Ce mensonge-là ne prend plus

Louis Even le dimanche, 15 août 1943. Dans Banques

Une annonce des banques

Les banques à charte du Canada vont-elles re­venir à la charge ? Est-ce une annonce isolée que nous découpons dans Le Progrès du Golfe du 30 juillet, ou est-ce le commencement d'une série nou­velle destinée à toute la presse du pays, pour pré­parer les esprits à accepter le renouvellement des privilèges bancaires en 1944 ?

Tous les dix ans, la loi des banques à charte est remise en considération devant la Chambre des Communes ; l'année prochaine est l'année décenna­le pour cette revision.

Dans l'annonce en question, les banques à char­te déclarent :

"La quantité de la monnaie et le volume du crédit relèvent de la politique monétaire du pays."

C'est-à-dire que le volume de l'argent et du cré­dit en circulation ne dépend pas des banques à charte, mais de la politique monétaire du pays.

Et qui donc décide de la politique monétaire du pays ?

Déclaration de ministre

Les banques à charte nous disent que le volume de l'argent est régi par la Banque du Canada. Quelques jours auparavant, pourtant, le ministre des Finances, M. Ilsley, déclarait que le gouverne­ment ne peut demander à la Banque du Canada de financer le pays en augmentant l'argent, parce que pour chaque dollar d'augmentation provenant de la Banque centrale, les banques à charte met­traient dix dollars de crédit nouveau en circulation, ce qui causerait l'inflation.

Citons le Hansard du 24 juillet dernier, page 5792 de l'édition française. Par l'Honorable M. Ilsley :

"Les banques à charte, en tant qu'elles par­ticipent au commerce bancaire normal, que les banques ont exercé de cette manière de­puis un grand nombre d'années, et probable­ment depuis des siècles, se servent de leurs réserves en espèces comme base du crédit qu'elles accordent. De fait, leurs obligations envers les déposants sont dans bien des cas, conformément à la loi, vingt fois plus consi­dérables que leurs réserves en espèces. Cepen­dant, d'ordinaire, elles sont d'environ dix fois le montant de leurs espèces ; et si les opéra­tions bancaires doivent être profitables, les banques multiplient inévitablement le mon­tant du médium d'échange environ dix fois.

"Ainsi, si nous empruntons un milliard de la Banque du Canada, la conséquence norma­le sera que, dans notre pays, le médium d'é­change s'accroîtra peut-être jusqu'à dix mil­liards."

Les banques créent l'argent

Voilà qui est clair. Sur une piastre, les banques en créent en moyenne neuf autres. Elles ont d'ail­leurs le droit, légalement, d'en créer dix-neuf au­tres. Et elles nous disent que le volume du crédit ne dépend pas d'elles !

C'est même avec cette création que "les opéra­tions bancaires deviennent profitables", assure le ministre.

Le même ministre le répète un peu plus loin (page 5723) :

"Si nous forcions les banques à maintenir un rapport de 100 pour cent entre leurs prêts et leurs espèces, tout bénéfice leur deviendrait impossible."

Le ministre ne parle pas en créditiste. Il est op­posé au Crédit Social et protège les banques. Mais il ne peut pas dire que les banques ne créent pas d'argent : c'est trop connu aujourd'hui. Il s'est fait de la lumière depuis dix ans !

Les banques cherchent à tromper

À M. Kuhl, un député qui faisait remarquer au ministre que les banques ont toujours assuré que leurs profits venaient des épargnes de leurs clients, non pas des créations de crédit, le ministre répond (page 5723) :

"Peu importe ce qu'elles prétendent. Je ne prends pas la part des banques. Par le passé, bon nombre d'entre elles se sont trompées dans leurs prétentions. Loin de moi de vouloir toujours leur donner raison, mais je soutiens qu'elles ne pourraient se maintenir en affaires. Comment le pourraient-elles ?"

Les Caisses Populaires se maintiennent bien en affaires, elles, par, les prêts des épargnes de leurs sociétaires. Mais nos dames les Banques ne sont capables de se maintenir en affaires que grâce à leur création du médium d'échange. C'est dit et écrit, en blanc et en noir, par l'Hon. Ilsley.

"Elles se sont trompées dans leurs prétentions," admet doucement le ministre. Qu'il dise donc plu­tôt qu'elles ont trompé et cherchent encore à trom­per délibérément le public. L'annonce que nous ci­tons en fait foi.

Elles noircissent leurs protecteurs

Mais que les langues sont donc ingrates ! Le gouvernement fédéral les défend contre les dépu­tés qui critiquent le système. Le pauvre ministre des finances s'épuise pour elles. Or, elles s'en vien­nent lancer au public :

"Le volume de l'argent et du crédit dépend de la politique monétaire du pays."

Ce qui jette sur le gouvernement tout le blâme du manque d'argent dans le pays de 1930 à 1940.

