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Tous capitalistes, non au communisme

Louis Even le samedi, 01 novembre 1958. Dans Crédit Social

Le Canada s’est établi et développé merveilleusement sans avoir besoin de théories com­munistes. Il a passé de la forêt vierge ou de plaines nues à la culture, à l’industrie, au com­merce, à un rang des plus élevés dans la production mondiale, sans avoir besoin d’une économie socialiste.

Les descendants des fondateurs, les Canadiens français, par exemple, issus des 60 000 colons coupés de leur mère patrie, la France, après la défaite de 1760, se sont multipliés, ont élevé des familles de 8, 10, 12 enfants et plus, sans mourir de faim, dans des maisons confor­tables, sans avoir à travailler le dimanche ou les jours de fêtes, ni la nuit, alors qu’ils n’avaient point la machinerie perfectionnée d’aujourd’hui pour aider le travail de leurs bras. Ils ont bâti, en une dizaine de générations seulement, un Canada envié par bien des nations, et sans avoir eu à courir fiévreusement chaque jour (ou chaque nuit) entre une maison taxée et une usine asservissante.

Les descendants des fondateurs ont fait cette réussite dans une économie d’initiative person­nelle, d’entreprise libre et de propriété privée, donc dans un système capitaliste, sans avoir besoin du gouvernement à tous les coins, ni d’allocations sociales prenant aux uns pour donner à d’autres.

À qui fera-t-on croire qu’avec des moyens de production plus rapides et moins épuisants, leurs descendants d’aujourd’hui aient besoin de socialisme ou de communisme, d’une nuée de fonctionnaires, des pompes aspirantes et foulantes du gouvernement, pour faire vivre conve­nablement les familles généralement beaucoup moins chargées d’enfants de nos jours ?

Ces simples constatations devraient déjà porter à conclure, non pas qu’il faut introduire du socialisme, mais qu’on a empoisonné une économie de réalités en y greffant quelque chose qui est contraire au réel. Des obstacles ont été posés entre les biens plus abondants que jamais et les familles qui en ont besoin. C’est ce quelque chose-là qu’il faut dénoncer, ce quelque chose qui n’est pas du capitalisme vrai et qui, au lieu de lui être utile, le vicie. Nous en parlerons un peu plus loin. Mais auparavant, poussons encore quelques réflexions.

Riches et pauvres

Il ne manque pas de personnes qui, même ayant fait des études et devant donc être renseignées, soutiendront qu’il faut bien enlever aux riches qui ont plus qu’il leur faut, pour don­ner aux pauvres qui n’ont pas assez. Les pauvres, pensent-ils, seraient moins pauvres si les riches étaient moins gavés.

Mais peut-on vraiment soutenir que s’il y a des pauvres, c’est parce qu’il y a des riches  ? C’est là un slogan socialiste qui tient mal de­bout, qui ne tient pas du tout dans des pays producteurs comme le nôtre, où les riches n’épuisent aucunement toute la production réa­lisée, encore moins la production qui attend pour surgir que les produits déjà offerts soient en route vers ceux qui en ont besoin.

Le flot de produits répondant à des besoins normaux continue au rythme où ils atteignent les besoins. Si les besoins totaux augmentent, la production totale augmente, pourvu que les produits atteignent vraiment les besoins accrus.

Si avides, si insatiables soient les riches — jusqu’à en perdre le bon sens ici-bas et même leur âme pour l’éternité — ils ne mangent tout de même pas tous les produits alimentaires du pays, ils n’en accaparent pas tous les vêtements dans leurs garde-robes, ils n’en épuisent pas tous les matériaux de construction. Il reste beaucoup de toutes ces choses et d’autres pour fournir un niveau de vie convenable à toutes et chacune des familles et des personnes du pays. II est archi-faux de dire que c’est le gros panier du riche qui fait le petit panier du pau­vre. Demandez à l’épicier du coin si, après avoir servi le riche, il est à court de produits pour servir le pauvre.

