et elles sont expertes pour s'en acquitter. Mais quand les banques manufacturent et détruisent l'argent, ou le substitut de l'argent, le crédit, elles exercent une fonction royale, une fonction souveraine. Ce n'est pas à elles de dicter la quantité d'argent dont devra se contenter la société, surtout quand elles ne s'inspirent que du mobile profit et qu'il est mieux pour leurs intérêts privés que l'argent soit rare dans la circulation.

L'argent par le gouvernement

Si les banques, grâce à un pouvoir à elle délégué par le gouvernement, sont capables de placer des chiffres dans un livre et de dire : C'est de l'argent, parce que la société peut produire ce qu'il faut pour honorer cet argent ─ le gouvernement lui-même est certainement capable de faire la même chose.

La différence, c'est que le gouvernement, qui n'existe pas pour le profit mais pour la gestion du bien commun, fera ces chiffres sans bâtir une dette, et les fera dans la proportion où il y en a besoin pour que les affaires marchent. Si la manufacture de l'argent par le gouvernement est faite dans l'ordre, il y aura dans le pays tout l'argent qu'il faudra pour acheter tout le travail, toute la production disponibles. La présence de chômage et de production non vendue quand il y a encore des besoins à satisfaire est une preuve qu'il manque de l'argent.

Si le système est conduit selon l'ordre, non seulement il y aura tout l'argent voulu, mais l'argent sera où il doit être pour accomplir sa fonction, entre les mains de ceux qui ont besoin des produits. L'argent doit venir au monde en servant les membres de la société.

Il n'est nullement question de changer la nature de l'argent, ni de supprimer l'argent en existence pour en mettre d'autre à la place, ni de changer la valeur de l'argent, ni de faire intervenir le gouvernement dans l'usage de l'argent.

L'argent en existence continue. Les épargnants conservent leurs épargnes intégralement. Tout ce que doit faire le gouvernement, c'est de veiller à l'augmenter quand il y en a besoin et à le faire de manière à ce que personne ne soit lésé et que tout le monde en bénéficie.

L'argent d'après la production

Puisque l'argent existe pour écouler la production, il doit être en rapport avec la production et la suivre dans tous ses aléas.

Beaucoup de production, beaucoup d'argent. Production facile, argent facile. Production laborieuse, liée au travail de l'homme, argent lié au travail de l'homme. Production automatique, argent automatique.

Si notre gérant, le gouvernement, constate que, dans une année, une production possible de deux ou trois milliards reste dans le néant, non parce que personne n'en a besoin, mais parce que l'argent manque pour l'acheter, il doit certainement, pour la bonne gestion, voir à émettre assez d'argent nouveau pour que cette production se réalise et atteigne les consommateurs.

Mais comment le gouvernement mettra-t-il cet argent en circulation ? Supposons que, pour augmenter suffisamment le niveau de l'argent, le gouvernement soit obligé de lancer chaque mois $55,000,000 d'argent nouveau, que va-t-il faire de cet argent ?

Il n'y a qu'une réponse satisfaisante : le donner au public, auquel d'ailleurs il appartient. Le gouvernement ne rectifierait rien en plaçant cet argent dans un coin. Il commettrait une injustice en le donnant à un citoyen ou à un groupe de citoyens plutôt qu'aux autres. Il se constituerait propriétaire de cet argent en l'employant à son gré. Un gérant n'est pas le propriétaire du bien commun de l'entreprise.

L'augmentation de la quantité d'argent est nécessitée par le développement collectif du pays. Le progrès de la science, de la technique, les découvertes, l'augmentation de la population, et beaucoup d'autres facteurs ont contribué à augmenter la production totale. Évidemment aussi, le travail d'individus, et ces individus sont récompensés par la vente de leur travail ou de leur production, pourvu toutefois que le gouvernement crée les nouveaux titres à la production nécessités par l'augmentation.

Le dividende national

Comment peut procéder le gouvernement ?

Il faut, disons, 55 millions le 1er septembre. Il y a onze millions de citoyens au Canada. Cela fait cinq dollars pour chaque homme, femme et enfant du Canada. Ce cinq dollars qui sera versé à chaque Canadien n'est pas un salaire, ce n'est pas la récompense d'un travail. C'est l'augmentation de titres à la production dans un pays où il y a surplus de production par rapport aux titres existants. C'est donc un droit aux surplus, un dividende sur les surplus, dividende qui va à tous les sociétaires.

