Le Pape confie la cause de la paix à la prière du Rosaire

Jean-Paul II le mardi, 31 décembre 2002. Dans Prières, rosaire et dévotions

Le Rosaire, résumé de l'Evangile «Supplier le Christ avec Marie»

Pour la paix dans le monde et dans les familles

Nouveaux mystères: Mystères lumineux

RosaireNous puisons dans l'Osservatore Romano du 22 octobre 2002, les beaux textes suivants, écrits par le Saint-Père sur le Rosaire. Vers Demain désire aider à faire connaître la beauté du Rosaire en publiant en entier la lettre apostolique «Rosarium Virginis Mariae», du Pape Jean-Paul II, adressée à l'Episcopat, au clergé et aux fidèles. Ces 16 pages du journal Vers Demain sont gratuites. Demandez-en 100, 200 copies ou plus, pour distribuer autour de vous.

 

ANGELUS de Castel Gandolfo, le 29 septembre 2002

Jean-Paul II confie la cause de la paix à la prière du Rosaire

Très chers frères et sœurs!

1. Nous sommes désormais au seuil du mois d'octobre qui, avec la mémoire liturgique de la Bienheureuse Vierge du Rosaire, nous encourage à redécouvrir cette prière traditionnelle, si simple et dans le même temps si profonde.

Le Rosaire est un itinéraire de contemplation du visage du Christ accompli, pour ainsi dire, avec les yeux de Marie. C'est donc une prière qui s'enracine dans le cœur même de l'Evangile, qui reste en pleine harmonie avec l'inspiration du Concile Vatican II et qui est dans la droite ligne de l'orientation que j'ai donnée dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte: il est nécessaire que l'Eglise «avance en eaux profondes» dans ce nouveau millénaire, en repartant de la contemplation du visage du Christ.

Je souhaite donc suggérer la récitation du Rosaire aux personnes, aux familles, aux communautés chrétiennes. Pour donner force à cette invitation, je suis également en train de préparer un document, qui aide à redécouvrir la beauté et la profondeur de cette prière.

2. Je désire une fois de plus confier la grande cause de la paix à la prière du Rosaire. Nous nous trouvons face à une situation internationale chargée de tensions, parfois à la limite de l'embrasement. Dans certains lieux de la terre, où les conflits sont plus tendus - je pense en particulier à la terre martyrisée du Christ - on se rend compte que les tentatives de la politique, même si elles sont toujours nécessaires, servent peu si les âmes demeurent dans un état d'exaspération et si l'on est pas capable de porter un nouveau regard du cœur pour reprendre avec espérance les fils du dialogue.

Mais qui peut diffuser de tels sentiments, sinon Dieu seul? Il est plus que jamais nécessaire que ce soit vers Lui que s'élève du monde entier l'invocation pour la paix. Précisément dans cette perspective, le Rosaire se révèle une prière particulièrement adaptée. Il édifie la paix non seulement parce qu'il fait appel à la grâce de Dieu, mais aussi parce qu'il place en celui qui le récite cette semence de bien, dont on peut espérer des fruits de justice et de solidarité dans la vie personnelle et communautaire.

Je pense aux nations, mais également aux familles. Combien la paix serait renforcée dans les relations familiales si l'on reprenait la récitation du Rosaire en famille!

Audience générale du mercredi 16 octobre 2002,
anniversaire de l'élection du pape sur la Chaire de Pierre

Notre-Dame de Pompéi, Reine du Rosaire

Notre-Dame de Pompéi, Reine du Rosaire entourée de saint Dominique et sainte Catherine de Sienne

Chers frères et sœurs,

1. Au cours de mon récent voyage en Pologne, je me suis adressé ainsi à la Sainte Vierge: «Mère Très Sainte [...] obtiens pour moi les forces du corps et de l'esprit, afin que je puisse accomplir jusqu'à son terme la mission que m'a confiée le Ressuscité. A Toi, je remets tous les fruits de ma vie et de mon ministère; à Toi, je confie le sort de l'Eglise; [...] en Toi j'ai confiance et à Toi encore une fois je déclare: Totus tuus, Maria! Totus tuus! Amen» (Kalwaria Zebrzydowska, 19 août 2002).

Je répète ces paroles aujourd'hui, en rendant grâce à Dieu pour mes vingt-quatre années de service à l'Eglise sur le Siège de Pierre. En ce jour particulier, je confie à nouveau entre les mains de la Mère de Dieu la vie de l'Eglise et celle si tourmentée de l'humanité. Je Lui confie également mon avenir. Je dépose tout entre ses mains, afin qu'avec un amour de mère, elle le présente à son Fils, «à la louange de sa gloire» (Ep 1, 12).

2. Le centre de notre foi est le Christ, Rédempteur de l'homme. Marie ne lui porte pas d'ombre, pas plus qu'à son œuvre salvifique. Elevée au ciel corps et âme, la Vierge, la première à goûter les fruits de la passion et de la résurrection de son Fils, est Celle qui de la façon la plus sûre nous conduit au Christ, le but ultime de notre activité et de toute notre existence. C'est pourquoi, en adressant à l'Eglise tout entière, dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte, l'exhortation du Christ à «avancer en eau profonde», j'ai ajouté que «la Vierge très sainte nous accompagne sur ce chemin. C'est à elle que [...] avec de nombreux évêques [...], j'ai confié le troisième millénaire» (n. 58). Et en invitant les croyants à contempler de façon incessante le visage du Christ, j'ai profondément désiré que Marie, sa Mère, soit pour tous la maîtresse de cette contemplation.