— C’est bien vrai, dira-t-on, tant qu’il est question de la présence des produits, mais comment les familles peuvent-elles obtenir ce qu’il leur faut de ces produits qui sont bien là, quand elles n’ont pas assez d’argent pour les payer ?

— Voilà. C’est un problème d’argent, et non pas un problème de choses, de réalités. Et c’est au système d’argent et non pas au système de production qu’il faut s’en prendre.

Il faut savoir faire la différence entre le système capitaliste qui produit, transporte et livre très efficacement, et le système d’argent qui est en désaccord avec ce magnifique système de production et de livraison. Tout est là.

Nationalisations

Encore une fois, il existe certainement des situations inadmissibles dans nos pays capita­listes. Mais pour les corriger, il faut situer la cause et soigner là où est le mal, et par des moyens appropriés.

Que penser d’un malade qui, souffrant du choléra, demanderait à son médecin de lui inoculer la peste pour le délivrer du choléra ? Ils font pire que cela, ceux qui, déplorant des conditions économiques véritablement intolérables dans nos pays libres, cherchent la guérison dans l’instauration d’un régime communiste. Cela équivaut à vouloir se débarrasser d’une maladie parfaitement traitable en la rem­plaçant par une maladie mortelle.

C’est, en effet, non pas du capitalisme, mais du communisme, que Pie XI a bien justement dit qu’il est essentiellement pervers. Pervers dans son essence même : donc, comme le dé­mon, rien de bon, rien même de neutre à en attendre.

Quant au capitalisme, non seulement il n’est pas intrinsèquement mauvais, mais, à le bien distinguer du virus financier dont il souffre et dont il peut être affranchi, le système capitaliste (initiative personnelle, entreprise libre, propriété privée) est ce que l’on connaît de mieux pour faire la prospérité d’une nation et de tou­tes les familles qui la composent.

Produire et distribuer

Pour être efficace et social, un système économique doit pouvoir répondre à deux conditions, et il est d’autant meilleur qu’il y répond mieux :

Premièrement, il doit pouvoir produire les biens répondant aux besoins ;

Deuxièmement, il doit être capable de distribuer ces biens pour qu’ils atteignent et satisfassent les besoins là où ils sont.

Or, est-ce que notre système actuel de production, avec ses moyens en matériel, main­ d’œuvre et technique, n’est pas capable de fournir tous les biens requis pour les besoins humains normaux de toute la population du pays ? — Oui, certes, il en est capable, et facilement, personne n’en doute.

De même, est-ce que notre système économique actuel de distribution, avec ses moyens de conservation et de transport, avec ses magasins partout où vivent des familles et ses services de livraison, est capable de faire la jonction entre les biens et les besoins ? Certainement encore, il en est capable, jusqu’aux coins les plus reculés du pays.

Et s’il y a défaut de production, ou défaut de distribution partout où il y a des besoins, ce n’est pas du tout à cause d’incapacité ou d’incompétence des producteurs, ni par incapacité physique du mécanisme de distribution. C’est uniquement par défaut d’argent. L’obstacle provient du système d’argent, non pas du sys­tème de production ou de distribution. Obstacle du système d’argent qui, pourtant, n’a pu être inventé que pour mobiliser les moyens de production d’une part et, d’autre part, pour permet­tre aux individus de se procurer ce qui leur convient pour satisfaire leurs besoins.

L’argent n’est pas le système capitaliste ; il n’est là que pour le servir, et non pas pour l’empêcher de bien produire et de bien livrer les produits qu’il faut.

