En Alberta

le mercredi, 01 mars 1939. Dans Cahiers du Crédit Social

Le 22 août 1935, la province d'Alberta s'élisait une nouvelle chambre législative. Le gouvernement sortant de charge était du parti des Fermiers-Unis. Les libéraux formaient l'opposition officielle. Mais l'Alberta ne vota ni libéral, ni conservateur, ni fermiers-unis. Quelque chose de tout à fait nouveau : oubliant les partis, la province vota pour une doctrine, pour le crédit social, pour la sécurité économique garantie à chaque citoyen par un dividende mensuel de vingt-cinq dollars. Ce ne fut aucun des programmes élaborés par la clique de l'un ou de l'autre des partis qui recueillit la majorité des votes, mais bien le programme choisi par le peuple lui-même.

Surprise partout. Combien de gens ailleurs qu'en Alberta avaient jamais entendu parler de crédit social ? Mais l'adversaire savait. Le mot d'ordre fut subtilement lancé : les journaux ridiculisèrent le vote et les voteurs, l'objectif et ceux qui le poursuivaient. On fit passer les Albertains pour des dupes, la doctrine créditiste pour une utopie, ses protagonistes pour des charlatans.

L'explication

La recherche des facteurs déterminant le vote albertain, si différent des votes traditionnels, ne semble pas avoir tracassé une minute les méninges de nos scribes d'occasion ou de carrière. Conclure que la majorité des Albertains cherchaient un fromage dans la lune, c'est au moins simpliste de la part de ceux qui cuisinent quotidiennement la nourriture intellectuelle de la multitude.

 Lorsque les électeurs d'Alberta furent appelés aux urnes en août 1935, on comptait dans cette province 1,140 cercles d'étude d'adultes. D'adultes, remarquez bien, pas de frais émoulus des bancs d'école ni d'enfants de Marie. 1,140 groupes, plus de 50,000 citoyens et citoyennes qui, depuis six à vingt-quatre mois, étudiaient la question économique et particulièrement la question monétaire. Ce nombre dans une province dont la population n'est que le tiers de celle de la province de Québec ! Est-ce quand on étudie sur cette échelle qu'on se laisse collectivement duper ?

Troisième parti ?

Était-ce un nouveau parti dans l'arène parlementaire ?

Prêchant la doctrine du Crédit Social depuis 1933, Aberhart n'avait nullement l'intention de former un parti politique pour en demander l'application. Il espérait que, sous la force de l'opinion publique éclairée sur ce sujet, le parti au pouvoir légiférerait dans ce sens. Lorsque vint l'appel au peuple, il demanda au parti des Fermiers-Unis de placer le crédit social dans son programme ; le parti refusa. Il fit la même demande à l'opposition : même refus. Le cas fut posé devant la Ligue ; celle-ci décida de présenter des candidats indépendants qui prendraient leurs ordres du peuple puisque les autres refusaient de le faire.

On connait le résultat du scrutin. Le peuple voulait majoritairement le crédit social; il sut le dire en mettant au rancart ceux qui refusaient d'entendre sa voix.

La députation créditiste forme-t-elle bien un nouveau parti, ou est-ce l'union de citoyens et de citoyennes, abstraction faite des partis, pour réclamer ce que la multitude veut et ce que les vieux groupes inféodés à la finance refusent d'accorder ? On l'interprétera comme on voudra: il reste qu'un peuple éclairé a voulu des serviteurs à lui, payés par lui, et non plus des valets de la bancocratie payés par lui pour lui faire accepter des conditions imposées par les maîtres de la finance.

Le mandat reçu

Voilà donc, en 1935, un gouvernement élu avec un mandat bien clair de la part de la majorité: sécurité économique garantie par un dividende mensuel, sans augmentation de taxes, et abaissement du coût de la vie. Le gouvernement d'Aberhart a-t-il exécuté ce mandat?

