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VII. Détente

le vendredi, 01 mars 1940. Dans Autour du drame monétaire

Dans la reprise du cours régulier de nos articles, nous nous proposons de traiter bientôt, dans 2 ou 3 numéros au plus tard, les questions si controversées du dividende et du théorème A + B. Nous le ferons avec d’autant plus d’agrément que c’est à propos de ces points de la doctrine créditiste, ou du moins de sa présentation, qu’on se permet les pires accrocs à la plus rudimentaire logique. Et nous avons toujours pour but premier, dans ces lignes, de venger les droits lésés de la raison et du simple bon sens.

LA PASSION DU VRAI

Si enfin un certain nombre de catholiques militants s’éprenaient assez du vrai, de l’être pour en vivre la passion ardente, à ce point qu’ils prissent même un plaisir particulier à constater qu’ils se sont trompés ou qu’ils se trompent, dans leur recherche inlassable de la vérité ! À ce point qu’ils ne croient pas, dans la reconnaissance de leur erreur, s’incliner devant un homme, un groupe, une doctrine, ou encore s’amoindrir de quelque façon ; mais au contraire qu’ils soient convaincus qu’ils baisent sur la bouche Dame Vérité, dans le sacrifice de leur égoïsme intellectuel !

CLANS ET MONOPOLES

Pourtant, que voit on ? Des clans et des clans ! Fait-on partie d’un groupe, collabore-t-on à une feuille, a-t-on pris telle initiative, il faut que, coûte que coûte, la doctrine, la société ou le journal qui ont l’honneur de nous compter pour adeptes, soient le tout du salut social. Dès l’instant où l’on a donné sa voix à tel homme ou à tel cénacle, c’est la fin : le souci d’avoir absolument raison, de détenir à soi seul toutes les avenues de la vérité, remplace peu à peu le noble amour du vrai avant tout et malgré tout.

Monopole de la vérité ! Monopole de l’apostolat social !

Aussi n’avons-nous guère d’apostolat et beaucoup de prosélytisme.

Nous voyons une interprétation bien adéquate de ce que nous signifions, dans le tableau que nous présentent saint Bonaventure et saint Thomas d’Aquin devant le Pape, pour lui présenter chacun leur poème, selon la demande du Pontife. Devant la splendeur du chant de Thomas, Bonaventure déchire, sous sa bure, ses feuillets, en pleurant.

On s’obstine à voir d’abord dans ce geste, un exemple d’humilité. C’est un peu simpliste ; ce nous paraît même le signe d’une vision partielle du monde intérieur, le signe d’une conception inorganique, artificielle, cartésienne de l’ensemble des vertus. Du placage ! Nous y voyons tout à la fois la manifestation de l’Amour du Christ, du Vrai, de l’Être, passion débordante dont l’humilité n’est que le mode d’extériorisation hic et nunc. Spontanéité et hiérarchie ! Vie !

INTELLIGENCE

Oui, si nous réussissions enfin à former des apôtres sociaux assez "fous" de vérité, pour souffrir un véritable martyre devant les aberrations inconcevables de notre ordre social, prêts à donner "jusqu’à leur peau" pour le triomphe de tout ce qui apparaît comme vrai, (même si ce n’est pas démontré par moi ! même si ça n’a pas été découvert par moi ! même si ça n’a pas été vulgarisé, répandu par moi !) que d’améliorations nous viendraient "par surcroît."

Comme nous musardons en ce moment, sur le plan de l’être, non sur le plan de la morale concrète, vécue, de la praticité, nous oserions citer la boutade de Psichari :

"Quoi que nous fassions, nous mettrons toujours l’intelligence au-dessus de tout. (C’est l’attitude convenable en métaphysique). Il est possible que la pureté du cœur vaille mieux ! (Pourquoi pas les deux ?) Mais un Français croira toujours que le péché est plus agréable à Dieu que la bêtise".

En effet, si certaines bêtises ne sont pas les pires péchés, et nous en doutons, elles ont du moins le triste privilège de retarder la marche au progrès, dans tous les sens du mot, et de permettre la perpétuation d’un ordre de choses écœurant.

BOURGEOISISME

Ô bourgeoisisme sacro-saint ! Ô catholiques de dépotoir, baveux d’infini, "serviteurs utiles" et suffisants, qui rotent leur satisfaction béate de "bons garçons", "d’honnêtes hommes" qui ont réussi dans la vie, ou même de piliers d’œuvres qui nous sauvent... on voit comment.

