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La lecture et les jeunes

le mercredi, 15 novembre 1939. Dans Réflexions

C’est affreusement piteux d’avoir vingt ans et d’aborder la vie sans savoir ce qui doit primer dans une vie, et d’être englué dans un climat végétatif, intellectuellement et moralement. Bourget disait :

"C’est terrible que d’avoir vingt-cinq ans et d’avoir pour âme une machine à calcul au service d’une machine à plaisir."

Il y a là une question d’éducation, sans doute, dans le problème des lectures. Il y a le milieu et tout le tremblement des circonstances qui ébranlent une vie, l’atténuent, influent sur les destinées des êtres. D’autre part, avec un brin d’intelligence défrichée et une goutte de discernement, il est impossible de n’en jamais venir à comprendre la notion d’une culture supérieure. Quand on est jeune surtout, les appels à la grandeur tintent impérieusement au fond de l’âme.

C’est en soi principalement qu’on porte et qu’on trouve, quand on cherche, le germe de sa personnalité, le principe de son élévation, de sa régénération lorsqu’il y a lieu, comme on trouve aussi en soi le principe de sa déchéance. Notre culture donc dépend de nous, de notre effort personnel, de notre TENDANCE, de notre appétit de fadeur ou de beauté, de vérité ou de fausseté.

Encore là, il y a une culture vraie et une qui ne l’est pas ; une authentique et une officielle ; une profonde et une superficielle ; une totale et une partielle. La première se développant dans la solitude fructueuse d’une vie simple, toute ouverte sur la vie réelle. La seconde toute penchée vers le savoir livresque, cette dernière ordinairement reconnue et couronnée par le moule universitaire, parfois même encouragée par les gouvernements.

On finit toujours par avoir la culture qu’on veut avoir. Mais l’indispensable condition d’un commencement de culture, c’est d’avoir pris conscience de sa propre pensée, et de l’avoir confrontée avec la pensée et l’action des grands esprits. Il faut que le jeune penseur ait subi le prestige des grands caractères.

Tel n’est pas le cas de notre déplorable masse de jeunes bourgeois, notre pseudo-élite ! L’élite de quoi ? On est l’élite de ce en quoi on est spécialisé. Spécialisé en quoi, alors ?

L’élite du roman, du fictif, de l’intérêt et de l’illogique. Il y a aussi, l’élite de la mémoire. De toute cette catégorie de jeunes qui ont conservé de leurs études la manie de citer et de faire sérieusement de l’esprit sur les mots.

C’est naturellement plus facile de lire des histoires falsifiées par l’imagination romantique des littérateurs, c’est plus facile de retenir les citations de gens à la mode que de s’adonner de toute son âme à vouloir vivre sa vie en la comprenant. Se réaliser. Et c’est naturellement plus austère, mais combien plus vrai, de recourir aux faits véritables, et se mettre humblement à l’école des grandes voix intrépides qui font écho dans le monde, de ceux qui nous ont légué le témoignage de leurs vies avec les fragments testamentaires de leur pensée.

Mais notre jeunesse canadienne, sortant de nos institutions, blasée et sans curiosité intellectuelle aucune, ayant perdu le sens de la tradition et le goût de la studiosité, de la recherche — notre jeunesse n’a plus que le temps de se divertir. Et c’est urgent pour elle de connaître les vedettes et les farceurs du siècle... C’est urgent, oui, et pendant ce temps-là, nos jeunes croupissent dans une insignifiance stagnante. Ils sont "sanguins et pleins de jactance" comme les jeunes décadents du temps de saint Augustin. Ils vieilliront dans leur insignifiance, ils pataugeront dedans toute leur vie, ils mourront dedans, peut-être sans même s’ennuyer un seul jour dedans ! C’est ce qu’il y a de plus triste.

Ah ! Grand Dieu ! que les centrales de l’intelligence ont de l’ouvrage à faire !

Thomas Bertrand

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