Les banques à charte du Canada vont-elles revenir à la charge ? Est-ce une annonce isolée que nous découpons dans Le Progrès du Golfe du 30 juillet, ou est-ce le commencement d'une série nouvelle destinée à toute la presse du pays, pour préparer les esprits à accepter le renouvellement des privilèges bancaires en 1944 ?
Tous les dix ans, la loi des banques à charte est remise en considération devant la Chambre des Communes ; l'année prochaine est l'année décennale pour cette revision.
Dans l'annonce en question, les banques à charte déclarent :
"La quantité de la monnaie et le volume du crédit relèvent de la politique monétaire du pays."
C'est-à-dire que le volume de l'argent et du crédit en circulation ne dépend pas des banques à charte, mais de la politique monétaire du pays.
Et qui donc décide de la politique monétaire du pays ?
Les banques à charte nous disent que le volume de l'argent est régi par la Banque du Canada. Quelques jours auparavant, pourtant, le ministre des Finances, M. Ilsley, déclarait que le gouvernement ne peut demander à la Banque du Canada de financer le pays en augmentant l'argent, parce que pour chaque dollar d'augmentation provenant de la Banque centrale, les banques à charte mettraient dix dollars de crédit nouveau en circulation, ce qui causerait l'inflation.
Citons le Hansard du 24 juillet dernier, page 5792 de l'édition française. Par l'Honorable M. Ilsley :
"Les banques à charte, en tant qu'elles participent au commerce bancaire normal, que les banques ont exercé de cette manière depuis un grand nombre d'années, et probablement depuis des siècles, se servent de leurs réserves en espèces comme base du crédit qu'elles accordent. De fait, leurs obligations envers les déposants sont dans bien des cas, conformément à la loi, vingt fois plus considérables que leurs réserves en espèces. Cependant, d'ordinaire, elles sont d'environ dix fois le montant de leurs espèces ; et si les opérations bancaires doivent être profitables, les banques multiplient inévitablement le montant du médium d'échange environ dix fois.
"Ainsi, si nous empruntons un milliard de la Banque du Canada, la conséquence normale sera que, dans notre pays, le médium d'échange s'accroîtra peut-être jusqu'à dix milliards."
Voilà qui est clair. Sur une piastre, les banques en créent en moyenne neuf autres. Elles ont d'ailleurs le droit, légalement, d'en créer dix-neuf autres. Et elles nous disent que le volume du crédit ne dépend pas d'elles !
C'est même avec cette création que "les opérations bancaires deviennent profitables", assure le ministre.
Le même ministre le répète un peu plus loin (page 5723) :
"Si nous forcions les banques à maintenir un rapport de 100 pour cent entre leurs prêts et leurs espèces, tout bénéfice leur deviendrait impossible."
Le ministre ne parle pas en créditiste. Il est opposé au Crédit Social et protège les banques. Mais il ne peut pas dire que les banques ne créent pas d'argent : c'est trop connu aujourd'hui. Il s'est fait de la lumière depuis dix ans !
À M. Kuhl, un député qui faisait remarquer au ministre que les banques ont toujours assuré que leurs profits venaient des épargnes de leurs clients, non pas des créations de crédit, le ministre répond (page 5723) :
"Peu importe ce qu'elles prétendent. Je ne prends pas la part des banques. Par le passé, bon nombre d'entre elles se sont trompées dans leurs prétentions. Loin de moi de vouloir toujours leur donner raison, mais je soutiens qu'elles ne pourraient se maintenir en affaires. Comment le pourraient-elles ?"
Les Caisses Populaires se maintiennent bien en affaires, elles, par, les prêts des épargnes de leurs sociétaires. Mais nos dames les Banques ne sont capables de se maintenir en affaires que grâce à leur création du médium d'échange. C'est dit et écrit, en blanc et en noir, par l'Hon. Ilsley.
"Elles se sont trompées dans leurs prétentions," admet doucement le ministre. Qu'il dise donc plutôt qu'elles ont trompé et cherchent encore à tromper délibérément le public. L'annonce que nous citons en fait foi.
Mais que les langues sont donc ingrates ! Le gouvernement fédéral les défend contre les députés qui critiquent le système. Le pauvre ministre des finances s'épuise pour elles. Or, elles s'en viennent lancer au public :
"Le volume de l'argent et du crédit dépend de la politique monétaire du pays."
Ce qui jette sur le gouvernement tout le blâme du manque d'argent dans le pays de 1930 à 1940.
Ainsi, on a eu une crise de dix années, nos familles ont souffert on sait quoi et combien, nos gouvernements étaient accroupis comme des paralysés — tout cela simplement parce que le gouvernement du Canada avait une mauvaise politique monétaire ! Quelle accusation formidable !
