Un trône qui chancelle

Louis Even le jeudi, 01 février 1940. Dans Citations

Chambres de Commerce en faveur d'un crédit social

EN ANGLETERRE — EN AUSTRALIE — EN NOUVELLE-ZÉLANDE

Le trône qui chancelle, ce n’est pas celui du roi Georges VI. Des centaines de mille hommes se lèveraient pour le protéger.

Le trône qui chancelle, c’est celui que s’obstinent à défendre le brave Beaudry Leman et quelques huppés de nos chaires universitaires. C’est le trône longtemps révéré, mais où l’on a fini par découvrir l’ennemi No. 1 de l’humanité.

"Ceux qui contrôlent l’argent et le crédit sont devenus les maîtres de nos vies."

On n’en veut plus, de ces maîtres-là.

Partout on se révolte contre cet empire invisible. Le statu quo qu’on nous présentait comme une nécessité devient l’objet de notre mépris.

Le prestige des grands-prêtres du système tombe. Les influences, bien que soignées encore, n’ont plus autant de poids. Malheur aux puissances du jour, même les plus dignes, qui osent proclamer leur fidélité au trône qui chancelle : le public les englobera dans une même épitaphe.

La petite voix de banquier entendue en décembre dernier a perdu beaucoup de son timbre, malgré les compliments ampoulés de journalistes chez qui la prostration et l’ignorance sont deux compagnes fidèles.

À LA FÉDÉRATION DES CHAMBRES DE COMMERCE DE L’EMPIRE

Lorsqu’il parlait aux jeunes de la Chambre de Commerce cadette de Montréal, il eût été convenable pour Beaudry Leman de leur citer, sur son sujet, la résolution suivante du treizième Congrès de la Fédération des Chambres de Commerce de l’Empire Britannique :

"Ce Congrès de la Fédération des Chambres de Commerce de l’Empire Britannique, reconnaissant les immenses changements apportés aux conditions sociales et économiques du monde par l’application des découvertes scientifiques à l’agriculture, à l’industrie, aux communications et au transport, déplore l’absence de progrès correspondant dans le système monétaire, tant national qu’international.

"Il presse les divers gouvernements de l’Empire de se concentrer sur la recherche d’un système monétaire qui permette aux peuples du monde de jouir de l’abondance énorme rendue disponible par les progrès techniques."

LA CHAMBRE DE COMMERCE DE SOUTHAMPTON

Sûrement, les cadets de Montréal auraient aussi gagné à entendre les conclusions exprimées sur le même sujet par leurs aînés de la Chambre de Commerce de Southampton (Angleterre), à la suite d’une étude sérieuse et approfondie des conditions actuelles :

"De toute évidence, le défaut du système économique réside dans le mécanisme responsable du transfert des produits de l’industrie productive aux individus qui forment le corps des consommateurs.

"Ce lien entre la production et la consommation, c’est l’argent.

"L’argent tangible ne forme qu’une partie minime de la monnaie totale d’une nation. Le gros de l’argent est créé par les banques commerciales. En octroyant des prêts, en permettant des chèques à découvert, en achetant des valeurs mobilières, les banques créent littéralement l’argent.

"La prérogative ainsi conféré à des institutions particulières pour la création de l’argent semble une anomalie parce que le "crédit" ou la "confiance" à la base du système monétaire est une chose inhérente à la collectivité."

PRINCIPES PRÉCONISÉS

Et la même Chambre de Commerce de Southampton établit les principes suivants pour un système monétaire sain :

"L’argent doit être réglé d’après le crédit réel de la collectivité, représenté par la capacité productive du pays.

"Pour que l’argent remplisse son rôle, on devra cesser de le traiter comme une marchandise soumise au commerce de quelques profiteurs.

"L’argent étant simplement le véhicule du crédit de la collectivité, l’administration de la politique financière ne peut être logiquement confiée qu’à une autorité nationale directement responsable au souverain et à son peuple.

