La tempérance n'est pas un parti politique. Elle n'en veut ni aux bleus ni aux rouges. Elle groupe des partisans autour d'un noble objectif : libérer notre peuple des chaînes et des abrutissements que lui imposent les profiteurs de l'alcool par leurs mensonges et par leur exploitation de passions avilissantes.
Si, dans certaines occasions, la Tempérance, ayant réuni ses partisans et ses apôtres en association, les conduit sur le terrain électoral, si elle intervient auprès de politiciens, c'est tout juste, non dans le but de favoriser l'un ou l'autre des partis politiques qui se battent sur le dos de notre peuple pour un picotin teinté de bleu ou de rouge, mais pour obtenir de meilleures lois qui protègent mieux les faibles contre les entreprises de l'alcool : diminution des débits, réglementation plus sévère des heures de vente, etc.
Nul ne contestera cette affirmation.
Or, on peut en dire autant du Crédit Social.
Lui non plus n'est pas un parti politique.
Lui aussi, il veut libérer. Libérer les humbles, les pauvres, tout le peuple, de l'état abrutissant dans lequel le tient une dictature économique dénoncée par Pie XI comme "dure, cruelle, impitoyable".
Convaincus, à la suite des Souverains Pontifes, que "sur le terrain économique se joue le salut des âmes", les apôtres du Crédit Social n'en veulent ni aux rouges, ni aux bleus comme tels. Ils n'aspirent nullement à prendre leur place ; mais ils appellent à eux, dans un effort de libération nationale et économique, toutes les âmes charitables qui, sensibles à la misère physique et morale des nôtres, veulent mettre dans chaque famille les moyens de se procurer au moins le nécessaire et même une certaine aisance. Car, comme l'enseignent les Souverains Pontifes, "la loi naturelle, c'est-à-dire la volonté divine manifestée par elle, exige que les ressources de la nature soient mises au service des besoins humains d'une manière parfaitement ordonnée."
"Il importe donc de ramener aux exigences du bien commun la distribution des ressources de ce monde, dont le flagrant contraste entre une poignée de riches et une multitude d'indigents atteste, de nos jours, aux yeux de l'homme de cœur, les graves dérèglements."
Voilà ce que veut le Crédit Social.
C'est ce que promettent les politiciens pour après la guerre.
C'est ce que le Crédit Social travaille à préparer tout de suite, autrement que par de vains discours à la fin de banquets que les affamés regardent avec envie.
Le Crédit Social présente un moyen que personne n'a pu démontrer impraticable pour atteindre ce but : que les conditions de vie domestique et l'observation des commandements de Dieu ne soient pas rendus impossibles aux époux, comme c'est le cas quand ce qui est d'usage quotidien ne peut s'acheter qu'à des prix exagérés ; que les jeunes gens puissent se trouver une carrière et établir un foyer, même lorsque leur pays n'est pas en état de guerre ; que les petits enfants, les vieillards, les invalides, les malades, ne soient pas totalement dépourvus dans un monde où la machine, les cerveaux et les bras valides entassent une abondance de biens de toutes sortes.
Mais nous sommes tellement habitués à voir ceux qui s'agitent d'une façon ou de l'autre prendre la route électorale, que nous avons peine à concevoir qu'un mouvement quelconque puisse se produire sur d'autres routes et même que d'autres routes puissent exister.
Pour le plus grand nombre, tout mouvement, tout groupement ne peut guère avoir d'autre visée que de porter au Parlement un candidat portant cocarde rouge ou bleue. Non, non, et mille fois non, le Crédit Social n'est pas une entreprise électorale. L'Association Créditiste n'est pas un parti politique. Si les dirigeants du mouvement cherchent à orienter les électeurs en les instruisant sur les questions publiques, ils ne croient pas pour cela que leur cause gagnerait à la souder à un parti politique, ancien ou nouveau.
Le Crédit Social est, avant tout, une doctrine. C'est une doctrine économique, tout comme la Tempérance est une doctrine religieuse.
Tous les deux, le Crédit Social et la Tempérance, travaillent à un but analogue : briser des chaînes ; le premier, les chaînes de l'esclavage économique ; l'autre, celles de l'esclavage alcoolique.
Et dans l'occasion, tous les deux peuvent se rencontrer sur le terrain politique, cherchant tous les deux à obtenir de nos gouvernants des lois meilleures en faveur des masses appauvries et chargées d'esclavage.