Aberhart avait demandé dix-huit mois pour préparer la mise en marche du nouveau régime. Ce pouvait être assez dans un pays souverain, ou dans une section du pays que laisserait faire l'autorité suprême. Il lui était réservé, hélas ! de découvrir devant lui un ennemi puissant, bien protégé à Ottawa et qui ne fléchirait pas même devant la voix de toute une province. Pendant ces dix-huit premiers mois, qui furent d'ailleurs passablement occupés à essayer de sortir, sans trop s'écarter des manières orthodoxes, du pétrin financier dans lequel il avait trouvé la province, la grande erreur d'Aberhart fut, pensons-nous, de croire que l'adversaire coopérerait avec lui. Ce fut de ne pas commencer par prendre en main un pouvoir qu'il n'avait qu'en apparence et qu'exerçait en réalité la puissance occulte et internationale qu'on appelle souvent, avec raison, le gouvernement invisible, Il ne devait pas tarder à l'apprendre et il est bon, peut-être, que les faits soient arrivés ainsi pour desiller les yeux du reste du pays.

La population d'Alberta avait exprimé sa volonté, elle continuait d'insister, par l'entremise de ses députés, pour que cette volonté fût accomplie. C'était le devoir du gouvernement démocratique d'Edmonton d'engager des experts, des techniciens, pour exécuter cette volonté de ses mandants, et non pas de jouer lui-même à l'expert, de tâtonner avec des méthodes et d'occuper laborieusement la scène pendant que les vrais meneurs se réjouiraient dans les coulisses. Les financiers, les banquiers, et leurs fidèles d'Ottawa ne dirent rien tant que le gouvernement d'Edmonton ne fit que des essais d'expertise; la résistance commença lorsque Edmonton eut engagé le technicien Byrne, choisi par le major Douglas lui-même.

La résistance d'Ottawa

Conseillé par son expert et guidé par le mandat clair reçu de l'électorat, Aberhart s'appliqua dès lors à débouter, ou au moins à démasquer l'adversaire. Les lois qui furent l'une après l'autre passées par la législature provinciale visaient à revendiquer pour le gouvernement un pouvoir détenu par des usurpateurs. On sait le sort qu'eurent ces lois l'une après l'autre. Ce n'était plus Aberhart suivant les directives d'un Major; c'était l'homme d'état conscient de son mandat et opposant la volonté de tout un peuple aux puissances d'oppression.

La loi pour la réglementation du crédit de la province, la plus importante, avait pour but de placer les institutions financières au service du peuple, de façon à ce que celui-ci eût accès au crédit créé par son travail et son initiative. C'était rétablir l'ordre: lorsqu'un pays est capable de produire et de fournir des biens, la finance doit lui permettre de le faire et non pas l'en empêcher.

Cette loi fut signée par le lieutenant-gouverneur d'Alberta le 11 août 1937. Dès le 17 août, six jours seulement plus tard, elle était désavouée par Ottawa.

Pourquoi ?

Pourquoi la résistance à Ottawa, lorsque l'Alberta, par sa législation, veut prendre en main le contrôle du crédit albertain au lieu de laisser ce contrôle entre les mains d'institutions cherchant le profit de leurs actionnaires et ignorant l'intérêt public? Cette résistance s'accorde-t-elle bien avec le crédo progressif du parti libéral au pouvoir et avec les idées exprimées par son propre chef? N'est-ce pas Mackenzie King lui-même qui définissait ainsi les vues du parti libéral, il y a moins de quatre ans:

"Le parti libéral croit que le crédit est une affaire publique, qui ne concerne pas les banquiers seulement, mais qui intéresse directement le citoyen ordinaire. Le parti libéral se prononce pour l'établissement immédiat d'une banque nationale bien constituée pour le contrôle de l'émission de monnaie en termes du besoin public. La circulation monétaire doit être en rapport avec les besoins domestiques, sociaux et industriels du peuple canadien."