3. Aujourd'hui, j'entends exprimer ce désir avec plus d'éclat à travers deux gestes symboliques. Je signerai dans quelques instants la Lettre apostolique Rosarium Virginis Mariæ. En outre, avec ce document, consacré à la prière du Rosaire, je proclame l'année qui va d'octobre 2002 à octobre 2003, «Année du Rosaire». Je le fais non seulement parce que cette année est la vingt-cinquième de mon pontificat, mais également parce que cette année marque le cent-vingtième anniversaire de l'Encyclique Supremi apostolatus officio, avec laquelle, le 1 septembre 1883, mon Vénéré Prédécesseur, le Pape Léon XIII, inaugura le début de la publication d'une série de documents précisément consacrés au Rosaire. Il y a également une autre raison: dans l'histoire des Grands Jubilés, on avait coutume, après l'Année jubilaire consacrée au Christ et à l'œuvre de la Rédemption, de consacrer une autre année à Marie, comme pour implorer d'Elle une aide permettant de faire fructifier les grâces reçues.

4. Pour la tâche exigeante, mais extraordinairement riche de contempler le visage du Christ avec Marie, existe-t-il un meilleur moyen que la prière du Rosaire? Nous devons cependant redécouvrir la profondeur mystique contenue dans la simplicité de cette prière, si chère à la tradition populaire. Dans sa structure, en effet, cette prière mariale est surtout une méditation des mystères de la vie et de l'œuvre du Christ. En répétant l'invocation de l'«Ave Maria», nous pouvons approfondir les événements essentiels de la mission du Fils de Dieu sur terre, qui nous ont été transmis par l'Evangile et par la Tradition. Pour que cette synthèse de l'Evangile soit plus complète et offre une plus grande inspiration, j'ai proposé, dans la Lettre apostolique Rosarium Virginis Mariæ, d'ajouter cinq autres mystères à ceux actuellement contemplés dans le Rosaire, et je les ai appelés «mystères lumineux». Ils comprennent la vie publique du Sauveur, du Baptême dans le Jourdain jusqu'au début de la Passion. Cette suggestion a pour but d'amplifier l'horizon du Rosaire, afin qu'il soit possible à celui qui le récite avec dévotion, et non de façon mécanique, de pénétrer encore plus profondément dans le contenu de la Bonne Nouvelle et de conformer toujours sa propre existence à celle du Christ.

5. Je vous remercie, vous tous ici présents, ainsi que ceux qui, en ce jour particulier, sont spirituellement unis à moi. Je vous remercie de votre bienveillance et en particulier de l'assurance de votre soutien constant dans la prière. Je confie ce document sur le Saint Rosaire aux pasteurs et aux fidèles du monde entier. L'Année du Saint-Rosaire, que nous vivrons ensemble, produira certainement des fruits bénéfiques dans le cœur de tous, elle renouvellera et intensifiera l'action de la grâce du grand Jubilé de l'An 2000 et elle deviendra une source de paix pour le monde.

Que Marie, Reine du Saint-Rosaire, que nous voyons ici, dans la belle image vénérée à Pompéi, conduise les fils de l'Eglise à la plénitude de l'union avec le Christ dans sa gloire!

 

 

LETTRE APOSTOLIQUE

Rosarium Virginis Mariae

DU PAPE JEAN-PAUL II À L'ÉPISCOPAT, AU CLERGÉ ET AUX FIDÈLES SUR LE ROSAIRE

 

INTRODUCTION

1. Le Rosaire de la Vierge Marie, qui s'est développé progressivement au cours du deuxième millénaire sous l'inspiration de l'Esprit de Dieu, est une prière aimée de nombreux saints et encouragée par le Magistère. Dans sa simplicité et dans sa profondeur, il reste, même dans le troisième millénaire commençant, une prière d'une grande signification, destinée à porter des fruits de sainteté. Elle se situe bien dans la ligne spirituelle d'un christianisme qui, après deux mille ans, n'a rien perdu de la fraîcheur des origines et qui se sent poussé par l'Esprit de Dieu à «avancer au large» (Duc in altum!) pour redire, et même pour “crier” au monde, que le Christ est Seigneur et Sauveur, qu'il est «le chemin, la vérité et la vie» (Jn 14, 6), qu'il est «la fin de l'histoire humaine, le point vers lequel convergent les désirs de l'histoire et de la civilisation».

En effet, tout en ayant une caractéristique mariale, le Rosaire est une prière dont le centre est christologique. Dans la sobriété de ses éléments, il concentre en lui la profondeur de tout le message évangélique, dont il est presque un résumé. En lui résonne à nouveau la prière de Marie, son Magnificat permanent pour l'œuvre de l'Incarnation rédemptrice qui a commencé dans son sein virginal. Avec lui, le peuple chrétien se met à l'école de Marie, pour se laisser introduire dans la contemplation de la beauté du visage du Christ et dans l'expérience de la profondeur de son amour. Par le Rosaire, le croyant puise d'abondantes grâces, les recevant presque des mains mêmes de la Mère du Rédempteur.

Les Pontifes romains et le Rosaire

2. Beaucoup de mes prédécesseurs ont accordé une grande importance à cette prière. À ce sujet, des mérites particuliers reviennent à Léon XIII qui, le 1er septembre 1883, promulgua l'encyclique Supremi apostolatus officio, paroles fortes par lesquelles il inaugurait une série de nombreuses autres interventions concernant cette prière, qu'il présente comme un instrument spirituel efficace face aux maux de la société. Parmi les Papes les plus récents qui, dans la période conciliaire, se sont illustrés dans la promotion du Rosaire, je désire rappeler le bienheureux Jean XXIII et surtout Paul VI qui, dans l'exhortation apostolique Marialis cultus, souligna, en harmonie avec l'inspiration du Concile Vatican II, le caractère évangélique du Rosaire et son orientation christologique.

Jean-Paul II baisant la croix
Le Pape baise la croix de son chapelet.