Où le gouvernement va-t-il prendre cet argent ? Là où le banquier le prend quand il prête un million au gouvernement aujourd'hui.

Le gouvernement tiendra ses livres, comme le banquier tient les siens, pour l'inscription du crédit social monétisé selon les besoins.

Il pourra, par exemple, y avoir un livre du crédit national dans chaque bureau de poste, tenu par un fonctionnaire fédéral — le maître de poste ou un adjoint. Dans le livre, les noms de tous les citoyens de la localité, chacun son compte.

Vienne le décret de distribution d'un dividende de cinq dollars à chaque citoyen le 1er septembre. Dans tous les bureaux de poste, le comptable, tenant sa plume au nom du gouvernement, inscrit $5.00 au crédit de chaque citoyen ayant son compte dans le livre. Chaque Canadien verra ainsi son compte de crédit augmenter de cinq dollars.

Que fera-t-on de ce crédit ? Ce qu'on voudra. Il est aussi bon que celui des banques. Il a exactement la même base, la production possible. Il est fait exactement de la même manière, par une entrée comptable. Il a une plus grande autorité ─ l'autorité même dont le banquier n'use que par délégation. Il a une valeur plus stable, parce qu'il y aura constance de rapport entre le crédit-argent et la production, entre la richesse et les titres à la richesse. L'unité monétaire gardera mieux sa valeur d'achat que dans le régime anarchique et idiot d'aujourd'hui.

Pas une égalisation des fortunes

Mais la distribution du même dividende à tout le monde ne va-t-elle pas mettre tout le monde sur le même pied, égaliser les fortunes comme le demandent les socialistes ? Pas le moins du monde. Si j'ai $100 et que vous en avez 500, l'addition de $5.00 à chacun de nos deux montants ne va pas les égaliser ; j'aurai 105 et vous aurez 505.

De plus, on va se servir de ces dividendes. On va acheter. Ceux qui ont quelque chose à vendre, du travail, des services ou des produits, vont récolter les dividendes des autres. Les oisifs dépenseront et ne récolteront rien. Les travailleurs s'enrichiront encore comme aujourd'hui, et mieux qu'aujourd'hui, car ils auront une chance d'écouler leurs produits.

La vente rémunératrice des produits permettra enfin aux propriétaires, aux cultivateurs surtout, de rencontrer leurs obligations, de conserver et de fortifier leur propriété. Tandis que l'argent rare du système d'argent-dette fait exactement le contraire. C'est pourquoi le vice monétaire est le plus grand destructeur de la propriété privée ; il la détruit bien avant le communisme. C'est pourquoi aussi ceux qui proclament la propriété privée feront bien de réclamer le Crédit Social. C'est pourquoi encore ceux qui dénoncent le communisme comme destructeur de la propriété et ne songent pas a dénoncer le grand destructeur actuellement à l'œuvre manquent de conséquence, à moins qu'ils ne voient pas par ignorance ou qu'ils se taisent par lâcheté.

Les achats stimulés par les dividendes vont augmenter les commandes. Les commandes vont amorcer la production, rappeler au travail les bras et les cerveaux disponibles, remettre les machines en rendement. L'augmentation de production va nécessiter la continuation d'une augmentation d'argent, jusqu'à ce que toute la production soit utilisée, ou jusqu'à ce que la consommation soit saturée, ce qui n'est pas tout de suite. Le mécanisme monétaire social ainsi établi sera en position pour solutionner les divers aspects des problèmes monétaires à mesure qu'ils se présenteront.

L'argent au service de l'homme

L'argent ainsi obtenu par la monétisation plus sociale du crédit de la société a une naissance un peu plus acceptable que celle de l'argent d'aujourd'hui. Il vient encore au monde dans un livre, mais dans les livres de la nation et non plus dans les livres des profiteurs ; propriété du public et non plus propriété d'une institution à profit.

L'argent qui vient au monde sous forme de dividende à chaque citoyen sert l'homme en naissant. Chaque dividende est serviteur d'un être humain, d'un homme, d'une femme, d'un enfant. Les parents l'administrent pour les mineurs. L'argent qui commence par servir a des chances de continuer à servir.

