Notre mission, femmes No. 5

le jeudi, 15 février 1940. Dans Notre mission, femmes...

Haine et guerre

Marthe a vu tuer dans la guerre, son père, sa mère, et tous ses frères et sœurs.

Marthe a de la haine dans le cœur. Elle décide de se venger. Elle veut servir dans la guerre... Elle ne servira pas comme garde-malade. Elle veut être plus près que cela de l’ennemi pour se venger comme il faut. Elle sera espionne.

Son rôle lui est bien défini : découvrir les plans allemands afin de prévenir les surprises.

Et le moyen à prendre pour remplir son rôle lui est bien défini aussi : s’approcher d’Éric, chef d’espionnage de l’Allemagne, et lui voler ses secrets. S’en approcher par tous les moyens dont dispose une femme. Marthe comprend qu’elle doit se faire aimer d’Éric.

Marthe réussit parfaitement son entreprise. Éric s’éprend d’elle. Il l’aime parce qu’elle est belle. Il l’aime aussi parce qu’il la croit pure et sincère. Et il la charge lui-même de missions d’espionnage pour le service de l’Allemagne.

Ainsi Marthe connaît tous les plans allemands et les révèle aux Français.

Éric a des doutes parfois, mais elle joue si bien la comédie... qu’il se remet vite à l’aimer.

Un jour, Marthe a fini sa mission, après avoir rendu de grands services à son pays. Ce jour-là, elle montre tout son jeu à Éric, et en profite pour lui dire toute la haine qu’elle a dans le cœur contre l’Allemagne et contre Éric lui-même.

Quelle triste scène que celle de ce jour-là ! C’est Marthe, la belle Marthe, qui se tient debout dans une attitude de révoltée. Son visage est enlaidi par la colère. Sa bouche vomit des paroles de destruction et écume de passion. C’est Éric, l’ennemi, qui s’est laissé gagner par un amour véritable et sain, pour lequel il a vendu son pays, et qui sent maintenant son âme fondre sous le coup de la déception.

Même sous le coup de foudre de ce jour-là, il aime encore Marthe d’amour profond et se garde bien de lui faire du mal.

Lequel des deux avait compris le sens de la vie ?

La vie, de quoi est-elle faite ? La vie profonde et véritable peut-elle se nourrir de haine ?

"Aimez-vous les uns les autres...

"Aimez votre prochain comme vous-mêmes, comme votre Père céleste vous a aimés...

— Le prochain, mais qui est-ce ? Est-ce le seul compatriote ?

— "Pardonnez à vos ennemis... »

— L’ennemi, qui est-ce encore ? Comment, il faudrait pardonner même aux Allemands ?...

— "Il faut pardonner aux ennemis, même aux Allemands..."

— Mais, la guerre, la guerre, c’est quelque chose de permis, pensait Marthe.

— La guerre, Marthe, c’est quelque chose d’anti-chrétien, donc d’anti-humain. On peut se défendre, oui, mais on n’a pas le droit de haïr. Et même lorsqu’on se défend, ce n’est pas avec de la guerre qu’on fait de la vie. La guerre ; quelle qu’elle soit, sème la mort, la destruction.

— Mais, les peuples civilisés se font encore la guerre !

— Les peuples civilisés, lorsqu’ils se font la guerre, ne sont plus des peuples civilisés. Ils retombent dans la barbarie.

— Mais, Éric qui m’aimait, avait-il raison de m’aimer, et en même temps de trahir son pays ?

— Éric n’avait pas raison de trahir son pays, et il avait raison de vous aimer.

— Mais comment pouvait-il m’aimer et ne pas trahir ?

— C’est pour cela, ma chère Marthe, que la guerre est une folie. Elle nous force à haïr ce qu’on doit aimer et ce qu’on aurait tant de bonheur à aimer.

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