Puis, moi-même, je n'ai négligé aucune occasion pour exhorter à la récitation fréquente du Rosaire. Depuis mes plus jeunes années, cette prière a eu une place importante dans ma vie spirituelle. Mon récent voyage en Pologne me l'a rappelé avec force, et surtout la visite au sanctuaire de Kalwaria. Le Rosaire m'a accompagné dans les temps de joie et dans les temps d'épreuve. Je lui ai confié de nombreuses préoccupations. En lui, j'ai toujours trouvé le réconfort. Il y a vingt-quatre ans, le 29 octobre 1978, deux semaines à peine après mon élection au Siège de Pierre, laissant entrevoir quelque chose de mon âme, je m'exprimais ainsi: « Le Rosaire est ma prière préférée. C'est une prière merveilleuse. Merveilleuse de simplicité et de profondeur. [...] On peut dire que le Rosaire est, d'une certaine manière, une prière-commentaire du dernier chapitre de la Constitution Lumen gentium du deuxième Concile du Vatican, chapitre qui traite de l'admirable présence de la Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de l'Église. En effet, sur l'arrière-fond des Ave Maria défilent les principaux épisodes de la vie de Jésus Christ. Réunis en mystères joyeux, douloureux et glorieux, ils nous mettent en communion vivante avec Jésus à travers le cœur de sa Mère, pourrions-nous dire. En même temps, nous pouvons rassembler dans ces dizaines du Rosaire tous les événements de notre vie individuelle ou familiale, de la vie de notre pays, de l'Église, de l'humanité, c'est-à-dire nos événements personnels ou ceux de notre prochain, et en particulier de ceux qui nous sont les plus proches, qui nous tiennent le plus à cœur. C'est ainsi que la simple prière du Rosaire s'écoule au rythme de la vie humaine ».

Par ces paroles, chers frères et sœurs, je mettais dans le rythme quotidien du Rosaire ma première année de Pontificat. Aujourd'hui, au début de ma vingt-cinquième année de service comme Successeur de Pierre, je désire faire de même. Que de grâces n'ai-je pas reçues de la Vierge Sainte à travers le rosaire au cours de ces années: Magnificat anima mea Dominum! Je désire faire monter mon action de grâce vers le Seigneur avec les paroles de sa très sainte Mère, sous la protection de laquelle j'ai placé mon ministère pétrinien: Totus tuus!

Octobre 2002 - octobre 2003: Année du Rosaire

3. C'est pourquoi, faisant suite à la réflexion proposée dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte, dans laquelle, après l'expérience jubilaire, j'ai invité le Peuple de Dieu à « repartir du Christ », j'ai senti la nécessité de développer une réflexion sur le Rosaire, presque comme un couronnement marial de cette lettre apostolique, pour exhorter à la contemplation du visage du Christ en compagnie de sa très sainte Mère et à son école. En effet, réciter le Rosaire n'est rien d'autre que contempler avec Marie le visage du Christ. Pour donner un plus grand relief à cette invitation, profitant de l'occasion du tout proche cent vingtième anniversaire de l'encyclique de Léon XIII déjà mentionnée, je désire que, tout au long de l'année, cette prière soit proposée et mise en valeur de manière particulière dans les différentes communautés chrétiennes. Je proclame donc l'année qui va d'octobre de cette année à octobre 2003 Année du Rosaire.

Je confie cette directive pastorale à l'initiative des différentes communautés ecclésiales. Ce faisant, je n'entends pas alourdir, mais plutôt unir et consolider les projets pastoraux des Églises particulières. Je suis certain que cette directive sera accueillie avec générosité et empressement. S'il est redécouvert dans sa pleine signification, le Rosaire conduit au cœur même de la vie chrétienne, et offre une occasion spirituelle et pédagogique ordinaire particulièrement féconde pour la contemplation personnelle, la formation du Peuple de Dieu et la nouvelle évangélisation. Il me plaît de le redire aussi à l'occasion du souvenir joyeux d'un autre événement: le quarantième anniversaire de l'ouverture du Concile œcuménique Vatican II (11 octobre 1962), cette «grande grâce» offerte par l'Esprit de Dieu à l'Église de notre temps.

Objections au Rosaire

4. L'opportunité d'une telle initiative découle de diverses considérations. La première concerne l'urgence de faire face à une certaine crise de cette prière qui, dans le contexte historique et théologique actuel, risque d'être à tort amoindrie dans sa valeur et ainsi rarement proposée aux nouvelles générations. D'aucuns pensent que le caractère central de la liturgie, à juste titre souligné par le Concile œcuménique Vatican II, a eu comme conséquence nécessaire une diminution de l'importance du Rosaire. En réalité, comme le précisait Paul VI, cette prière non seulement ne s'oppose pas à la liturgie, mais en constitue un support, puisqu'elle l'introduit bien et s'en fait l'écho, invitant à la vivre avec une plénitude de participation intérieure, afin d'en recueillir des fruits pour la vie quotidienne.

D'autres craignent peut-être qu'elle puisse apparaître peu œcuménique en raison de son caractère nettement marial. En réalité, elle se situe dans la plus pure perspective d'un culte à la Mère de Dieu, comme le Concile Vatican II l'a défini: un culte orienté vers le centre christologique de la foi chrétienne, de sorte que, «à travers l'honneur rendu à sa Mère, le Fils [...] soit connu, aimé, glorifié». S'il est redécouvert de manière appropriée, le Rosaire constitue une aide, mais certainement pas un obstacle à l'œcuménisme.

