L'Evangeline

Louis Even le dimanche, 23 janvier 1966. Dans Economie

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Louis EvenCe que je vous montre ici, c’est une page du journal L’Évangéline, le journal des Acadiens, publié à Moncton, c’est le numéro du 24 février dernier; la page est pleine de noms, vous voyez ces listes là, ce sont les noms de familles dont la maison sera vendue pour les taxes à moins que d’ici un mois ces personnes ne se mettent en règle pour leurs arrérages de taxes. Et voici maintenant une autre page, trois semaines plus tard, dans le même journal, le journal du 17 mars une autre liste pareille.

Dans la première page que je vous ai montrée, il y a 1613 noms, c’est pour la paroisse civile d’Allardville dans le comté de Dorchester. Dans la deuxième page que je vous ai montrée, il y a 1275 noms, ce sont pour les deux paroisses civiles de Inkerman et de New Bandon dans le même comté, au total 2888 familles menacées de perdre leur maison parce qu’elles ne peuvent pas trouver d’argent pour payer leurs taxes. L’homme qui nous envoie ces deux pages là demeure à Upper Sheila et il écrit en même temps. Il est du même comté, il nous écrit :

Ça n’est pas encore rendu chez-nous mais ça s’en vient. Tous les jours à la radio on nous dit de prendre $10 dans nos allocations familiales pour payer en acompte sur nos taxes.

Mes chers amis, dire à des familles qui sont pauvres, qui ont à peine de quoi vivre, quelques fois pas, qui n’ont guère que leurs allocations familiales pour vivre, leur dire de prendre $10 dans leurs allocations familiales pour donner aux percepteurs de taxes au lieu d’acheter du pain pour leurs enfants c’est extrêmement brutal, c’est inconcevable. L’Évangéline est supposé être le journal pour prendre les intérêts des Acadiens; je veux bien le croire. Je ne sais pas au juste comment le journal s’acquitte de cette mission, je ne le lis pas régulièrement. Mais en tout cas lorsqu’il publie ces listes de personnes qui sont menacées de perdre leur maison je ne vois pas comment il prend les intérêts des Acadiens. C’est simplement dire à ceux qui sont moins pauvres que ceux-là : voici une belle occasion d’aller vous enrichir à bon marché en achetant ces maisons-là rien que pour les taxes, pour les arrérages de taxes.

Non! Si au moins L’Évangéline en publiant ces listes, elle dit qu’elle est obligée de les publier mais elle est payée pour ça, sa caisse s’en trouve mieux même si les familles s’en trouvent pas mieux. Mais en tout cas, si elle est obligée de publier ces listes là pourquoi au moins dans une autre page d’Évangéline ne trouve-t-on pas des protestations contre un système pareil qui menace de faire perdre aux pauvres le peu qu’ils leur restent. ? Ces gens là n’ont plus rien excepté le toit qui les abrite. C’est quelque fois une cabane, un petit bout de ferme souvent inculte et pas cultivable surtout quand ils n’ont pas d’animaux et pas d’instruments aratoires.

Et au lieu de publier ces listes là sans protester contre ce système là, je ne vois pas bien que ça soit prendre les intérêts des Acadiens.

Ces ventes de maisons pour les taxes dispersent les familles. Est-ce que les dispersés par le fisc c’ est moins brutal que les dispersés comme ont fait les conquérants sans cœur en 1755 ?

Le journal Vers Demain proteste contre ce système et dans nos gens qui vont dans l’Acadie dans le Nouveau-Brunswick vont voir les familles, ils voient leur cas et protestent auprès des autorités, ils protestent dans le journal Vers Demain contre ce système. Et ça n’a pas l’air de plaire beaucoup à L’Évangéline la propagande que fait Vers Demain pour tâcher de libérer ces familles. Ça n’a pas l’air de lui plaire beaucoup. Nous avons justement sous les yeux des découpures de ce journal qui nous été envoyées dans lesquelles il y a les lettres au rédacteur; c’est la tribune libre du journal; ça veut pas dire que le journal endosse ce qui exprimé là dedans, mais les gens ne font pas beaucoup la différence.

D’ailleurs nous avons vu dans les articles éditoriaux signés par Jean Hubert, rédacteur régulier du journal, les mêmes avis, le même ton contre le journal Vers Demain, contre les Bérets Blancs, contre notre travail. Que disent-ils dans ces lettres ? L’une d’elles est de Réal Haché, on dit qu’il est instituteur maître d’école, il demeure à Saint Isidore. Que dit-il ? Il nous accuse de sacrilège. Pourquoi ? Il dit que nous citons l’Évangile, il nous accuse par exemple de citer l’Évangile dans laquelle Notre Seigneur dit : Pourquoi vous inquiéter du lendemain ? Regardez donc les petits oiseaux, ils ne moissonnent pas, ils ne filent pas et cependant votre Père céleste les nourrit. Regardez les lys des champs qui ne tissent pas et sont mieux habillés que Salomon dans toute sa gloire. Pourquoi alors vous inquiéter du lendemain ? N’êtes-vous pas plus que les passereaux, n’êtes-vous pas plus que les lys des champs ?

Et Réal Haché dit que nous tirons comme conclusion : vous n’avez pas besoin de travailler pour gagner votre vie. Vous n’avez qu’à vous laisser faire; c’est au gouvernement à vous faire vivre. Écoutez, ça c’est pas notre conclusion c’est l’imagination de Réal Haché qui nous prête cette conclusion là. Quelle est la conclusion que nous tirons de cette phrase de l’Évangile ? Nous disons : le système actuel empêche de suivre ces conseils de l’Évangile; on est obligé de s’inquiéter du lendemain et du surlendemain et même du jour même. Quand on n’a pas d’argent chez-soi, qu’on ne peut rien acheter au magasin, qu’on ne sait pas si on en aura demain on est inquiet; non pas parce qu’on craint qu’il manque de la nourriture dans le pays demain, non, mais on sait qu’aujourd’hui il faut de l’argent et pour s’en procurer et quand l’argent nous est refusé ça ne sert à rien d’avoir des magasins plein devant nous, ça ne sert à rien d’avoir l’abondance du Bon Dieu et du travail des hommes devant nous, nous ne pouvons rien acheter. Alors on est obligé de s’inquiéter du lendemain.

