Dans le numéro précédent de Vers Demain, nous avons parlé d’un prêtre américain, l’abbé Charles Coughlin, qui avait compris que l’émission de l’argent appartenait à la société, et non aux banques privées. Nous parlons cette fois-ci d’un prêtre d’Irlande, l’abbé Peter Coffey (1876-1943), docteur en philosophie et professeur de métaphysique au célèbre collège de Maynooth, qui appuyait la réforme du Crédit Social, ou Démocratie Économique, de l’ingénieur écossais Clifford Hugh Douglas, avec son dividende et escompte compensé. Voici ce qu’il écrivait, le 3 mars 1932, dans une lettre à un Père jésuite canadien:
«Les difficultés posées par vos questions ne peuvent être résolues que par la réforme du système financier du capitalisme, selon les lignes suggérées par le Major Douglas et l’école créditiste du crédit. C’est le système financier actuel qui est à la racine des maux du capitalisme. L’exactitude de l’analyse faite par Douglas n’a jamais été réfutée, et la réforme qu’il propose, avec sa fameuse formule d’ajustement des prix, est LA SEULE réforme qui aille jusqu’à la racine du mal.
«J’ai étudié le sujet durant 15 années et je considère une réforme financière (telle que proposée par Douglas) comme essentielle au rétablissement d’un système économique chrétien de propriété largement répandue et par conséquent, la seule option à opposer à celle d’un communisme révolutionnaire, violent et athée.
En 1940, l’abbé Coffey écrivait la brochure suivante, dont le titre fait référence à la fameuse phrase de Jésus dans l’Évangile (Lc 16, 13): «Vous ne pouvez servir deux maîtres... Dieu ou Mammon (Dieu ou l’argent)»:
par l’abbé Peter Coffey
Les maux économiques et politiques de la société crèvent les yeux; mais encore faut-il déterminer scientifiquement leurs causes si l'on veut apporter le remède approprié...
Quel est le but de l'organisation économique? Vise-t-elle à fournir du travail à tout le monde? Ou bien son but n'est-il pas plutôt de produire le plus de biens possible, marchandises et services, avec le moins de peine possible?
Les méthodes agricoles et industrielles améliorées augmentent le rendement du travail humain. Souvent même, elles remplacent le labeur de l'homme par des machines, surtout depuis la grande guerre (1914-1918). Si bien qu'aujourd'hui, la société organisée peut fournir assez de biens utiles pour satisfaire les besoins vitaux de tous les hommes. Et cela tout en diminuant progressivement la part du labeur humain.
De là.... le blâme qu'on jette sur la machine, sur le progrès, au lieu de chercher pourquoi on empêche la distribution des produits de la machine...
D'une part, le peuple entend parler... de récoltes diverses délibérément réduites; de richesses de toutes sortes que l'on détruit systématiquement plutôt que de les distribuer pour la consommation; d'usines et de machines ne fonctionnant que par intermittence; de milliers d'hommes valides, avides de travailler, et forcés au chômage.
D'autre part, ce même peuple entend dire et constate que des millions d'êtres humains vivent dans une pauvreté abjecte; que le droit naturel au mariage est frustré, parce que le système est incapable de distribuer l'abondance des richesses qu'il est capable de produire.
Mais le peuple, tout en se rendant compte de l'absurdité de cette situation et tout en réclamant contre elle, ignore tout de même la cause réelle de son malheur. En désespoir de cause, il soutient et préconise des réformes futiles et illégitimes.
Ces réformes futiles et illégitimes sont le communisme et le socialisme. Illégitimes, parce qu'elles nient les droits naturels de la personne humaine. Futiles, parce qu'elles ne vont pas au vrai mal; elles ne sont pas appropriées et ne guériraient point les maux économiques dont souffre la société. D'ailleurs, les papes les ont condamnées, et pour nous, catholiques, cela doit suffire...
Le but de l'association économique est de procurer les biens matériels et les services requis par les consommateurs, par les hommes, les femmes et les enfants. Cela se fait par deux procédés bien distincts:
Le premier de ces moyens, la production, devient de plus en plus efficace. Ce n'est donc pas dans la production que se situe le mal économique dont nous souffrons.
Il faut donc chercher le mal dans le deuxième procédé: c'est la distribution qui a failli à la tâche et qui se trouve aujourd'hui paralysée.
Mais l'instrument de distribution, l'outil des échanges, c'est l'argent, la monnaie. C'est donc le système monétaire qui remplit mal sa fonction; il ne distribue pas les biens, les fruits de la production...
La monnaie est essentiellement un système de «tickets» ou bons pour faciliter les échanges de biens. La valeur ou validité de l'argent est basée sur la confiance que les hommes ont dans la capacité productrice de leur pays.
La fonction naturelle de l'argent est d'assurer continuellement la distribution de tous les biens utiles que le peuple peut produire et dont il a besoin.
Tous les gouvernements modernes ont négligé leur devoir, en abandonnant le contrôle du système monétaire à un petit groupe d'hommes qui se fichent de la fin première de l'argent et lui font atteindre un but diamétralement opposé. Ces hommes ont ainsi la haute main sur tout le pouvoir économique et même politique de la société.
Dans son encyclique Quadragesimo Anno, le Pape Pie XI attire l'attention du monde chrétien sur ce monopole international de la finance et indique quelques-unes de ses conséquences les plus désastreuses.