La voie de la contemplation

5. Cependant, la raison la plus importante de redécouvrir avec force la pratique du Rosaire est le fait que ce dernier constitue un moyen très valable pour favoriser chez les fidèles l'engagement de contemplation du mystère chrétien que j'ai proposé dans la lettre apostolique Novo millennio ineunte comme une authentique «pédagogie de la sainteté»: «Il faut un christianisme qui se distingue avant tout dans l'art de la prière». Alors que dans la culture contemporaine, même au milieu de nombreuses contradictions, affleure une nouvelle exigence de spiritualité, suscitée aussi par les influences d'autres religions, il est plus que jamais urgent que nos communautés chrétiennes deviennent «d'authentiques écoles de prière».

Le Rosaire se situe dans la meilleure et dans la plus pure tradition de la contemplation chrétienne. Développé en Occident, il est une prière typiquement méditative et il correspond, en un sens, à la «prière du cœur» ou à la «prière de Jésus», qui a germé sur l'humus de l'Orient chrétien.

Prière pour la paix et pour la famille

6. Certaines circonstances historiques ont contribué à une meilleure actualisation du renouveau du Rosaire. La première d'entre elles est l'urgence d'implorer de Dieu le don de la paix. Le Rosaire a été à plusieurs reprises proposé par mes Prédécesseurs et par moi-même comme prière pour la paix. Au début d'un millénaire, qui a commencé avec les scènes horribles de l'attentat du 11 septembre 2001 et qui enregistre chaque jour dans de nombreuses parties du monde de nouvelles situations de sang et de violence, redécouvrir le Rosaire signifie s'immerger dans la contemplation du mystère de Celui «qui est notre paix», ayant fait «de deux peuples un seul, détruisant la barrière qui les séparait, c'est-à-dire la haine» (Ep 2, 14). On ne peut donc réciter le Rosaire sans se sentir entraîné dans un engagement précis de service de la paix, avec une attention particulière envers la terre de Jésus, encore si éprouvée, et particulièrement chère au cœur des chrétiens.

De manière analogue, il est urgent de s'engager et de prier pour une autre situation critique de notre époque, celle de la famille, cellule de la société, toujours plus attaquée par des forces destructrices, au niveau idéologique et pratique, qui font craindre pour l'avenir de cette institution fondamentale et irremplaçable, et, avec elle, pour le devenir de la société entière. Dans le cadre plus large de la pastorale familiale, le renouveau du Rosaire dans les familles chrétiennes se propose comme une aide efficace pour endiguer les effets dévastateurs de la crise actuelle.

«Voici ta mère!» (Jn 19, 27)

Jean, voici ta mère
«Jean, voici ta mère!»

7. De nombreux signes montrent ce que la Vierge Sainte veut encore réaliser aujourd'hui, précisément à travers cette prière; cette mère attentive à laquelle, dans la personne du disciple bien-aimé, le Rédempteur confia au moment de sa mort tous les fils de l'Église: «Femme, voici ton Fils» (Jn 19, 26). Au cours du dix-neuvième et du vingtième siècles, les diverses circonstances au cours desquelles la Mère du Christ a fait en quelque sorte sentir sa présence et entendre sa voix pour exhorter le Peuple de Dieu à cette forme d'oraison contemplative sont connues. En raison de la nette influence qu'elles conservent dans la vie des chrétiens et à cause de leur reconnaissance importante de la part de l'Église, je désire rappeler en particulier les apparitions de Lourdes et de Fatima, dont les sanctuaires respectifs constituent le but de nombreux pèlerins à la recherche de réconfort et d'espérance.

Sur les pas des témoins

8. Il serait impossible de citer la nuée innombrable de saints qui ont trouvé dans le Rosaire une authentique voie de sanctification. Il suffira de rappeler saint Louis Marie Grignion de Montfort, auteur d'une œuvre précieuse sur le Rosaire (Le secret admirable du très saint Rosaire), et plus près de nous, Padre Pio de Pietrelcina, qui j'ai eu récemment la joie de canoniser. Le bienheureux Bartolo Longo eut un charisme spécial, celui de véritable apôtre du Rosaire. Son chemin de sainteté s'appuie sur une inspiration entendue au plus profond de son cœur: «Qui propage le Rosaire est sauvé!». À partir de là, il s'est senti appelé à construire à Pompéi un sanctuaire dédié à la Vierge du Saint Rosaire près des ruines de l'antique cité tout juste pénétrée par l'annonce évangélique avant d'être ensevelie en 79 par l'éruption du Vésuve et de renaître de ses cendres des siècles plus tard, comme témoignage des lumières et des ombres de la civilisation classique.

Par son œuvre entière, en particulier par les «Quinze Samedis», Bartolo Longo développa l'âme christologique et contemplative du Rosaire; il trouva pour cela un encouragement particulier et un soutien chez Léon XIII, le «Pape du Rosaire».

CHAPITRE I

CONTEMPLER LE CHRIST AVEC MARIE

 

Un visage resplendissant comme le soleil

Sainte Face9. «Et il fut transfiguré devant eux: son visage devint brillant comme le soleil» (Mt 17, 2). L'épisode évangélique de la transfiguration du Christ, dans lequel les trois Apôtres Pierre, Jacques et Jean apparaissent comme ravis par la beauté du Rédempteur, peut être considéré comme icône de la contemplation chrétienne. Fixer les yeux sur le visage du Christ, en reconnaître le mystère dans le chemin ordinaire et douloureux de son humanité, jusqu'à en percevoir la splendeur divine définitivement manifestée dans le Ressuscité glorifié à la droite du Père, tel est le devoir de tout disciple du Christ; c'est donc aussi notre devoir. En contemplant ce visage, nous nous préparons à accueillir le mystère de la vie trinitaire, pour faire l'expérience toujours nouvelle de l'amour du Père et pour jouir de la joie de l'Esprit Saint. Se réalise ainsi pour nous la parole de saint Paul: «Nous reflétons tous la gloire du Seigneur, et nous sommes transfigurés en son image, avec une gloire de plus en plus grande, par l'action du Seigneur qui est Esprit» (2 Co 3, 18).