On vit dans les soucis matériels quand on devrait être justement débarrassé de ces soucis matériels à cause de l’abondance qui est devant nous. Cette abondance n’est pas faite par nos gouvernements et nous ne demandons nullement au gouvernement de faire vivre les familles, nos gouvernements n’ont pas de vaches, ils n’élèvent pas d’animaux, ils n’élèvent pas de poules, ils ne font pas d’œufs, ils n’ont absolument rien à nous fournir. Nous lui demandons simplement de faire ce qui dépend de lui : de supprimer l’obstacle purement artificiel, l’obstacle financier qui se trouve entre les produits et entre les besoins. Est-ce que Réal Haché, par hasard, accepte cet obstacle là ? Accepte-t-il qu’il y ait d’un côté des greniers pleins et en face des estomacs vides ? Et des estomacs de familles qui sont son sang, sa nationalité, acadienne comme lui ?

S’il a une meilleure chose à présenter que la doctrine que nous présentons, la doctrine du Crédit Social le dividende à tout le monde, s’il a quelque chose de mieux à présenter mais qu’il se hâte donc de le présenter au lieu de crier contre ceux qui apportent des remèdes ou qui présentent des propositions pour arrêter ce système là.

Et L’Évangile est, on dirait, bien content d’utiliser ses colonnes à des lettres comme cela parce que trois semaines plus tard il en arrivait une autre de Calixe Duguay de Bathurst celui là et il félicite Réal Haché d’avoir écrit cette lettre là; il espère qu’il y aura d’autres esprits fins comme lui sans doute et comme Hachey pour continuer à parler contre les Bérets Blancs et contre le journal Vers Demain, contre nos propositions pour résoudre le problème financier.

Et bien, Réal Haché, Calixe Duguay, L’Évangéline n’ont pas l’air du tout de s’incliner vers les pauvres. On dirait qu’ils sont bien plus collés aux riches, à ceux qui possèdent quelque chose et qui veulent tenir les pauvres dans l’humiliation. On nous dira que c’est exagéré ce que je dis là mais que font-ils pour prendre la part des pauvres au moins dans cette occasion là ? Ces lettres là ont été écrites en février et en mars, justement à l’époque où l’on voit dans L’Évangéline la liste des maisons qui vont être à vendre pour les taxes.

Il y a dans les statuts du Nouveau-Brunswick une loi qui permet de libérer les pauvres de la nécessité de payer leurs taxes. Le texte de cette loi là il est de 1952; je vais vous le lire en français :

En raison du décès, du déménagement ou de l’indigence d’un contribuable, ou de l’indigence d’un contribuable, ou pour toute autre cause, les répartiteurs peuvent en tout temps annuler en tout ou en partie l’imposition d’un contribuable simplement en donnant un ordre écrit à cet effet au secrétaire du comté où au percepteur. Il n’est nullement besoin d’aller à Frédéricton ou une autre capitale provinciale parce que le même système existe ailleurs, il n’est nullement besoin d’aller au provincial pour l’exemption des taxes. Simplement, l’accesseur lui-même, le répartiteur peut donner l’ordre au secrétaire du comté et au percepteur de taxes de cesser de collecter les taxes pour les familles pauvres.

Pourquoi est-ce que L’Évangéline le journal des Acadiens, le journal qui attaque Vers Demain, le journal qui n’aime pas notre travail, pourquoi au moins ne cite-t-il pas ce texte là dans ses pages ? Pourquoi ne demande-t-il pas aux percepteurs de taxes, aux accesseurs de sa province de tâcher de faire bénéficier les pauvres de cet article là ? On peut se le demander.

Mes bien chers amis, les personnes, les personnes humaines sont faites à l’image de Dieu; elles sont sacrées il me semble. Les familles sont la première société établie par Dieu et la seule même société temporelle qu’Il a établi directement. Il y a là aussi quelque chose de sacré.

Nos Pèlerins d’un monde meilleur vont justement aux sanctuaires des familles pour les visiter, pour visiter les personnes, pour tâcher de leur faire du bien; est-ce que c’est sacrilège que d’aller visiter ces familles ? Hachey se moque de nous parce que nous appelons pèlerins ceux qui vont dans les familles; elles sont en pèlerinage quand elles vont dans aux sanctuaires des familles; ça vaut bien n’importe quel autre sanctuaire. Quel cas, lui et monsieur Duguay font-ils de ces sanctuaires là ?

Est-ce que le sacrilège ne consiste pas justement à mettre dans la rue, à mettre sur le pavé ces personnes et ces familles ? Il me semble que c’est contre le système et non contre ceux qui le combattent que devraient crier ces fins fins là qui se présentent comme les défenseurs des Acadiens.

Mes biens chers amis, en même temps, Réal Hachey nous accuse de protester contre les taxes, de vouloir demander l’abolition des taxes. Mais nous continuerons. Quelle logique, quel bon sens y-a-t-il à prendre dans l’assiette d’un homme pour mettre dans l’assiette d’un autre quand le garde-manger est plein, car c’est ça les taxes, qu’ils veulent redistribuer l’abondance.

Vous lirez ces choses dans Vers Demain et vous serez à même de comparer ce que disent les Bérets Blancs du système.

Louis Even