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les porte-monnaie et les tiroirs du Canada? Les pro-
duits traversent, mais l’argent ne traverse point com-
me les produits.
Voilà qui démontre immédiatement que l’argent
n’a rien à faire avec le goût de l’étranger. Ce sont les
produits qui ont affaire au goût des consommateurs
où qu’ils soient. On prend le riz chinois si on l’aime, le
thé vert du Japon si on l’aime; mais on ne s’inquiète
pas une minute de savoir si le yuan chinois ou le yen
japonais sont en or, en argent, en papier, en caout-
chouc, en chiffres ou en hiéroglyphes.
Le produit est universel; mais l’argent est par es-
sence une chose interne. Une réforme monétaire dans
un pays n’a rien à voir avec les goûts, les idées ou les
gouvernements des autres pays.
Donc, l’argent ne traverse point les frontières
comme les produits; et, dans le commerce internatio-
nal, les produits sont payés par des produits ou des
services. S’ils ne le sont pas immédiatement, il y a
dette d’un côté, créance de l’autre, comme lorsqu’un
marchand vend à crédit.
Evidemment, lorsqu’un Canadien fait venir une car-
gaison de riz de Chine, il n’envoie pas en paiement une
cargaison de blé. Il va à sa banque et paie en dollars.
Le banquier livre un instrument de crédit que le Chinois
échangera dans son pays pour des yuans chinois.
Mais un autre Chinois achètera d’un autre Cana-
dien une cargaison de blé et ira à sa propre banque
pour effectuer son paiement en argent chinois. La ban-
que enverra une lettre de change au Canadien qui a
exporté le blé, et le Canadien se fera payer chez lui en
dollars canadiens. C’est en définitive la cargaison de
blé expédiée par une compagnie qui a payé la cargai-
son de riz importée par une autre compagnie.
Difficultés du commerce international
Les échanges de lettres de change se font dans les
banques ou les maisons de courtage, et la prépondé-
rance de ces lettres de change, d’un côté ou de l’autre,
détermine ce qu’on appelle le cours du change.
Mais le commerce entre les pays n’a rien à voir
avec la matière dont l’argent est fait chez le volsln.
Croit-on que l’Allemand qui nous vend sa mar-
chandise, et qui est payé chez lui en euros, se deman-
de si nous la payons ici en dollars de papier, ou en
rondelles de métal, ou avec un simple chèque tiré sur
une banque ou une caisse populaire?
Il n’y a pas la moindre difficulté de ce côté-là.
Les difficultés dans le commerce international
viennent surtout de deux choses:
1. Les pays veulent exporter plus qu’ils importent;
2. La valeur de l’unité monétaire de chaque pays
est instable par rapport à elle-même.
Première difficulté aplanie
Un pays, le Canada, par exemple, voudra expor-
ter des produits pour 2000 millions de dollars, mais
il essaiera, par des barrières tarifaires ou autrement,
de limiter ses importations à 1500 millions. Il veut en-
voyer à l’étranger des produits pour 500 millions de
plus qu’il n’en reçoit. Pas par charité: il demande paie-
ment. Mais il lui répugne d’accepter des produits en
paiement, parce qu’il veut que ses nationaux restent
bien occupés, qu’ils aient de l’ouvrage leur donnant
des salaires pour acheter les produits qui restent.
Les créditistes ont depuis longtemps compris et
dénoncé cette politique aussi absurde qu’antinaturel-
le. Mais tant qu’on continuera à vouloir que le droit au
produit vienne par les salaires seulement, tant qu’on
ne voudra pas le compléter par des dividendes pour le
hausser au niveau de la production offerte, on conti-
nuera de chercher à l’étranger du pouvoir d’achat qui
manque aux consommateurs du pays; on continuera
de faire pression pour vendre à l’étranger des produits
dont les nationaux ont besoin mais qu’ils ne peuvent
payer. Par l’exportation plus forte que l’importation, on
diminue la somme de produits en face de la somme
d’argent, au lieu de consentir à augmenter l’argent en
face des produits.
Ainsi respecte-t-on le règlement qui ne veut pas
d’autre source de pouvoir d’achat que la contribution
personnelle à la production.
Comme tous les pays, jusqu’ici, s’en sont tenus à
ce règlement, tous ont cherché à exporter aux autres
plus qu’ils importaient des autres. D’où des frictions
économiques qui nuisent au commerce international
raient-ils pas déprécier artificiellement, par contrôle
imposé, la valeur d’échange de la monnaie du pays
créditiste?»
Ils pourraient certainement intervenir, mais ça tour-
nerait contre eux-mêmes, ça produirait l’effet contraire
à leur politique financière. Supposons, par exemple,
que le Canada établisse chez lui un système créditiste,
à un moment où le dollar canadien est coté 400 francs
français. Puis, supposons que les courtiers internatio-
naux, agissant sous directives, abaissent artificielle-
ment ce cours du change à 300 francs français, pour
pouvoir dire à tout l’univers que le Crédit Social a fait
l’argent canadien perdre sa valeur. Que va-t-il arriver ?
Il va arriver plusieurs choses qui vont rebondir
contre la puissance intervenante. D’abord, au Canada,
l’argent canadien continuera à acheter, plus de pro-
duits canadiens, puisque le Crédit Social abaisse les
prix par son escompté compensé.