Et l'être humain, lui, au lieu de naître esclave d'une dette imposée par l'usurpateur du crédit social, naîtra maître de tout dividende que permettront les développements de la nation. La famille en se multipliant verra se multiplier le nombre de dividendes qui entreront au foyer. Le revenu augmentera en même temps que les charges.

Distribution de l'abondance dans la paix

L'argent rare est la cause de bien des concurrences effrénées, de bien des luttes entre voisins ou entre frères. La course au patronage politique est entretenue par l'argent rare, par l'absence d'emplois dans le commerce et l'industrie, faute d'argent. On se rue autour d'un article nécessaire mais trop rare. C'est le cas de l'argent aujourd'hui.

Avec de l'argent abondant comme la production, il y a des chances que la mentalité s'améliore. La production peut être tellement abondante qu'il y en aura amplement pour tout le monde. Si l'argent est le reflet de la production, il y en aura pour tout le monde. L'argent reprendra son rôle d'instrument de service, et cessera d'être une arme pour dominer.

La paix sera facilitée à l'intérieur. Elle le sera aussi entre les nations. Ce ne sera plus la bataille pour les marchés étrangers avec un marché domestique muni d'argent. Lorsque l'argent sera entre les mains des hommes et des femmes du Canada, ils commanderont les choses qu'ils veulent dans leurs maisons, ils orienteront l'industrie. L'orientation aujourd'hui vient des contrôleurs de l'argent, et c'est pourquoi on voit fleurir l'industrie des armements.

Nous pourrions nous étendre longuement sur une foule de bienfaits à attendre du redressement monétaire pour l'épanouissement de la personne humaine, de la famille, de l'esprit social. Mais nous devons remettre ces considérations à une autre fois, et dire quelques mots des moyens à prendre pour obtenir le redressement monétaire.

Nous devons également remettre à un exposé plus technique la mention et l'explication du mécanisme du "Juste prix" par l'escompte compensé.

Éducation et action

Quand aurons-nous la monnaie sociale, le crédit social ? Lorsque le gouvernement fédéral fera une législation à cette fin. Le gouvernement fédéral est souverain et peut faire toute loi qu'il veut dès lors qu'elle ne lèse les intérêts légitimes de personne. C'est le cas d'une loi sociale de l'argent, telle que la réclame les créditistes.

Pourquoi le gouvernement fédéral ne se hâte-t-il pas de passer cette législation qui lui permettrait enfin d'administrer et permettrait aux gouvernements provinciaux d'administrer ? Parce que le gouvernement fédéral subit la pression des intérêts organisés, de la fraternité des banquiers, tandis que le peuple ne dit rien, ne surveille rien, ne réclame rien, et se contente de changer de temps en temps l'équipe de ceux qui n'agissent en définitive que comme les agents des financiers.

Pourquoi ce silence et cette soumission du peuple qu'on immole ? Parce qu'il ignore. Il croit que c'est nécessaire qu'il en soit ainsi, ou il est découragé, fatigué, dégoûté, blasé, parfois abruti.

La doctrine du Crédit Social jette un jour lumineux sur les affaires de l'économie et de la politique. Et nous croyons qu'au prochain appel au peuple, partout où le Crédit Social aura répandu sa lumière, les politiciens de partis s'apercevront qu'il y a quelque chose de changé.

Appel à l'électorat

Aux prochaines élections fédérales, électeurs et électrices, qu'allez-vous faire ?

Lorsque vont encore venir devant vous les candidats des partis qui se succèdent depuis longtemps au pouvoir, avec leur programme et leurs promesses, vous leur direz :

"Qui a fait ce programme et pourquoi nous le présentez-vous ? Nous avons eu assez de cela dans le passé. Nous savons mieux désormais.

"C'est nous qui payons le gérant, nous qui payons le gouvernement, nous qui payons les députés. Eh bien, c'est nous qui allons donner les ordres.

"Nous n'avons certainement pas nommé des gérants pour être les percepteurs de taxes de ceux qui nous louent notre crédit après nous l'avoir volé.

"Le gouvernement n'existe certainement pas pour faire la volonté des banquiers et ignorer la nôtre.

"Nous ne désirons ni dettes ni taxes ; or ce sont des dettes et des taxes qu'on nous impose. Nous demandons de l'argent, parce qu'il en manque, et c'est l'argent qu'on nous refuse. En voilà une manière pour le gérant d'agir au nom de ceux qui le paient !