Le même Mackenzie King ne déclarait-il pas, à l'ouverture de la dernière campagne électorale fédérale:

"Dès qu'une nation a cessé de contrôler elle-même sa monnaie et son crédit, il importe peu qui fait les lois de cette nation. L'usure une fois au contrôle ruinera n'importe quel pays. Tant que le contrôle de la monnaie et du crédit n'aura pas été restitué au gouvernement et reconnu comme sa responsabilité la plus évidente et la plus sacrée, il est vain et futile de parler de démocratie et de souveraineté du parlement."

Pendant la même campagne, le même chef libéral, aujourd'hui au pouvoir avec une majorité décisive qui lui permet de tout faire, faisait applaudir cette fière déclaration à Saskatoon :

"Si mon parti reprend le pouvoir, nous ferons valoir notre politique monétaire dans la plus grande bataille entre les puissances financières et le peuple dont le Canada ait jamais été témoin."

On est témoin, en effet, de la bataille entre le peuple et les puissances financières, et on sait qui la mène. Mais où donc est le champion libéral? Dans lequel des deux camps?

Parlant plus expressément du mouvement créditiste albertain, le même chef libéral encore disait, à Leask, en Saskatchewan, le 23 septembre 1935, trente-deux jours après les élections albertaines et vingt et un jours avant les élections fédérales:

"Si le Crédit Social a une chance de faire sa preuve, c'est bien dans l'Alberta. William Aberhart possède en main toute la province et, si le parti libéral revient au pouvoir, Aberhart aura toute latitude pour essayer le plan."

Le parti libéral est revenu au pouvoir. Latitude laissée à Edmonton: la loi pour prendre le contrôle du crédit est désavouée par le gouvernement de Mackenzie King six jours après avoir reçu la signature du lieutenant-gouverneur d'Alberta.

Que visait donc la législation albertaine ? La même chose que le chef libéral avait proclamée si indispensable à tout régime démocratique, à toute souveraineté d'un parlement. Qui donc gouverne à Ottawa ?

Qui ?

Est-ce vous ou moi qui avons demandé le désaveu de la loi albertaine ? Sont-ce les citoyens intéressés, ceux d'Alberta ? Sont-ce nos députés fédéraux ? (ils étaient en vacance !)

Si l'on veut savoir d'où sont venues les demandes de désaveu, on n'a qu'à consulter le document sessionnel No. 117, récemment déposé sur la table de la Chambre des Communes, à la demande de M. Poole, député de Red Deer. Ce document produit les lettres et télégrammes adressés à Ottawa à cette occasion. Il confirme l'assertion que l'agitation vint, dans l'ensemble, des grandes institutions financières et des gros intérêts privés.

Exemple, une lettre de Sir Edward Beatty, président du C.P.R., au très honorable Mackenzie King, dans laquelle on lit :

"Nous nous croyons donc justifiables de penser que vous considérerez favorablement les pétitions pour le désaveu de cette législation."

Et dans la réponse :

"Mon cher Sir Edward,

J'ai à peine besoin d'ajouter que cette législation est actuellement l'objet d'une étude attentive de la part du gouvernement."

Nombre de pétitions proviennent de chambres de commerce (Ces chambres ont-elles bien changé de mentalité depuis que la Chambre de Commerce de New-York d'il y a un siècle et demi fêtait Hamilton pour avoir conféré aux banquiers privés américains le contrôle de la monnaie que la constitution réservait au Congrès ?). La principale de ces pétitions est un long télégramme signé par H. W. Morgan, au nom de la Chambre Canadienne de Commerce. Ce fut sans doute le signal qui fit faire queue à toutes les chambres moutonnes.

Ne craint-on que le succès ?