Il y a bien des croix, il y en a pour toutes les épaules. Jusqu’à la fin, la sottise la plus révoltante pourra se marier à une vie scrupuleusement droite ; la bêtise restera compatible avec l’honnêteté, même la sainteté. Ce n’est cependant pas une raison de mettre sa flash-light dans sa poche. Au contraire.

UNE RÉCRÉATION

Mais qu’écrivons-nous ? Sur quelle pente glissons-nous ? Pourquoi ces "boues d’orage" ?

N’ayez crainte, cher lecteur, nous nous possédons comme jamais. Mais, devant la "vacherie" qui flotte dans l’air, devant l’avachissement des gens assis, la prudence nauséabonde de tant de gentlemen "impeccables", partisans avertis de la charité chronométrée, mesurée au compte-gouttes, alors que les personnes humaines, des hommes et des femmes comme nous, des petits enfants comme ceux que nous aimons charnellement, nos frères, nos sœurs, nos enfants, (car ils le sont plus que quiconque par leur pauvreté, leur misère !) manquent de tout, pleurent et grelottent leurs jours dans une lutte sauvage pour la subsistance, nous ne pouvons résister à la joie, à la soif de justice qui arme du "fouet du temple", pour voir danser au bout de la lanière les pantins et les pitres qui obstruent tous les boulevards de notre société croupissante.

UN VEUVAGE DÉSIRABLE

Ah ! Ce n’est pas vrai ! Exagérations ! Emballements ! Démagogie !

Messieurs les "prudents", messieurs les "pondérés", messieurs les "calmes", donnez-vous la peine de quitter le pavois de vos prétentieuses vertus ; abandonnez "l’Acropole investie", passez "du sol ferme sur les navires, sur la mer, mobile mais libre." Vous perdrez alors, pour un temps, des "respects extérieurs" et "quelques places de sûreté", mais vous gagnerez la joie de voir et la liberté d’agir. Alors, veufs de toute la pacotille qui empoisonne vos vies et, par suite, les nôtres, ne vous remariez pas, si ce n’est à la Vérité, passionnément aimée, même sur le terrain politique et social. Je vous le dis que vous aurez le reste "par surcroît".

ÉLITE ET ÉLITE

Et vous, messieurs les penseurs, professionnels (ceux qui pensent), diplômés, professeurs, surtout professeurs en Sciences Sociales, Économiques et Politiques, surtout professeurs en philosophie... cloîtrée, au lieu de nous accuser de perdre la tramontane, dans les outrances verbales d’un Bloy, d’un Bernanos ou de quelques autres "révoltés" que nous connaissons surtout de nom, descendez de votre empyrée, oubliez pour un temps la splendeur immarcessible de vos thèses et les irréfutables conclusions de vos systèmes... systématiques. Vivez ! Venez causer avec ces bambins et ces bambines, aux jambes grêles, à la face émaciée et jaune, aux yeux bistrés. N’ayez pas peur ! Ça ne fait pas mal ! Et ça vaut au moins une dizaine de cours sur les beautés du règne de la fécondité de l’argent et une vingtaine sur l’efficacité concrète de la notion de personne, la première de notre philosophie... spéculative.

Amicus Plato, magis amica veritas.

Et nous n’exagérons pas, nous ne généralisons pas un fait accidentel. Visitez nos campagnes, nos banlieues, "Crassoville" à Sorel, les "Rochons" aux Trois-Rivières, etc., etc...

Nos meilleurs penseurs ont fustigé comme il convient la démission de l’élite. Dans ces lignes, nous faisons sciemment pis : nous montrons du doigt l’élite de l’élite, celle qui détient chez nous le magistère de la pensée populaire, celle qui contribue à former l’opinion et à orienter nos cerveaux de papier.

Évidemment, pour ce qui est du journal par exemple, nous ne pouvons nous préoccuper, au niveau où nous nous plaçons, d’une stupidité comme "La Presse", prototype parfait de la chiennerie finaude et policée grâce à laquelle on "règne" de nos jours. Ni chair, ni poisson !

Que ne dirions-nous pas d’une horreur comme "Le Canada" !