Les contrôleurs du régime financier actuel, c'est-à-dire les maîtres du système bancaire se sont fait réserver le droit d'émettre l'argent. Or ils ne créent et mettent l'argent en circulation que sous forme de dette qu'il faut leur rembourser avec intérêt. Par les remboursements qu'ils exigent à date fixe, ils retirent et annulent cet argent, avant même que les biens produits aient atteint les consommateurs.
Vu que l'argent est le véhicule pour faire passer les biens du producteur au consommateur, la disparition de l'argent enlève au peuple le pouvoir d'acheter toute la production faite pour lui. Le système bancaire, en retirant ainsi l'argent à contretemps et en retirant plus d'argent qu'il en avait émis, établit la rareté de l'argent en face des produits et en face du travail qui demande de moins en moins d’emploi.
De là les exportations et la concurrence effrénée pour les marchés étrangers, parce qu'il n'y a pas assez d'argent dans le marché domestique. De là, les dettes internationales. De là, les conflits économiques conduisant à la guerre. De là aussi, les hypothèques progressives sur l'agriculture, l'industrie, le capital et les ressources naturelles de la société — hypothèques qui placent l'univers à la merci de ce monopole bancaire mondial...
Une autre conséquence désastreuse soulignée par le Pape, c’est la mise en esclavage, la soumission complète de l’État, de tous les gouvernements, de tous les organismes politiques, vis-à-vis d’une ploutocratie qui n’est, en somme, qu’un État dans l’État. Véritable pouvoir politique usurpé et conduit par les monopoleurs qui contrôlent l’argent, le sang même de la vie économique.
C’est là une inversion néfaste de l’ordre. L’organisme économique et industriel de la société devrait être subordonné à l’organisation politique attitrée. Dans le domaine temporel, le pouvoir politique régulier doit être suprême. Son autorité, en effet, découle de Dieu, et non pas de la force ou de la ruse de ceux qui, animés par des sentiments de domination et de lucre, ont usurpé le pouvoir économique en usurpant le contrôle de l’argent...
Le poids des hypothèques, des dettes est devenu trop lourd et l’État se voit forcé d’intervenir et de prendre sous sa tutelle l’exercice de maintes fonctions économiques qui appartiennent de droit aux organismes économiques subordonnés à l’État.
Le Pape Pie XI, dans Quadragesimo Anno, indique quelques-uns de ces organismes coopératifs – guildes ou corporations – par lesquels seraient instaurés des méthodes plus efficaces de production et de distribution des richesses.
Mais ils ne pourront atteindre leur objectif que si l’État commence par assujettir à l’industrie le système monétaire du pays en le dirigeant légitimement vers son but: distribuer les produits de la société considérée comme productrice à la société considérée comme consommatrice...
L’État doit donc, par des actes législatifs —
Donc, tracer les grandes lignes de la politique bancaire qui doit présider à l’émission et au retrait du crédit de la société...
Le devoir du gouvernement politique et des hommes d’État qui voudront partager ses responsabilités, sera de faire adopter les lois nécessaires pour fixer la politique financière nationale. Puis donner aux administrateurs actuels du système bancaire l’ordre d’agir en sorte que le but indiqué par cette politique soit atteint.
Le système bancaire seul possède et exerce de facto le pouvoir de fabriquer et de canceller la monnaie.
La valeur, la validité, le pouvoir d’achat de cet argent ne proviennent pas de l’or, mais du crédit national, c’est-à-dire de ce que la société est capable de produire des biens pour honorer cet argent.
La société ne devrait donc pas être forcée de payer des intérêts perpétuels aux créateurs de l’argent. Elle paie tribut à des comptables qui ne font qu’enregistrer une valeur de production qui lui appartient, à elle, la société.
De plus, la société est forcée de payer ce tribut, non pas en produits qu’elle peut faire, mais en argent qu’elle ne fait pas. Le banquier exige, comme tribut, une chose que lui seul a le droit de faire. Le banquier seul fait l’argent. Or il ne fabrique que le capital, mais il demande de lui rapporter le capital qu’il a créé, plus l’intérêt qu’il n’a pas fait et que personne autre n’a le droit de faire.
Ce paiement d’intérêt, par la société, au système bancaire, sur de la monnaie nouvellement créée et qui ne coûte rien, n’est pas du tout semblable ni comparable à l’intérêt qu’un prêteur ordinaire exige sur de l’argent déjà en existence, qu’il a gagné, épargné et prêté à l’industrie.
Le système bancaire s’efforce constamment de retirer le plus tôt possible l’argent émis pour la production, sans se soucier de voir à ce que cet argent ait effectué aussi la distribution...
D’où nombre de conséquences désastreuses:
Les gouvernements ont voulu venir au secours de ces situations par divers palliatifs, par des travaux publics ou par des secours directs aux plus éprouvés.
Mais les gouvernements ne peuvent se procurer l’argent nécessaire à ces remèdes que de deux façons:
La faillite de ces remèdes est donc très évidente. Ils laisseront les consommateurs grevés d’une plus grosse dette et de plus en plus dépourvus de pouvoir d’achat...
Pour solutionner ce problème, il est clair que les gouvernements doivent:
En même temps, pour empêcher automatiquement toute inflation comme toute déflation, pour maintenir un équilibre parfait et constant entre les prix et le pouvoir d’achat, les prix doivent être soumis à un escompte national établi d’après les statistiques de la production et de la consommation. Cet escompte sera calculé de manière à combler l’écart entre les prix et le pouvoir d’achat collectif.