Marie modèle de contemplation

10. La contemplation du Christ trouve en Marie son modèle indépassable. Le visage du Fils lui appartient à un titre spécial. C'est dans son sein qu'il s'est formé, prenant aussi d'elle une ressemblance humaine qui évoque une intimité spirituelle assurément encore plus grande. Personne ne s'est adonné à la contemplation du visage du Christ avec autant d'assiduité que Marie. Déjà à l'Annonciation, lorsqu'elle conçoit du Saint-Esprit, les yeux de son cœur se concentrent en quelque sorte sur Lui; au cours des mois qui suivent, elle commence à ressentir sa présence et à en pressentir la physionomie. Lorsque enfin elle lui donne naissance à Bethléem, ses yeux de chair se portent aussi tendrement sur le visage de son Fils tandis qu'elle l'enveloppe de langes et le couche dans une crèche (cf. Lc 2, 7).

À partir de ce moment-là, son regard, toujours riche d'un étonnement d'adoration, ne se détachera plus de Lui. Ce sera parfois un regard interrogatif, comme dans l'épisode de sa perte au temple: «Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela?» (Lc 2, 48); ce sera dans tous les cas un regard pénétrant, capable de lire dans l'intimité de Jésus, jusqu'à en percevoir les sentiments cachés et à en deviner les choix, comme à Cana (cf. Jn 2, 5); en d'autres occasions, ce sera un regard douloureux, surtout au pied de la croix, où il s'agira encore, d'une certaine manière, du regard d'une «femme qui accouche», puisque Marie ne se limitera pas à partager la passion et la mort du Fils unique, mais qu'elle accueillera dans le disciple bien-aimé un nouveau fils qui lui sera confié (cf. Jn 19, 26-27); au matin de Pâques, ce sera un regard radieux en raison de la joie de la résurrection et, enfin, un regard ardent lié à l'effusion de l'Esprit au jour de la Pentecôte (cf. Ac 1, 14).

Les souvenirs de Marie

11. Marie vit en gardant les yeux fixés sur le Christ, et chacune de ses paroles devient pour elle un trésor: «Elle retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur» (Lc 2, 19; cf. 2, 51). Les souvenirs de Jésus, imprimés dans son esprit, l'ont accompagnée en toute circonstance, l'amenant à parcourir à nouveau, en pensée, les différents moments de sa vie aux côtés de son Fils. Ce sont ces souvenirs qui, en un sens, ont constitué le “rosaire” qu'elle a constamment récité au long des jours de sa vie terrestre.

Et maintenant encore, parmi les chants de joie de la Jérusalem céleste, les motifs de son action de grâce et de sa louange demeurent inchangés. Ce sont eux qui inspirent son attention maternelle envers l'Église en pèlerinage, dans laquelle elle continue à développer la trame de son «récit» d'évangélisatrice. Marie propose sans cesse aux croyants les «mystères» de son Fils, avec le désir qu'ils soient contemplés, afin qu'ils puissent libérer toute leur force salvifique. Lorsqu'elle récite le Rosaire, la communauté chrétienne se met en syntonie avec le souvenir et avec le regard de Marie.

Le Rosaire, prière contemplative

12. C'est précisément à partir de l'expérience de Marie que le Rosaire est une prière nettement contemplative. Privé de cette dimension, il en serait dénaturé, comme le soulignait Paul VI: «Sans la contemplation, le Rosaire est un corps sans âme, et sa récitation court le danger de devenir une répétition mécanique de formules et d'agir à l'encontre de l'avertissement de Jésus: “Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens; ils s'imaginent qu'en parlant beaucoup, ils se feront mieux écouter” (Mt 6, 7). Par nature, la récitation du Rosaire exige que le rythme soit calme et que l'on prenne son temps, afin que la personne qui s'y livre puisse mieux méditer les mystères de la vie du Seigneur, vus à travers le cœur de Celle qui fut la plus proche du Seigneur, et qu'ainsi s'en dégagent les insondables richesses».

Il convient de nous arrêter sur la pensée profonde de Paul VI, pour faire apparaître certaines dimensions du Rosaire qui en définissent mieux le caractère propre de contemplation christologique.

Se souvenir du Christ avec Marie

13. La contemplation de Marie est avant tout le fait de se souvenir. Il faut cependant entendre ces paroles dans le sens biblique de la mémoire (zakar), qui rend présentes les œuvres accomplies par Dieu dans l'histoire du salut. La Bible est le récit d'événements salvifiques, qui trouvent leur sommet dans le Christ lui-même. Ces événements ne sont pas seulement un «hier»; ils sont aussi l'aujourd'hui du salut. Cette actualisation se réalise en particulier dans la liturgie: ce que Dieu a accompli il y a des siècles ne concerne pas seulement les témoins directs des événements, mais rejoint par son don de grâce l'homme de tous les temps. Cela vaut aussi d'une certaine manière pour toute autre approche de dévotion concernant ces événements: «en faire mémoire» dans une attitude de foi et d'amour signifie s'ouvrir à la grâce que le Christ nous a obtenue par ses mystères de vie, de mort et de résurrection.

C'est pourquoi, tandis qu'il faut rappeler avec le Concile Vatican II que la liturgie, qui constitue la réalisation de la charge sacerdotale du Christ et le culte public, est «le sommet vers lequel tend l'action de l'Église et en même temps la source d'où découle toute sa force», il convient aussi de rappeler que la vie spirituelle «n'est pas enfermée dans les limites de la participation à la seule sainte Liturgie. Le chrétien, appelé à prier en commun, doit néanmoins aussi entrer dans sa chambre pour prier son Père dans le secret (cf. Mt 6, 6) et doit même, selon l'enseignement de l'Apôtre, prier sans relâche (cf. 1 Th 5, 17)». Avec sa spécificité, le Rosaire se situe dans ce panorama multicolore de la prière “incessante” et, si la liturgie, action du Christ et de l'Église, est l'action salvifique par excellence, le Rosaire, en tant que méditation sur le Christ avec Marie, est une contemplation salutaire. Nous plonger en effet, de mystère en mystère, dans la vie du Rédempteur, fait en sorte que ce que le Christ a réalisé et ce que la liturgie actualise soient profondément assimilés et modèlent notre existence.