"Le mécanisme existant étant incapable d’équilibrer le pouvoir d’achat avec les prix des produits disponibles, il faut combler l’écart par une finance directe du public. Deux alternatives :

a) Ou bien abaisser les prix au niveau du pouvoir d’achat sans nuire à personne ;

b) Ou bien augmenter le pouvoir d’achat au niveau des prix ;

Ou encore l’emploi simultané des deux méthodes. "

Si Beaudry Leman comprend quelque chose au Crédit Social, il reconnaîtra dans a) l’objectif de l’escompte compensé, et dans b) l’objectif du dividende national. Le Crédit Social propose justement l’emploi simultané des deux.

À LA COUR PLÉNIÈRE D’AUSTRALIE

Le "trône" est sapé ailleurs qu’en Angleterre, et au Canada. Voici une déclaration conjointe du juge-en-chef Dethridge et des juges Beeby et Drake-Brockman, de la Cour Plénière de Conciliation et d’Arbitrage du Commonwealth Australien :

"Une partie considérable de l’opinion soutient que la manipulation de l’argent et du crédit et les systèmes bancaires du monde sont en grande partie responsables de la crise actuelle.

"Théoriquement, le mécanisme financier est destiné à faciliter les échanges de la richesse existante, à l’intérieur comme à l’étranger.

"Mais, sous les systèmes bancaires du monde, il est devenu un instrument pour contrôler la production future de la richesse.

"Nombre d’économistes et d’hommes d’État soutiennent aujourd’hui que le contrôle de l’argent devrait être une fonction de l’État plutôt qu’un champ d’exploitation pour des profiteurs."

AU PARLEMENT DE TASMANIE

L’idole bancaire est à terre en Tasmanie, province du commonwealth d’Australie. Une motion du premier-ministre, l’Hon. E. Dwyer-Gray, adoptée récemment par le parlement tasmanien, stipule que le crédit de la collectivité doit être utilisé pour la défense nationale, pour l’industrie et pour le peuple d’Australie.

"Quelque chose de défectueux, dit-il, existe dans le système financier d’Australie ; il est urgent d’y adopter une certaine forme de contrôle communal du crédit.

"Le crédit d’une nation n’est en réalité que la capacité de cette nation à fournir des produits et des services. Son utilisation dans l’intérêt du peuple signifierait une nouvelle ère de prospérité pour le public."

À la différence de notre Ralston, le secrétaire de la province, M. E. Brooker, juge le temps opportun pour placer le crédit financier de l’Australie au service de son peuple :

"Sous le système financier existant, la guerre va signifier une dette énorme. Si nous n’introduisons un nouveau et meilleur système, je crois que le résultat inévitable sera une révolution, avec beaucoup d’effusion de sang."

Et le gouvernement tasmanien suggère que les législateurs exigent de la Banque du Commonwealth l’émission sans dette de tout le crédit nécessaire au bien de l’État.

Évidemment la finance a trouvé des défenseurs. Walter Lee a de nouveau agité (comme Beaudry Leman) le spectre de l’inflation. Mais on est devenu moins enfant, et les croquemitaines des banquiers commencent à faire rire.

Une autre province du Commonwealth, l’Australie Méridionale, avait précédemment exprimé le même point de vue.

AU PARLEMENT DE NOUVELLE-ZÉLANDE

Un coup encore plus formidable vient d’ébranler le "trône" en Nouvelle-Zélande, parce qu’il s’agit cette fois d’un pays souverain, non plus d’une simple province.

Après quelques années d’hésitation, le gouvernement de la Nouvelle-Zélande décide d’affronter les puissances rostchildiennes et semble commencer pour de bon à réaliser son programme de réforme monétaire.

Le Reserve Bank Amendment Bill, loi amendant la charte bancaire, est passé aux deux Chambres. Les débats parlementaires soulevés à cette occasion démontrent qu’en Nouvelle-Zélande on a soupé des vieux thèmes à la Beaudry Leman.

Le Ministre des Finances, M. Nash, explique qu’il n’est pas question de supprimer la Banque ni le conseil de la Banque ; mais que le gouvernement doit avoir le dernier mot. La banque gardera l’administration, mais le gouvernement lui dictera l’objectif, puisque c’est lui qui est responsable du bien commun.