UNE CARESSE, EN PASSANT

Messieurs les "contrôleurs du sang économique" chez nous, ne vous en faites pas : vous ne nous aurez pas ! Vous êtes les vrais coupables, et il serait injuste de nous en prendre surtout à la valetaille qui vous torche, vous flirte ou vous ménage. Connaissant le christianisme et ses exigences radicales, nous avons le secret de mettre de l’avenir dans notre ingrat labeur de précurseurs. (Ô Folie ! La Croix ! Et le monde crucifiera toujours, le monde intellectuel comme les autres, jusqu’à la fin des temps. C’est sa défaite !)

Votre entregent de coulissiers, votre diplomatie sinueuse, l’usage patelin de vos amitiés respectables, l’onction de vos courbettes et le désintéressement de vos largesses, l’art machiavélique avec lequel vous savez faire jouer les "impondérables" et manœuvrer les opinions, les doutes ou les ignorances, tout l’arsenal enfin de votre précieuse expérience vous sera d’un vain secours. Vous avez déjà perdu plusieurs manches ; vous perdrez sûrement la dernière.

UNE DÉFICIENCE FLAGRANTE

Que de propos encore nous nous proposions de tenir aujourd’hui ; mais nous sommes au bout de notre espace. En terminant, nous nous permettrons une dernière impertinence.

Messieurs les journalistes, jeunes ou vieux, (surtout ceux qui font appel à l’expérience à tout propos, ceux pour qui l’expérience s’est muée en un pragmatisme inconscient), messieurs les leaders de nos mouvements patriotiques et sociaux, il n’est jamais trop tard pour étudier, et d’ailleurs il faut toujours étudier. Si vous ne voulez pas vous y astreindre, décollez de la circulation pour l’amour de Dieu !

Et nous n’entendons pas, par "étudier", uniquement et d’abord, de folles chevauchées à travers toutes les revues, tous les journaux et même tous les volumes qui se succèdent à un rythme d’enfer.

Ce qui nous manque, ce qui manque au monde entier, et presque personne ne le dit si on gueule après toutes les réformes imaginables : ce sont de fortes études, et vivantes, philosophiques et même théologiques, pour les laïques. Moyen unique d’avoir des penseurs complets, des humanistes intégraux.

L’INSTITUT PIE XI

Or, chez nous, à Montréal, nous avons le privilège de bénéficier d’une école unique en son genre dans le monde entier : l’Institut Pie XI, Institut d’Action Catholique et de Sciences Religieuses.

Nous nous hâtons d’ajouter, car il y a toujours des pêcheurs en eau trouble à l’affût, que ce témoignage est de notre cru et ne comporte, par conséquent, aucune indication que certains membres de l’Institut ont envers notre groupe des sentiments de bienveillance particulière. C’est un témoignage de franc-tireur, de laïque qui dit simplement ce qu’il pense d’une œuvre dont il a vu les débuts.

Ces débuts sont assez prometteurs pour que nous osions rêver, chez nous, d’une aurore médiévale, où les savoirs théologique et philosophique deviendront la lumière et le bonheur d’une solide élite laïque.

Pourtant, à notre connaissance, à peu près aucun des jeunes ou des moins jeunes qui sont mêlés à toutes les activités sociales, surtout les vedettes, n’ont su profiter jusqu’à ce jour des avantages qu’offre l’Institut Pie XI. Ces gens seraient-ils trop "haut" et trop "loin" ? La science infuse serait-elle leur partage ?

SALUT, Ô REINE !

Donc, nécessité d’un savoir complet, même pour l’avènement du salut social, pour le progrès temporel et culturel véritable. Avec bien d’autres, saint Bonaventure montre la voie :

"Theologia, substernens sibi philosophicam cognitionem et assumens de naturis rerum quantum sibi opus est ad fabricandum speculum per quod fiat repraesentatio divinorum quasi scalam erigit quae in sui infimo tangit terram sed in suo cacumine tangit cœlum." (Breviloquium, prologus)

Ce qui peut se résumer ainsi :

« La théologie, soucieuse de toutes les branches du savoir, est le couronnement de toute science.  Spéculativement, par elle, le pont est fait de la terre au ciel. »

Ce qui ouvre de radieuses perspectives même dans le monde de l’économique. Sans aucun gauchissement théosophique.

Théophile BERTRAND

1 mars 1940 p3 1940_03_No9_P_003.doc

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