Puis, vu que les courtiers abaissent le prix du dol-
lar canadien sur le marché international, les autres
pays vont se jeter avec empressement sur ce dollar,
puisqu’ils l’obtiennent à meilleur marché, et puisqu’ils
obtiennent ainsi plus de produits canadiens en y met-
tant moins de leur argent.
Le résultat sera, pour le Canada, une expansion
extraordinaire de ses exportations. Ses surplus s’écou-
leront plus vite sur les marchés étrangers. Il est vrai
que, en contrepartie, le Canada devra exporter plus de
produits pour avoir des produits étrangers. Pour y faire
face, l’industrie canadienne s’efforcera de développer
chez elle la production des produits plus difficiles à
importer, et de rendre ainsi le Canada plus indépen-
dant de la production étrangère – ce qui est tout à fait
contraire à la politique des financiers internationaux. Ils
se seront ainsi porté des coups à eux-mêmes.
Mais ce n’est pas tout. Pour les pays étrangers, qui
tireraient avantage de l’abaissement du dollar cana-
dien sur le marché du change, ce serait une impor-
tation augmentée de produits canadiens. Ces pays
auraient moins à exporter pour obtenir davantage.
L’embauchage baisserait chez eux. Tout cela serait
encore contraire à la politique financière, puisque
cette politique veut que les pays exportent plus qu’ils
importent, et puisqu’elle veut imposer l’embauchage
intégral comme condition du droit de vivre. La finance
«orthodoxe» perdrait ainsi son contrôle sur l’écono-
mie interne des pays non créditistes. En voulant punir
un pays créditiste, elle perdrait les autres pays.
Le Crédit Social est donc une arme formidable.
Qu’un seul pays l’adopte, il se libère lui-même de la
dictature financière; et, si les financiers internationaux
n’interviennent pas, les autres pays voudront vite sui-
vre cet exemple et se libérer eux-mêmes. Puis, si les
financiers internationaux interviennent pour essayer
de punir le pays créditiste, ça tourne à l’émancipation
de l’économie de ces autres pays.
Louis Even
et conduisent aux frictions politiques, avec les dé-
nouements tragiques qu on sait.
Le Crédit Social, en mettant dans le pays tout
l’argent qu’il faut pour acheter toute la production du
pays, fait disparaître cette folle furie. Le pays créditiste
est prêt à exporter ses surplus, mais demande en re-
tour la même quantité de surplus des autres. Les gens
du pays créditiste ont de quoi acheter ce qui vient,
avec l’argent qui aurait acheté ce qui s’en va. Et le pays
étranger est heureux de trouver cette facilité avec le
pays créditiste.
Le Crédit Social fait donc disparaître la première
cause de friction dans le commerce international, au
moins dans le pays qui adopte le régime créditiste; le
commerce entre ce pays et tous les autres est immé-
diatement adouci et favorisé.
Deuxième difficulté aplanie
La deuxième cause, c’est l’instabilité de la valeur
d’achat de l’argent dans son propre pays.
Dans le commerce international, il s’écoule un cer-
tain temps entre la commande et le paiement de la
marchandise reçue. Le prix est accepté et les traites
sont tirées en même temps que la commande.
Un Français me vend des articles parisiens pour
une valeur de 8000 euros. J’accepte une traite qui
me fera lui verser, dans six mois, l’équivalent de 8000
euros, disons 11 500 dollars canadiens (cours du
change au moment de l’achat).
Mais si, dans six mois, la restriction de l’argent a
fait baisser la valeur du dollar canadien, je devrai peut-
être payer 13000 $ au lieu de 11 500 $ si j’avais payé
immédiatement, au moment de l’achat. C’est une in-
justice dont le risque est toujours suspendu sur la tête
des exportateurs et des importateurs, avec les infla-
tions et déflations continuelles du système.
Le Crédit Social, en maintenant toujours le volu-
me de l’argent au niveau du volume de la production,
maintiendrait beaucoup mieux la stabilité dans la va-
leur de l’unité monétaire du pays créditiste.
Les commerçants étrangers sauraient ce que si-
gnifiera le dollar canadien créditiste dans six mois ou
un an: il signifiera encore la même chose qu’à l’heure
de la vente ou de l’achat.
Le commerce avec un pays créditiste serait donc
recherché. Ceux qui disent que le Crédit Social nui-
rait au commerce international disent exactement le
contraire de ce qui est à prévoir. C’est parce qu’ils
ignorent ce qu’est le Crédit Social, ou ils ignorent ce
qu’est le commerce international.
Louis Even
Dans un article paru dans Vers Demain du 15
novembre 1953, Louis Even répond à la question sui-
vante:
«Vu que les financiers internationaux n’aiment
point le Crédit Social, et vu qu’ils ont beaucoup de
puissance sur les mécanismes d’échange, ne pour�
Dans le commerce internatio-
nal, l’argent ne traverse point
les frontières comme les pro-
duits: si vous êtes au Canada
et achetez des produits de
Chine, vous payez en dollars
canadiens, et votre client est
payé en yuans chinois.
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VERS DEMAIN mai-juin-juillet 2016
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