Les taxes sous le Crédit Social

le jeudi, 01 avril 1937. Dans Mars - Avril

On nous pose quelquefois la question: Y aura-t-il encore des taxes sous un régime de Crédit Social. A quoi je répondrai: J'espère que oui. Voilà une réponse qui demande éclaircissement, d'autant plus qu'à prime abord au moins, elle paraît à l'encontre de l'esprit du Crédit Social et à l'encontre aussi de certaines expressions rencontrées dans la littérature créditiste.

L'impôt, la taxe comme on dit plus ordinairement ici, est une contribution exigée des citoyens pour la conduite de la chose publique; c'est en quelque sorte une partie de la propriété privée rendue propriété publique.

Quand des auteurs créditistes condamnent la taxe, ils ont raison s'ils envisagent la taxe dans les conditions actuelles. Pourquoi prélever sur le pouvoir d'achat des particuliers quand l'immense production potentielle non utilisée appelle une création et une distribution de pouvoir d'achat? L'impôt dans ces circonstances revêt certainement un caractère à la fois onéreux et stupide. On saigne l'industrie déjà anémiée, on réquisitionne le fruit de sueurs et de maux de tête de ceux qui ont le privilège de travailler, pas tant pour le service public que pour nourrir et fortifier la puissance qui écrase le monde sous son talon. Des gouvernements souverains compriment leurs dépenses, restreignent les services publics, renoncent à des institutions utiles, pour équilibrer leurs budgets, pour satisfaire les exigences de ceux qui tiennent véritablement les cordons de la bourse, afin de pouvoir continuer d'emprunter leur monnaie-dette.

Douglas lui-même dit: "Toute taxe est un vol.” Pourquoi? Parce qu'il existe une réserve suffisante de crédit financier potentiel pour soulager le contribuable du fardeau total des taxes, et même laisser une marge suffisante pour le rembourser des taxes payées depuis plusieurs années. Si ce crédit financier potentiel n'est pas réalisé, c'est simplement parce que le système bancaire ne le permet pas. Les banquiers conservent leur pouvoir usurpé en tenant les peuples dans la pauvreté.

L'industrie (agricole ou manufacturière) possède ou peut fournir facilement les produits qui répondraient à une augmentation de monnaie en circulation, les produits que réclameraient des salaires créés de toute pièce pour des services publics. Mais nous n'avons encore pris le droit de régler le volume de la monnaie d'après le volume de la production. Nous marchons d'après les caprices du maître que ni vous ni moi n'élisons, mais dont vous, moi et nos mandataires de parade sommes les fidèles esclaves.

Est-il surprenant qu'on s'insurge contre l'impôt quand il enlève tant et donne si peu ? Quelle nation accepterait sans broncher de fournir des munitions aux ennemis qui harcèlent ses frontières ?

* * *

Mais c'est la taxation dans le cadre du Crédit Social que nous voulons considérer. Le Crédit Social éteindra rapidement la dette nationale – nous venons d'en parler. Les taxes, sous un régime Crédit Social, ne servent plus qu'à l'administration, aux services et aux développements publics. L'intérêt sur la dette disparu, c'est déjà une partie du fardeau en moins. De plus, l'industrie fournissant à pleine capacité, le revenu du pays étant à hauteur de ses immenses moyens de production, l'impôt, quand bien même le total prélevé resterait ce qu'il est aujourd'hui, représenterait une bien plus petite proportion des produits du travail.

Disent certains: Puisque sous un régime crédit social, vous monétisez la production, puisque les surplus de la production sur le pouvoir d'achat existant permettent une émission de nouvelle monnaie, pourquoi le gouvernement ne prendrait-il pas ce surplus pour administrer et payer des travaux publics, au lieu de recourir à la taxe?

Ce serait certainement un moyen de distribuer les disponibilités, d'élever le pouvoir d'achat au niveau de la production autrement que par l'escompte compensé et par le dividende national, mais qui serait loin d'avoir les effets bienfaisants de l'escompte et du dividende. Il prêterait le flanc au favoritisme, à la corruption électorale et aussi à l'inflation, car sans le mécanisme de l'escompte compensé, vous n'avez pas de valve régulatrice pour empêcher le développement exagéré de la capacité de production pendant que la production actuelle reste invendue. Ce serait la perpétuation des alternances de prospérité passagère et de crises ruineuses, toujours accompagnées de confiscations et de centralisation de la richesse. On aboutirait vite à l'ingérence des politiciens, à l'engraissement de leurs amis, à la dilapidation du crédit de la société.

D'autres suggèrent qu'une partie seulement des surplus soit remise au gouvernement du jour pour supprimer ou diminuer l'impôt. Nous croyons qu'il est préférable de remettre tout le surplus aux consommateurs eux-mêmes et de prélever par des taxes les sommes nécessaires pour l'administration. Pourquoi ? Premièrement, pour éviter de la part des hommes qui tiennent les rênes les abus possibles que nous signalions tout à l'heure. Deuxièmement, parce que le citoyen suit de plus près la chose publique quand il sent qu'il y va de ses deniers. Troisièmement, parce que, si le gouvernement prend directement une partie du crédit national, tout le monde, riche ou pauvre, contribue au même degré à l'administration, puisque la somme ainsi remise au gouvernement appartenait à tout le monde. Au lieu que si vous distribuez d'abord cette somme à tous les consommateurs et que vous recourez à l'impôt pour retirer le même montant du public, vous pourrez, par une répartition équitable de l'impôt, prendre moins au pauvre et plus au riche. La taxe ainsi comprise est donc plus favorable à l'exercice de la justice sociale. Il est juste que ceux qui, pour des raisons ou d'autres, retirent le plus de la société contribuent davantage à la structure de la société.

N'oublions pas, d'ailleurs, que sous le crédit social, la taxe perd son aspect d'opération pénible: elle prend la forme d'honoraires, contribution pour services publics rendus. Ces services, même multipliés, deviennent faciles à soutenir quand l'industrie, délivrée de ses liens, marche à plein rendement. Plus la technique, la science et la machine entrent dans la production, plus l'homme devient libre de s'accorder de nouveaux et meilleurs services sociaux, hygiéniques, éducationnels, etc., la seule limite étant la capacité de l'industrie à fournir les produits auxquels donnent droit les salaires plus les dividendes.

Louis EVEN

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