Par Marie, apprendre le Christ

14. Le Christ est le Maître par excellence, le révélateur et la révélation. Il ne s'agit pas seulement d'apprendre ce qu'il nous a enseigné, mais «d'apprendre à le connaître Lui». Et quel maître, en ce domaine, serait plus expert que Marie? S'il est vrai que, du point de vue divin, l'Esprit est le Maître intérieur qui nous conduit à la vérité tout entière sur le Christ (cf Jn 14, 26; 15, 26; 16, 13), parmi les êtres humains, personne mieux qu'elle ne connaît le Christ; nul autre que sa Mère ne peut nous faire entrer dans une profonde connaissance de son mystère.

Le premier des «signes» accomplis par Jésus – la transformation de l'eau en vin aux noces de Cana – nous montre justement Marie en sa qualité de maître, alors qu'elle invite les servants à suivre les instructions du Christ (cf. Jn 2, 5). Et nous pouvons penser qu'elle a rempli cette fonction auprès des disciples après l'Ascension de Jésus, quand elle demeura avec eux dans l'attente de l'Esprit Saint et qu'elle leur apporta le réconfort dans leur première mission. Cheminer avec Marie à travers les scènes du Rosaire, c'est comme se mettre à «l'école» de Marie pour lire le Christ, pour en pénétrer les secrets, pour en comprendre le message.

L'école de Marie est une école tout particulièrement efficace si l'on considère que Marie l'accomplit en nous obtenant l'abondance des dons de l'Esprit Saint, en nous offrant aussi l'exemple du « pèlerinage dans la foi » dont elle est un maître incomparable. Face à chaque mystère de son Fils, elle nous invite, comme elle le fit à l'Annonciation, à poser humblement les questions qui ouvrent sur la lumière, pour finir toujours par l'obéissance de la foi: «Je suis la servante du Seigneur; que tout se passe pour moi selon ta parole!» (Lc 1, 38).

Se conformer au Christ avec Marie

15. La spiritualité chrétienne a pour caractéristique fondamentale l'engagement du disciple à «se conformer» toujours plus pleinement à son Maître (cf. Rm 8, 29; Ph 3, 10.21). Par l'effusion de l'Esprit reçu au Baptême, le croyant est greffé, comme un sarment, sur la vigne qu'est le Christ (cf. Jn 15, 5), il est constitué membre de son Corps mystique (cf. 1Co 12, 12; Rm 12, 5). Mais à cette unité initiale doit correspondre un cheminement de ressemblance croissante avec lui qui oriente toujours plus le comportement du disciple dans le sens de la «logique» du Christ: «Ayez entre vous les dispositions que l'on doit avoir dans le Christ Jésus» (Ph 2, 5). Selon les paroles de l'Apôtre, il faut «se revêtir du Seigneur Jésus Christ» (cf. Rm 13, 14; Ga 3, 27).

Dans le parcours spirituel du Rosaire, fondé sur la contemplation incessante – en compagnie de Marie – du visage du Christ, on est appelé à poursuivre un tel idéal exigeant de se conformer à Lui grâce à une fréquentation que nous pourrions dire «amicale». Elle nous fait entrer de manière naturelle dans la vie du Christ et pour ainsi dire «respirer» ses sentiments. Le bienheureux Bartolo Longo dit à ce propos: «De même que deux amis qui se retrouvent souvent ensemble finissent par se ressembler même dans la manière de vivre, de même, nous aussi, en parlant familièrement avec Jésus et avec la Vierge, par la méditation des Mystères du Rosaire, et en formant ensemble une même vie par la Communion, nous pouvons devenir, autant que notre bassesse le permet, semblables à eux et apprendre par leurs exemples sublimes à vivre de manière humble, pauvre, cachée, patiente et parfaite».

Grâce à ce processus de configuration au Christ, par le Rosaire, nous nous confions tout particulièrement à l'action maternelle de la Vierge Sainte. Tout en faisant partie de l'Église comme membre qui «tient la place la plus élevée et en même temps la plus proche de nous», elle, qui est la mère du Christ, est en même temps la «Mère de l'Église». Et comme telle, elle «engendre» continuellement des fils pour le Corps mystique de son Fils. Elle le fait par son intercession, en implorant pour eux l'effusion inépuisable de l'Esprit. Elle est l'icône parfaite de la maternité de l'Église.

Mystiquement, le Rosaire nous transporte auprès de Marie, dans la maison de Nazareth, où elle est occupée à accompagner la croissance humaine du Christ. Par ce biais, elle peut nous éduquer et nous modeler avec la même sollicitude, jusqu'à ce que le Christ soit «formé» pleinement en nous (cf. Ga 4, 19). Cette action de Marie, totalement enracinée dans celle du Christ et dans une radicale subordination à elle, «n'empêche en aucune manière l'union immédiate des croyants avec le Christ, au contraire elle la favorise». Tel est le lumineux principe exprimé parle Concile Vatican II, dont j'ai si fortement fait l'expérience dans ma vie, au point d'en faire le noyau de ma devise épiscopale «Totus tuus». Comme on le sait, il s'agit d'une devise inspirée par la doctrine de saint Louis Marie Grignion de Montfort, qui expliquait ainsi le rôle de Marie pour chacun de nous dans le processus de configuration au Christ: «Toute notre perfection consistant à être conformes, unis et consacrés à Jésus Christ, la plus parfaite de toutes les dévotions est sans difficulté celle qui nous conforme, unit et consacre le plus parfaitement à Jésus Christ. Or, Marie étant de toutes les créatures la plus conforme à Jésus Christ, il s'ensuit que, de toutes les dévotions, celle qui consacre et conforme le plus une âme à Notre-Seigneur est la dévotion à la Très Sainte Vierge, sa sainte Mère, et que plus une âme sera consacrée à Marie, plus elle le sera à Jésus Christ». Jamais comme dans le Rosaire, le chemin du Christ et celui de Marie n'apparaissent aussi étroitement unis. Marie ne vit que dans le Christ et en fonction du Christ!