Ainsi, on a eu une crise de dix années, nos fa­milles ont souffert on sait quoi et combien, nos gouvernements étaient accroupis comme des para­lysés — tout cela simplement parce que le gouver­nement du Canada avait une mauvaise politique monétaire ! Quelle accusation formidable !

Comment se fait-il que le gouvernement ne poursuive pas les banques à charte pour libelle dif­famatoire ? Ou pourquoi au moins ne leur inflige-t-il pas un démenti public catégorique ?

Et si les banques à charte avaient raison, c'est le gouvernement canadien de 1930 à 1940, donc les deux administrations, la rouge et la bleue, qu'il faudrait passer devant le tribunal et rendre res­ponsables des familles brisées, des santés ruinées, des vies raccourcies. "

Le jeu qui détermine le niveau

Mais ce sont les banques qui mentent. Le mi­nistre Ilsley dit vrai. Les banques créent l'argent lorsqu'elles prêtent un compte créditeur à un em­prunteur. Et les banques retirent l'argent de la circulation lorsqu'elles pressent le remboursement.

Le jeu n'a plus de mystère pour quiconque s'est donné la peine d'examiner la situation :

D'une main, de la droite, disons, le banquier crée l'argent lorsqu'il prête. Mais, justement par­ce qu'il prête et qu'il ne donne pas, il exige, de l'autre main, le retrait de tout l'argent prêté, et un peu plus à cause de l'intérêt.

Lorsque la droite fonctionne, l'argent augmente. Lorsque la gauche fonctionne, l'argent diminue.

Par contrat, la gauche doit fonctionner plus que la droite — ce qu'elle fait effectivement en temps de déflation, appelé crise. La déflation, la crise, est le fruit normal du système bancaire actuel. Comme, cependant, le banquier peut étendre ses contrats, ou se contenter des intérêts, surtout lors­que ses débiteurs sont les gouvernements, la gau­che peut retarder ses mouvements ; la droite l'em­porte alors, et l'argent augmente à coups de dettes qui s'empilent.

Le choix est entre la crise où l'on meurt faute d'argent, et la guerre ou la prospérité où l'on vit un peu mieux par des augmentations de dettes.

D'autres témoignages

Au cas où l'on croirait le ministre des finances influencé par la petite poignée de députés créditis­tes lorsqu'il fit les déclarations citées ci-dessus, appelons d'autres témoins.

Avant Ilsley, le gouverneur de la Banque du Ca­nada, l'hon. Towers, qui s'y connaît en fait de ban­ques à charte, puisqu'il fut à la direction de la plus grosse d'entre elles, la Royal Bank, déclarait, sous serment :

"Lorsqu'une banque à charte achète un mil­lion d'obligations du gouvernement, elle crée un million d'argent nouveau."

Avant Ilsley et avant Towers, le gouverneur Eccles, de la Federal Reserve Bank des États-Unis, donc le personnage le plus haut placé dans la hié­rarchie bancaire de la grande république, disait :

"Les banques peuvent créer et détruire de l'argent. Le crédit de la banque est de l'argent. C'est l'argent avec lequel on fait la plus grosse partie des affaires."

Les banques peuvent créer et détruire l'argent. Et elles font l'une et l'autre opération.

Un économiste éminent, qui fut un des princi­paux officiels du Trésor Britannique, R. G. Haw­trey, écrit :

"Lorsqu'une banque prête, elle crée de l'ar­gent avec rien (creates money out of noth­ing)."

Un autre économiste très orthodoxe, J.-May­nard Keynes, l'auteur présumé du plan monétaire "Bankor" pour l'après-guerre, devenu ces dernières années membres du conseil de direction de la Ban­que d'Angleterre, donc pas un petit personnage et nullement créditiste, écrit sans hésiter :

"Il ne peut y avoir aucun doute que tous les dépôts sont créés par les banques."

La 14ème édition de l'Encyclopaedia Britannica exprime la même chose, non moins carrément :

"Les banques créent le crédit. C'est une er­reur de croire que le crédit des banques pro­vienne d'une façon tant soit peu considérable de l'argent apporté aux banques. Un prêt fait par une banque est une pure addition au mon­tant de l'argent de la collectivité."

Succession Vernon Knowles

En voilà assez, croyons-nous, pour renvoyer à son laboratoire de mensonges le publiciste des ban­ques à charte du Canada.

"Ce pouvoir (économique discrétionnaire) est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que sans leur consentement nul ne peut plus respirer." Pie XI

Il y a quatre ans, le publiciste de l'Association des Banquiers Canadiens était Vernon Knowles. Il essaya tout pour arrêter le flot de lumière pro­jeté sur l'action des banques :

mensonges à la radio dans l'ouest ;

mensonges dans tous les journaux du pays ;

mensonges dans son document aux autorités religieuses, à la suite de la fameuse décla­ration de neuf savants théologiens de la pro­vince de Québec, concernant le Crédit So­cial.

Vernon Knowles n'eut pas le dernier mot en 1939. Son successeur ne l'aura pas plus cette année.

Louis Even

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