Comment se fait-il que le gouvernement ne poursuive pas les banques à charte pour libelle diffamatoire ? Ou pourquoi au moins ne leur inflige-t-il pas un démenti public catégorique ?
Et si les banques à charte avaient raison, c'est le gouvernement canadien de 1930 à 1940, donc les deux administrations, la rouge et la bleue, qu'il faudrait passer devant le tribunal et rendre responsables des familles brisées, des santés ruinées, des vies raccourcies. "
Mais ce sont les banques qui mentent. Le ministre Ilsley dit vrai. Les banques créent l'argent lorsqu'elles prêtent un compte créditeur à un emprunteur. Et les banques retirent l'argent de la circulation lorsqu'elles pressent le remboursement.
Le jeu n'a plus de mystère pour quiconque s'est donné la peine d'examiner la situation :
D'une main, de la droite, disons, le banquier crée l'argent lorsqu'il prête. Mais, justement parce qu'il prête et qu'il ne donne pas, il exige, de l'autre main, le retrait de tout l'argent prêté, et un peu plus à cause de l'intérêt.
Lorsque la droite fonctionne, l'argent augmente. Lorsque la gauche fonctionne, l'argent diminue.
Par contrat, la gauche doit fonctionner plus que la droite — ce qu'elle fait effectivement en temps de déflation, appelé crise. La déflation, la crise, est le fruit normal du système bancaire actuel. Comme, cependant, le banquier peut étendre ses contrats, ou se contenter des intérêts, surtout lorsque ses débiteurs sont les gouvernements, la gauche peut retarder ses mouvements ; la droite l'emporte alors, et l'argent augmente à coups de dettes qui s'empilent.
Le choix est entre la crise où l'on meurt faute d'argent, et la guerre ou la prospérité où l'on vit un peu mieux par des augmentations de dettes.
Au cas où l'on croirait le ministre des finances influencé par la petite poignée de députés créditistes lorsqu'il fit les déclarations citées ci-dessus, appelons d'autres témoins.
Avant Ilsley, le gouverneur de la Banque du Canada, l'hon. Towers, qui s'y connaît en fait de banques à charte, puisqu'il fut à la direction de la plus grosse d'entre elles, la Royal Bank, déclarait, sous serment :
"Lorsqu'une banque à charte achète un million d'obligations du gouvernement, elle crée un million d'argent nouveau."
Avant Ilsley et avant Towers, le gouverneur Eccles, de la Federal Reserve Bank des États-Unis, donc le personnage le plus haut placé dans la hiérarchie bancaire de la grande république, disait :
"Les banques peuvent créer et détruire de l'argent. Le crédit de la banque est de l'argent. C'est l'argent avec lequel on fait la plus grosse partie des affaires."
Les banques peuvent créer et détruire l'argent. Et elles font l'une et l'autre opération.
Un économiste éminent, qui fut un des principaux officiels du Trésor Britannique, R. G. Hawtrey, écrit :
"Lorsqu'une banque prête, elle crée de l'argent avec rien (creates money out of nothing)."
Un autre économiste très orthodoxe, J.-Maynard Keynes, l'auteur présumé du plan monétaire "Bankor" pour l'après-guerre, devenu ces dernières années membres du conseil de direction de la Banque d'Angleterre, donc pas un petit personnage et nullement créditiste, écrit sans hésiter :
"Il ne peut y avoir aucun doute que tous les dépôts sont créés par les banques."
La 14ème édition de l'Encyclopaedia Britannica exprime la même chose, non moins carrément :
"Les banques créent le crédit. C'est une erreur de croire que le crédit des banques provienne d'une façon tant soit peu considérable de l'argent apporté aux banques. Un prêt fait par une banque est une pure addition au montant de l'argent de la collectivité."
Succession Vernon Knowles
En voilà assez, croyons-nous, pour renvoyer à son laboratoire de mensonges le publiciste des banques à charte du Canada.
"Ce pouvoir (économique discrétionnaire) est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que sans leur consentement nul ne peut plus respirer." Pie XI
Il y a quatre ans, le publiciste de l'Association des Banquiers Canadiens était Vernon Knowles. Il essaya tout pour arrêter le flot de lumière projeté sur l'action des banques :
mensonges à la radio dans l'ouest ;
mensonges dans tous les journaux du pays ;
mensonges dans son document aux autorités religieuses, à la suite de la fameuse déclaration de neuf savants théologiens de la province de Québec, concernant le Crédit Social.
Vernon Knowles n'eut pas le dernier mot en 1939. Son successeur ne l'aura pas plus cette année.