Dans une lettre ouverte au premier-ministre du Canada, un Albertain, Glenn Torridon, disait en terminant :

"Notre vieille planète est couverte de richesses chargée de choses que le monde réclame parce qu'il en a besoin ; mais qu'il ne peut avoir parce que vos amis les banquiers contrôlent l'émission des titres qui en permettraient la distribution. Et vous les appuyez ! Il est vrai que la seule raison qui vous fait, vous et les banquiers, mettre obstacle à l'exécution de ce que nous savons propre à distribuer l'abondance, c'est que vous avez peur des résultats, résultats qui démontreraient au monde combien cette distribution est facile."

On a, dans cette dernière phrase, l'explication probable de l'opposition acharnée apportée par les puissances financières, et leurs subalternes d'Ottawa, à l'expérience albertaine. L'expérience réussirait, et tous les pays du monde tourneraient vite le dos au vieux système rothschildien. On entend parfois certains critiques dire : Le Crédit Social est magnifique, mais sa réalisation est impossible. Si elle était impossible, pourquoi tant d'opposition, de la part de ses adversaires, à la simple expérimentation par un tout petit peuple ? Ils savent bien, allez, que le Crédit Social est non seulement réalisable, mais très facilement réalisable.

De cette brève revue des luttes albertaines, de la persistance d'Ottawa à exercer un pouvoir depuis longtemps délaissé, et à l'exercer en faveur de la bancocratie contre la volonté incontestable de toute une province, faut-il conclure que l'Alberta doit capituler et qu'il n'y sera plus question de l'exploitation du crédit de la province par son gouvernement en faveur de son peuple ? Ce serait ignorer, comme le font généralement nos grands journaux, ce qui se passe de très important dans cette section du pays. Ce serait aussi refuser d'admettre la valeur de l'étude et méconnaître la force indestructible d'une opinion publique éclairée.

Le mouvement créditiste en Alberta ne fut pas l'effet d'une impression passagère, d'une étoile filante dans le ciel de l'ouest. C'est le résultat de l'étude. Il naît d'une conviction. Les groupes d'étude sont demeurés et se sont développés. On en compte aujourd'hui 1,200. L'idéal démocratique ─ pas la farce qu'on a dans nos vieux partis ─ y est plus affermi que jamais. La volonté du peuple est toujours là ; elle s'exprime toujours ; le gouvernement d'Edmonton se croit toujours élu pour servir le peuple et non les maîtres de l'argent ; le technicien engagé par le gouvernement pour exécuter la volonté du peuple est toujours là. Si l'instauration du crédit social se heurte à des forces puissamment retranchées, il n'y a pas pour cela de capitulation. La conduite de la guerre peut nécessiter une stratégie différente, un détour, une prise en flanc ; mais elle se poursuit.

Nous allons justement, dans l'article suivant, exposer le fameux Programme Intérimaire inauguré en Alberta il y a quelques mois et dont les effets bienfaisants se font déjà sentir. Cette étude aura l'avantage de nous faire comprendre, mieux peut-être que n'importe quel discours, ce qu'est le Crédit Social, la possibilité du Crédit Social et les avantages qu'il procurerait à la société.


Sous un régime où le pouvoir consiste dans la permission de signer des débentures, quelle est la différence entre un chef libre et un chef enchaîné ? ─ Le premier aspire au pouvoir ; le second est assis au pouvoir, Exemple : Premier acte ─  "Si le parti libéral arrive au pouvoir le gouvernement d'Aberbart aura toute latitude pour expérimenter le système du Crédit Social en Alberta." (Mackenzie King à Leaske, en Saskatchewan, le 23 septembre 1935). Deuxième acte ─ le 17 août 1937, désaveu rapide et formel des lois créditistes d'Aberhart par le gouvernement de Mackenzie King.

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Le Ministère de la Santé en Angleterre se réjouit de ce que 177,000 enfants de plus que l'année dernière reçoivent chaque jour leur verre de lait à bon marché. Un verre, quand il faudrait au moins une chopine (leur verre est le tiers de la chopine). Deux millions d'enfants ne reçoivent encore aucun lait. Pas assez de vaches ou pas assez d'argent ?

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