Supplier le Christ avec Marie

16. Le Christ nous a invités à nous tourner vers Dieu avec confiance et persévérance pour être exaucés: «Demandez et l'on vous donnera; cherchez et vous trouverez; frappez et l'on vous ouvrira» (Mt 7, 7). Le fondement de cette efficacité de la prière, c'est la bonté du Père, mais aussi la médiation du Christ lui-même auprès de Lui (cf. 1 Jn 2, 1) et l'action de l'Esprit Saint, qui « intercède pour nous » selon le dessein de Dieu (cf. Rm 8, 26-27). Car nous-mêmes, «nous ne savons pas prier comme il faut» (Rm 8, 26) et parfois nous ne sommes pas exaucés parce que «nous prions mal» (cf. Jc 4, 2-3).

Par son intercession maternelle, Marie intervient pour soutenir la prière que le Christ et l'Esprit font jaillir de notre cœur. «La prière de l'Église est comme portée par la prière de Marie». En effet, si Jésus, l'unique Médiateur, est la Voie de notre prière, Marie, qui est pure transparence du Christ, nous montre la voie, et «c'est à partir de cette coopération singulière de Marie à l'action de l'Esprit Saint que les Églises ont développé la prière à la sainte Mère de Dieu, en la centrant sur la Personne du Christ manifestée dans ses mystères». Aux noces de Cana, l'Évangile montre précisément l'efficacité de l'intercession de Marie qui se fait auprès de Jésus le porte-parole des besoins de l'humanité: «Ils n'ont plus de vin» (Jn 2, 3).

Le Rosaire est à la fois méditation et supplication. L'imploration insistante de la Mère de Dieu s'appuie sur la certitude confiante que son intercession maternelle est toute puissante sur le cœur de son Fils. Elle est «toute puissante par grâce», comme disait, dans une formule dont il faut bien comprendre l'audace, le bienheureux Bartolo Longo dans la Supplique à la Vierge. C'est une certitude qui, partant de l'Évangile, n'a cessé de se renforcer à travers l'expérience du peuple chrétien. Le grand poète Dante s'en fait magnifiquement l'interprète quand il chante, en suivant saint Bernard: «Dame, tu es si grande et de valeur si haute / que qui veut une grâce et à toi ne vient pas / il veut que son désir vole sans ailes». Dans le Rosaire, tandis que nous la supplions, Marie, Sanctuaire de l'Esprit Saint (cf. Lc 1, 35), se tient pour nous devant le Père, qui l'a comblée de grâce, et devant le Fils, qu'elle a mis au monde, priant avec nous et pour nous.

Annoncer le Christ avec Marie

17. Le Rosaire est aussi un parcours d'annonce et d'approfondissement, au long duquel le mystère du Christ est constamment représenté aux divers niveaux de l'expérience chrétienne. Il s'agit d'une présentation orante et contemplative, qui vise à façonner le disciple selon le cœur du Christ. Si, dans la récitation du Rosaire, tous les éléments permettant une bonne méditation sont en effet mis en valeur de manière appropriée, il y a la possibilité, spécialement dans la célébration communautaire en paroisse ou dans les sanctuaires, d'une catéchèse significative que les Pasteurs doivent savoir exploiter. De cette manière aussi, la Vierge du Rosaire continue son œuvre d'annonce du Christ. L'histoire du Rosaire montre comment cette prière a été utilisée, spécialement par les Dominicains, dans un moment difficile pour l'Église à cause de la diffusion de l'hérésie. Aujourd'hui, nous nous trouvons face à de nouveaux défis. Pourquoi ne pas reprendre en main le chapelet avec la même foi que nos prédécesseurs? Le Rosaire conserve toute sa force et reste un moyen indispensable dans le bagage pastoral de tout bon évangélisateur.

 

CHAPITRE II

MYSTÈRES DU CHRIST – MYSTÈRES DE SA MÈRE

 

Le Rosaire, «résumé de l'Évangile»

L'anonciation
Premier mystère joyeux:
L'Annonciation
La visitation
Deuxième mystère joyeux:
La Visitation
La Naissance de Jésus
Troisième mystère joyeux:
La Naissance de Jésus
La Présentation de l'Enfant Jésus au Temple
Quatrième mystère joyeux:
La Présentation de l'Enfant Jésus au Temple
Le Recouvrement de l'Enfant Jésus a Temple
Cinquième mystère joyeux:
Le Recouvrement de l'Enfant Jésus au Temple

18. Pour être introduit dans la contemplation du visage du Christ, il faut écouter, dans l'Esprit, la voix du Père, car «nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père» (Mt 11, 27). Près de Césarée de Philippe, à l'occasion de la profession de foi de Pierre, Jésus précisera l'origine de cette intuition si lumineuse concernant son identité: «Ce n'est pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux» (Mt 16, 17). La révélation d'en haut est donc nécessaire. Mais pour l'accueillir, il est indispensable de se mettre à l'écoute: «Seule l'expérience du silence et de la prière offre le cadre approprié dans lequel la connaissance la plus vraie, la plus fidèle et la plus cohérente de ce mystère peut mûrir et se développer».