Donc, sur le terrain électoral, ni les bleus ni les rouges n'ont raison de craindre que le Crédit Social veuille leur enlever leur pitance — pas plus que la Tempérance. Mais bleus et rouges se feront certainement rappeler d'être à leur devoir, de servir ou de sortir.
Si, dans certaines circonstances, les créditistes se sont aventurés sur le terrain électoral en vue d'avancer l'avènement d'une législation favorable à leur idéal, ils n'ont pas tardé à en revenir, rapportant la conviction que, dans l'état actuel de nos mœurs politiques, le champ d'apostolat du Crédit Social est ailleurs.
Car les propagandistes du Crédit Social croient sincèrement que leur travail est un apostolat.
Soumis à l'Église catholique, leur mère, dont ils reconnaissent l'autorité "en tout ce qui concerne la loi morale", les créditistes de la province de Québec n'abdiquent pas pour cela leur liberté dans le domaine technique, où le Pape Pie XI déclare d'ailleurs l'Église "dépourvue de moyens appropriés et de compétence".
C'est à cette lumière des enseignements pontificaux qu'ils veulent marcher. Ce sont les directives de Pie XI qu'ils veulent mettre en pratique et travailler ainsi, comme le demande le même Pape, au relèvement du prolétariat.
Les créditistes croient, eux, que les encycliques n'ont pas été écrites pour être admirées et placées dans les tiroirs, en attendant des jours plus favorables qui ne viennent jamais. Au contraire, tout catholique à le droit et le devoir de tenter de les transposer dans la vie pratique.
C'est pourquoi ils cherchent dans les encycliques des appuis et des guides pour leur apostolat, tout comme le font les syndicats ouvriers, les coopératives, même les sociétés de tempérance.
Ils regrettent — et ils en souffrent dans leur âme de catholiques sincères — que parfois des gens d'Église tentent de leur barrer la route et ils comprennent mal leurs interventions.
Si le Crédit Social était un parti politique, ces interventions seraient déjà une faute contre les disciplines ecclésiastiques les plus récentes.
Mais le Crédit Social n'étant pas un parti politique, étant tout simplement un mouvement économique, sur quels motifs s'appuie-t-on pour user contre lui de moyens autoritaires qui débordent les attributions et la mission de ceux qui s'en servent ainsi ?
S'il existe dans les enseignements du Crédit Social quelque doctrine en opposition avec celles de l'Église catholique, pourquoi ne pas le démontrer honnêtement et franchement ? Les méthodes de coulisse qu'on lui oppose, les injures dont on l'abreuve, les injustices avec lesquelles on prétend lui barrer la route, les dénonciations passionnées du haut de tribune d'où ne devraient descendre que des paroles de charité et de franchise, ne constituent que des abus d'autorité qui n'arrêteront pas le mouvement, mais finiront par nuire à ceux qui s'en rendent coupables. Hélas ! n'est-ce pas déjà commencé ?...
Quoi que l'on entreprenne contre eux, les apôtres du Crédit Social veulent rester de bons catholiques, des catholiques pratiquants, de fidèles paroissiens qui paient leurs redevances et donnent aux quêtes selon la mesure de leurs moyens. Ils veulent aussi animer leur travail de cet esprit surnaturel qui rend tout effort méritoire, même s'il n'obtient pas le succès sur cette terre.
Les apôtres du Crédit Social évitent dans leurs discours tout acte qui pourrait diminuer la religion et ses ministres. Et ils attendent toujours que l'on veuille bien leur démontrer en quoi ils pèchent contre Dieu et la religion de Jésus-Christ.
En attendant cette démonstration, ils continuent à travailler, souffrant en silence les injures et les insinuations malveillantes, même si elles partent de lèvres dont on était mieux habitué à entendre prêcher la charité évangélique ou la dévotion au Sacré-Cœur. Les grands du jour ne trouvent-ils pas, hélas ! des courtisans dans tous les milieux ?
Confiants dans la justice de leur cause et dans l'avenir qui les vengera, forts d'accomplir sur le terrain économique un véritable apostolat, ils adressent de ferventes prières à leur Mère du Ciel, la Vierge Marie, Reine de l'ordre, de laquelle ils attendent toute force et toute victoire.
Et c'est leur droit, même s'ils doivent se passer de bénédictions prodiguées à d'autres.
Georges Cardinal, Montréal