Là encore, les défenseurs du système ont fait jouer l’épouvantail de l’inflation — c’est immanquable :

G. W. Forbes (opposition). — Ce bill pourvoit-il à l’inflation ?

Hon. Nash. — Il pourvoit au contrôle approprié du crédit du Dominion.

W. A. Bodkin (opposition). — L’inflation détruira le niveau de vie.

Hon. Nash. — Si l’intervention est ce qu’elle doit être, il n’y aura pas d’inflation.

Le leader de l’opposition, Adam Hamilton, défend les banquiers et, comme tel, trouve que "tout va bien, Madame la Marquise, pourquoi changer ?" :

"La Nouvelle-Zélande a bien marché pendant cent ans ; les Néo-Zélandais voudront-ils se soumettre à la dictature d’État représentée par ce bill ?"

Vous verrez qu’on nous servira les mêmes arguments au Canada. En voici quelques autres :

Hamilton — La Nouvelle Zélande s’embarque sur une route glissante, et il est difficile de prévoir où elle s’arrêtera (débarrassée de la camisole bancaire, que ne va pas faire la folle ?)... Le bill va affaiblir la confiance dans le pays et affecter sa stabilité commerciale... Les autres pays vont exiger des paiements en leurs propres devises...

À quoi le procureur-général, H. G. R. Mason, remarque :

"M. Hamilton est consterné simplement parce que la fonction la plus importante de la banque, le contrôle du volume de l’argent, ne reste plus un contrôle privé".

H. S. Kyle (opposition) — Comment votre ami, Montagu Norman, va-t-il prendre cela ? (Montagu Norman est le gouverneur de la Banque d’Angleterre depuis plus de vingt ans.)

Hon. Nash. — J’espère qu’il le prendra bien. Mais même Montagu Norman ne doit pas conduire ce pays-ci.

Forbes (opposition). — Les conseillers de la Banque sont réduits par ce bill à la simple position d’employés de bureau.

Barrell. — Et que sont-ils donc, sinon les serviteurs du public ?

Une véritable révolte nationale contre le trône occulte.

Le Ministre des Terres, F. Langstone, ne veut pas que la Nouvelle-Zélande soit mise sous le harnais par un monde situé à 13,000 milles.

Le Ministre du Logement, H. T. Armstrong, décrit le système monétaire actuel comme le plus idiot que le cerveau de l’homme ait pu inventer.

M. Atmore astique, en passant, un coup de pied peu respectueux à la petite déesse jaune : Les banques ont depuis longtemps émis des billets sans couverture or. Pendant la grande guerre, la Banque d’Angleterre a émis plus de 300 millions de livre sterling sur le seul crédit de la Grande-Bretagne. Il n’y a pas besoin d’or derrière les billets — produits et services suffisent.

LA FIN D’UN RÈGNE

Le Parlement de la Nouvelle-Zélande se rend parfaitement compte de la portée de sa loi. Selon les termes d’un de ses membres, le Rév. A. H. Nordmeyer :

"Ce gouvernement est destiné à montrer au monde ce que peut faire le peuple d’un pays lorsque, par son gouvernement, il prend le pouvoir nécessaire et l’exerce, non dans l’intérêt de quelques privilégiés, mais pour le bien de tous en général".

C’est la démonstration commencée en Alberta sur une échelle provinciale ; elle fera le sujet de notre prochaine étude.

L’adversaire sait parfaitement aussi ce que tout cela signifie. M. Endean (opposition) déclare que le bill sonne le glas du système financier actuel en Nouvelle-Zélande.

Ce glas-là sonne un peu partout, jusqu’à en faire dinguer les oreilles de Beaudry Leman et des vieilles barbes de l’aéropage désemparé que pâme l’effondrement d’un trône.

1 fév 1940 p1 ; 1940_02_No7_P_001-8.doc ; première année, numéro 7

 

Louis Even

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