"Quand l'argent manque, ce n'est certainement pas le temps de nous en ôter, mais bien d'en faire.

"Puisque c'est nous qui payons, c'est nous qui devrons être servis, et c'est nous qui allons faire notre programme.

"Notre programme, c'est, tout d'abord et avant tout, le respect de notre propriété, la cessation du vol légalisé par nos gérants dans le passé. Notre programme, c'est la restitution de notre crédit social, c'est de l'argent qui nous serve, et non pas des dettes qui nous asservissent.

"Vos camps de bleus et de rouges, ça, ne prend plus aujourd'hui. Nous voulons tous la même chose, et nous sommes tous un bloc pour le réclamer.

"Retournez à ceux qui vous envoient et qui ont usurpé notre droit de rédiger le programme, de donner des ordres à ceux que nous payons.

"Nous n'allons déléguer à la gérance que des serviteurs fidèles, des gens qui, comme nous, pensent qu'on a eu assez du système des Rothschilds, assez des signatures de dettes, assez des obligations envers les parasites, assez de la vénération envers les fomentateurs de haines et de guerres.

"Vous, politiciens de carrière, vous nous avez tenus dans l'ignorance trop longtemps. Vous avez eu le temps et les moyens pour étudier et solutionner nos problèmes, et vous n'avez brillé que par votre stérilité.

"Vos promesses et vos exhortations à la patience, nous en sommes sevrés. Montrez vos œuvres. Montrez la législation du parlement souverain du pays pour régler la crise et le chômage.

"Vous n'avez aucune justification, vous du Parlement souverain d'Ottawa, pour laisser durer l'absurde condition de la misère en face d'immenses moyens de production.

"Pourquoi, vous qui vous êtes succédé à la gérance, avec des majorités énormes et des pouvoirs souverains, pourquoi avez-vous laissé les faiseurs d'argent et de dettes mener le pays, imposer des restrictions financières à la distribution de l'abondance ?

"Vous êtes nos représentants et vous ne venez jamais nous demander ce que nous voulons. Vous avez fini de recevoir des mandats en blanc au milieu d'un tintamarre de vantardises et d'invectives qui ne donnent rien.

"La crise est là, dont la persistance vous dénonce et proclame votre incompétence ou votre insouciance.

"La voix du peuple, éclairé mais pas par vous, uni mais malgré vous, se lève vengeresse.

"Les ruines physiques et morales, matérielles et humaines du pays, accumulées sous vos yeux, à vous du Parlement souverain, ne vous couvrent-elles pas de honte ? Osez-vous encore réclamer nos voix et nos applaudissements ?

"Les souffrances d'enfants mal chaussés, mal habillés, mal nourris ; les frustrations et les désespoirs d'une jeunesse sans place et sans avenir dans son pays ; les soucis et les inquiétudes de toute une population dans le pays le plus favorisé du globe ─ tout cela crie contre vous et vous ne l'entendez point, vous qui avez eu la souveraineté et n'avez rien fait.

"Notre heure est venue, la vôtre est finie. Rentrez chez vous la tête basse. Couvrez-vous le visage. Le peuple ne veut plus vous voir. Il veut vivre. La Providence étale ses générosités devant lui, et c'est pour lui. Vous avez permis à des puissances diaboliques de régler son niveau de vie. Vous nous avez trahis. Nous avons assez souffert de votre complicité de laisser-faire.

"Nous avons maintenant conscience de notre nombre et de notre force. Nous n'allons plus nous laisser affaiblir par vos divisions. Notre voix est au crédit social. Notre voix est à la doctrine qui unit et à ceux qui nous l'ont prêchée pendant que vous ricaniez devant nos misères."

Votre libération, électeurs et électrices, est entre vos mains. Ne l'abandonnez pas, ne la vendez pas pour un plat de lentilles.

Tous, hommes et femmes ; oui, femmes aussi, femmes mariées et filles majeures, qui, souffrez autant que vos époux, vos fils et vos frères, de la mauvaise conduite de l'argent ; vous tous qui voulez la paix et non la guerre, qui voulez l'abondance et non la privation ─ c'est d'un seul et même grand geste décidé que, sur les bulletins de vote, vous tracerez la croix libératrice du Crédit Social.

Louis Even

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