Le Rosaire est l'un des parcours traditionnels de la prière chrétienne qui s'attache à la contemplation du visage du Christ. Le Pape Paul VI le décrivait ainsi: «Prière évangélique centrée sur le mystère de l'Incarnation rédemptrice, le Rosaire a donc une orientation nettement christologique. En effet, son élément le plus caractéristique – la répétition litanique de l'Ave Maria – devient lui aussi une louange incessante du Christ, objet ultime de l'annonce de l'Ange et de la salutation de la mère du Baptiste: “Le fruit de tes entrailles est béni” (Lc 1, 42). Nous dirons même plus: la répétition de l'Ave Maria constitue la trame sur laquelle se développe la contemplation des mystères: le Jésus de chaque Ave Maria est celui même que la succession des mystères nous propose tour à tour Fils de Dieu et de la Vierge».

Une intégration appropriée

19. Parmi tous les mystères de la vie du Christ, le Rosaire, tel qu'il s'est forgé dans la pratique la plus courante approuvée par l'autorité ecclésiale, n'en retient que quelques-uns. Ce choix s'est imposé à cause de la trame originaire de cette prière, qui s'organisa à partir du nombre 150, correspondant à celui des Psaumes.

Afin de donner une consistance nettement plus christologique au Rosaire, il me semble toutefois qu'un ajout serait opportun; tout en le laissant à la libre appréciation des personnes et des communautés, cela pourrait permettre de prendre en compte également les mystères de la vie publique du Christ entre le Baptême et la Passion. Car c'est dans l'espace de ces mystères que nous contemplons des aspects importants de la personne du Christ en tant que révélateur définitif de Dieu. Proclamé Fils bien-aimé du Père lors du Baptême dans le Jourdain, il est Celui qui annonce la venue du Royaume, en témoigne par ses œuvres, en proclame les exigences. C'est tout au long des années de sa vie publique que le mystère du Christ se révèle à un titre spécial comme mystère de lumière: «Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde» (Jn 9, 5).

Pour que l'on puisse dire de manière complète que le Rosaire est un «résumé de l'Évangile», il convient donc que, après avoir rappelé l'incarnation et la vie cachée du Christ (mystères joyeux), et avant de s'arrêter sur les souffrances de la passion (mystères douloureux), puis sur le triomphe de la résurrection (mystères glorieux), la méditation se tourne aussi vers quelques moments particulièrement significatifs de la vie publique (mystères lumineux). Cet ajout de nouveaux mystères, sans léser aucun aspect essentiel de l'assise traditionnelle de cette prière, a pour but de la placer dans la spiritualité chrétienne, avec une attention renouvelée, comme une authentique introduction aux profondeurs du Cœur du Christ, abîme de joie et de lumière, de douleur et de gloire.

Mystères joyeux

20. Le premier cycle, celui des «mystères joyeux», est effectivement caractérisé par la joie qui rayonne de l'événement de l'Incarnation Cela est évident dès l'Annonciation où le salut de l'Ange Gabriel à la Vierge de Nazareth rappelle l'invitation à la joie messianique: «Réjouis-toi, Marie». Toute l'histoire du salut, bien plus en un sens, l'histoire même du monde, aboutit à cette annonce. En effet, si le dessein du Père est de récapituler toutes choses dans le Christ (cf. Ep 1, 10), c'est l'univers entier qui, d'une certaine manière, est touché par la faveur divine avec laquelle le Père se penche sur Marie pour qu'elle devienne la Mère de son Fils. À son tour, toute l'humanité se trouve comme contenue dans le fiat par lequel elle correspond avec promptitude à la volonté de Dieu.

C'est une note d'exultation qui marque la scène de la rencontre avec Élisabeth, où la voix de Marie et la présence du Christ en son sein font que Jean «tressaille d'allégresse» (cf. Lc 1, 44). Une atmosphère de liesse baigne la scène de Bethléem, où la naissance de l'Enfant divin, le Sauveur du monde, est chantée par les anges et annoncée aux bergers justement comme «une grande joie» (Lc 2, 10).

Mais, les deux derniers mystères, qui conservent toutefois cette note de joie, anticipent les signes du drame. En effet, la présentation au temple, tout en exprimant la joie de la consécration et en plongeant le vieillard Syméon dans l'extase, souligne aussi la prophétie du «signe en butte à la contradiction» que sera l'Enfant pour Israël et de l'épée qui transpercera l'âme de sa Mère (cf. Lc 2, 34-35). L'épisode de Jésus au temple, lorsqu'il eut douze ans, est lui aussi tout à la fois joyeux et dramatique. Il se dévoile là dans sa divine sagesse tandis qu'il écoute et interroge; et il se présente essentiellement comme celui qui «enseigne». La révélation de son mystère de Fils tout entier consacré aux choses du Père est une annonce de la radicalité évangélique qui remet en cause les liens même les plus chers à l'homme face aux exigences absolues du Royaume. Joseph et Marie eux-mêmes, émus et angoissés, «ne comprirent pas» ses paroles (Lc 2, 50).

Méditer les mystères «joyeux» veut donc dire entrer dans les motivations ultimes et dans la signification profonde de la joie chrétienne. Cela revient à fixer les yeux sur la dimension concrète du mystère de l'Incarnation et sur une annonce encore obscure et voilée du mystère de la souffrance salvifique. Marie nous conduit à la connaissance du secret de la joie chrétienne, en nous rappelant que le christianisme est avant tout euangelion, «bonne nouvelle», dont le centre, plus encore le contenu lui-même, réside dans la personne du Christ, le Verbe fait chair, l'unique Sauveur du monde.

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Jean-Paul II

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