

tion. Cela ne tient pas debout, dit-elle. Elle juge que,
si elle peut maintenant faire son travail ordinaire
en quatre heures au lieu de dix, elle doit être libre
d’employer les six heures «sauvées» à son gré. Et
elle saura bien comment les employer, à la fois plus
agréablement et plus utilement, pour elle et les siens,
qu’en allant balayer et laver chez des voisines. (A
moins évidemment que, comme beaucoup de nos
mères de famille, elle soit obligée de s’embaucher en
dehors de son foyer pour payer les appareils qui font
son ouvrage dans son foyer ! )
Si la femme trouve votre proposition idiote, c’est
parce que la proposition est réellement idiote; mais
c’est aussi parce que cette femme ne se sent pas
obligée de l’accepter pour pouvoir vivre: il lui reste
la liberté de choix. Mais l’ouvrier, lui, le salarié qui
n’a pas d’autre source de revenu que son enveloppe
de paye, n’a point cette liberté de choix. Lorsqu’une
machine le remplace, il est simplement mis dans l’al-
ternative de trouver un embauchage ailleurs ou de
souffrir l’affamation avec sa famille.
Le progrès pour ce salarié n’apparaît guère com-
me un bienfait. Le progrès ne fait que rendre plus
précaire sa position dans l’emploi. Pour peu qu’il ait
pris de l’âge, les autres employeurs, munis eux aussi
de machinerie et d’un personnel déjà suffisant, ne
l’accueilleront point facilement. Devra-t-il mendier
ou essayer de vivre sans manger jusqu’à l’âge d’éli
gibilité pour la petite pension de vieillesse? Et sa
famille?
Mais
qui donc a fait, et qui maintient ces règle-
ments: des règlements qui vous condamnent à la mi-
sère quand des cerveaux humains trouvent le moyen
d’entretenir et augmenter le flot de produits sans le
concours de vos bras?
Un héritage commun
Le
progrès n’est point le fruit des activités d’une
personne, pas même d’une seule génération. La géné-
ration actuelle n’est pas partie de zéro. Ni les hommes
d’aujourd’hui non plus. Pas même les plus brillants
parmi eux. Le progrès est, pour l’humanité, ce qu’est
la ferme défrichée il y a sept ou huit générations, et
transmise, améliorée d’année en année, aux héritiers
d’aujourd’hui.
Le progrès est un héritage commun, le bien de
tous. Il devrait donc profiter à tous. Il ne le fera pas,
tant que la condition nécessaire pour avoir droit aux
produits sera de contribuer personnellement à la pro-
duction. Le progrès alors sèmera des victimes, à me
sure qu’il éliminera le besoin de main-d’oeuvre pour
alimenter le flot de produits.
Progrès vs embauchage intégral
Il y a contradiction manifeste entre le progrès, qui
remplace le travail de l’homme par le travail des machi-
nes, et la politique de l’embauchage intégral. L’inven-
teur travaille et est récompensé pour diminuer le besoin
d’hommes requis pour un programme donné de pro-
duction; l’embauchage intégral exige que tous les hom-
mes employables soient employés dans la production.
Le progrès est conforme aux aspirations naturel-
les de l’homme. L’embauchage intégral n’est néces-
sité que par des règlements financiers de distribution.
Fonction propre de l’industrie
L’industrie a pour but de fournir des produits, de
la meilleure qualité possible, en quantité suffisante, et
avec le minimum de consommation de matériel ou
d’énergie (énergie humaine ou énergie dérivée des
forces de la nature). Lorsqu’elle a atteint ce résultat,
elle a accompli sa fonction propre.
L’industrie n’a aucunement pour but de donner
de l’ouvrage aux hommes, mais de leur offrir des
produits; plus elle offre en embauchant moins, plus
elle est parfaite.
Oui, jusqu’à un certain point — tant que des
besoins normaux existaient et qu’on ne pouvait les
combler. Mais si votre programme de production
augmentée est conditionné par la création de nou-
veaux besoins matériels, factices et provoqués, vous
allez simplement au matérialisme, au lieu de profiter
de la libération du labeur matériel pour permettre à la
personne humaine de s’épanouir en se livrant à des
occupations de son propre choix.
Courte leçon d’un sage d’Arabie
Dans une conférence à une société féminine d’in-
génieurs, à Londres, le 19 juillet 1938, l’ingénieur C.H.
Douglas, l’auteur du «Crédit Social», racontait à son
auditoire une histoire qui avait cours dans la Royal
Air Force:
Un jour, un jeune pilote compétent, stationné à
Suez, fut envoyé en mission spéciale auprès d’un
cheik qui demeurait dans un endroit relativement
inaccessible, à l’intérieur du continent. Le voyage
d’aller lui prit seulement 30 heures. Un des buts de
sa mission était d’impressionner le chef arabe en lui
démontrant l’efficience des techniques européennes.
Aussi insista-t-il sur le fait que le voyage en avion
lui avait pris seulement 30 heures; au lieu que, s’il
avait fallu venir à dos de chameau, il en aurait pour
au moins six semaines. Ainsi, conclut-il, il avait pu
sauver près de six semaines.
Le cheik lui répondit par une simple question:
«Et
qu’est-ce que vous allez faire avec les six semaines?»
Toute une leçon dans cette question. Qu’est-ce
que notre monde moderne fait avec le temps sauvé
par la technique dans les procédés de production?
Victime, au lieu de bénéficiaire
S
i l’on installe une machine pour exécuter
l’ouvrage à votre place dans l’usine qui vous emploie,
la machine vous donne congé. Qu’est-ce que vous
allez faire du temps qu’elle vous rend ainsi ?
Ce que vous allez faire? Vous allez vous appeler
chômeur. Vous allez rentrer chez vous dans l’angois-
se. Vous allez devoir vivre d’une fraction de revenu,
manger vos économies si vous en avez, et approcher
du temps où, toute prestation cessant, vous n’aurez
plus rien. Vous allez vous torturer, vous démener,
vous arracher les cheveux, jusqu’à ce que vous ayez
trouvé quelqu’un pour vous atteler de nouveau.
Le progrès qui vous libère, c’est pour vous une
malédiction. La provocation de nouveaux besoins
matériels, ou un programme poussé d’armement, ou
une heureuse destruction qui oblige à reconstruire,
ou quelque malheur quelque part qui fait qu’on a
besoin de vous: vous appelez cela une bénédiction.
La femme à qui vous offrez d’installer chez elle
des appareils électriques,
afin qu’elle puisse aller
s’embaucher ailleurs,
n’apprécie pas votre proposi-
u
Trois livres sur le Crédit Social
Pour étudier la cause de la crise finan-
cière actuelle, nous vous offrons ces livres à
un prix spécial, en incluant les frais postaux:
Démocratie économique en 10 leçons: 12.00$
Sous le Signe de l’Abondance: 25.00$
Régime de Dettes à la Prospérité: 10.00$
En 1850, au tout début
de la Révolution industrielle,
l’homme faisait 20% du tra-
vail, l’animal 50%, et la ma-
chine 30%. En 1900, l’hom-
me accomplissait seulement
15% du travail, l’animal 30%,
et la machine 55%. En 1950,
l’homme ne faisait que 6%
du travail, et les machines
accomplissaient le reste —
94%. Et nous n’avons encore
rien vu, puisque nous en-
trons maintenant dans l’ère
de l’ordinateur. Une «troisiè-
me révolution industrielle» a
commencé avec l’apparition
des transistors et de la puce
de silicone, ou microproces-
seur.
Regardez la caricature ci-
contre: c’est un fait, le progrès — l’automation, les
robots, la technologie — remplace de plus en plus
le labeur humain. Les ouvriers ainsi remplacés par la
machine se retrouvent sans emploi. La technologie
est-elle donc un mal ? Faut-il se révolter et détruire
les machines parce qu’elles prennent notre place?
Non; comme l’explique si bien Louis Even, si
le travail peut être fait par la machine, tant mieux,
puisque cela permet à l’homme de se consacrer à
d’autres activités, des activités libres, des activités
de son choix. Mais cela, à condition de lui donner un
revenu pour remplacer le salaire qu’il a perdu avec
la mise en place de la machine; sinon, la machine,
qui devrait être l’alliée de l’homme, devient son ad-
versaire, puisqu’elle lui enlève son revenu et l’empê-
che de vivre. Cela rappelle ce que le Pape Jean-Paul
II avait dit à Toronto, le 15 septembre 1984:
«La technologie a tant contribué au bien-être
de l’humanité; elle a tant fait pour améliorer la
condition humaine, servir l’humanité et faciliter
son labeur. Pourtant, à certains moments, la tech-
nologie ne sait plus vraiment où se situe son allé-
geance: elle est pour l’humanité ou contre elle...
Pour cette raison, mon appel s’adresse à tous les
intéressés... à quiconque peut apporter une contri-
bution pour que la technologie qui a tant fait pour
édifier Toronto et tout le Canada serve véritable-
ment chaque homme, chaque femme et chaque
enfant de ce pays.»
u
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VERS DEMAIN août-septembre 2014
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