Or, c’est justement ce système d’argent, qui de lui-même ne produit rien, qu’on respecte comme s’il était d’institution divine et sacrée, alors qu’on s’en prend à la structure capitaliste du système producteur et du système distributeur qui, tous les deux, ne demandent pas mieux que servir et bien servir. Est-ce que les agents de production et les agents de distribution ne sont pas à l’affût constant et empressé de commandes à servir ? On ne trouve pas, hélas, cet empressement du côté de la source d’où provient l’argent moderne, les crédits financiers. L’argent n’est pourtant rien en soi, que l’expression chiffrée de valeurs qu’il ne crée pas, une comptabilité, et rien ne serait plus facile que d’en faire une comptabilité exacte.

Si l’on s’habituait à penser, raisonner et conclure en termes de réalités, en termes de produits et de besoins, au lieu de penser, raisonner et conclure en termes d’argent, on verrait avec éclat les possibilités réelles réaliser des conditions économiques satisfaisantes pour tous ; et l’on stigmatiserait avec indignation les obstacles purement artificiels dressés par un système financier qui ne produit rien et qu’on laisse dominer tout, alors qu’il n’a d’autre raison d’être que de servir le système qui produit et distribue.

Claire distinction

Un cultivateur possède un champ. Ce champ est un capital, un capital réel. Capital réel aussi, les outils du cultivateur. Capital réel encore, sa compétence de cultivateur. Il laboure son champ. Il y sème du blé, ou y plante des pommes de terre. La maturation venue, il récolte une abondance de blé ou une abondance de pommes de terre. Ce cultivateur est un capitaliste, pas un financier. C’est un capital réel qu’il exploite, et ce sont des revenus réels — blé ou pommes de terre — qu’il tire de son capital réel.

Le système financier, lui, est une tout autre affaire. C’est un simple système de permissions. De permis, du côté producteur, pour mobiliser, mettre en œuvre des moyens de production. — Permis, du côté consommateur, pour obtenir les produits finis et offerts. Ce n’est pas l’argent qui donne de la valeur aux produits, aux réalités. Ce sont les produits et la capacité de produire qui donnent de la valeur à l’argent.

C’est donc l’argent qui doit s’assouplir aux réalités, et non pas les réalités qui doivent se soumettre aux rigidités de l’argent. S’il y a des travaux utiles à exécuter et des hommes avides de les faire, pourquoi rester paralysé par le simple manque de permis chiffrés  ?

Mackenzie King, Premier Ministre du Canada pendant 25 années, ne raisonnait pas mieux pendant la décennie d’avant la deuxième guerre mondiale (1930-39). Il n’avait pas cinq sous pour les chômeurs, disait-il.

Ce qui ne l’empêcha pas, sitôt la guerre déclarée en Europe, de lancer le Canada dans la bagarre, avec des milliards qui surgissaient, tout neufs, des chiffres qui sortaient presto des encriers des banquiers, des permis pour tuer et produire des engins de tuerie. Cela prouve au moins à l’évidence que les permis ne sont pas un problème. Ils ne peuvent l’être que parce qu’on accepte bêtement, disons criminellement, la domination de ceux qui en ont usurpé le contrôle, alors qu’ils ne sont ni le gouvernement ni les producteurs.

Ignorance et refus

C’est donc le système d’argent et non le capitalisme qu’il faut blâmer. Le système d’argent qui commence par détraquer les esprits en faisant de l’argent la condition, le moyen et la fin de toutes les activités économiques et même d’autres. Étant donné que le système d’argent est d’institution humaine, son inadaptation au réel est déjà une marque de folie humaine.

Dans le monde d’abondance de nos pays développés ; un monde aussi où l’argent ne nécessite plus de métal précieux à découvrir et à extraire de mines profondes, où le billet de 100 dollars ne coûte pas plus de papier ni de travail d’impression que le billet de cinq dollars ; dans un monde où de simples opérations de comptabilité, transportant des crédits d’un compte à un autre, règlent les paiements entre personnes séparées par des plaines, des montagnes, des déserts ou des océans, il faut être désespérément timbré pour se morfondre devant la prétendue incapacité d’ajuster le système monétaire aux exigences de la production pour tous et de la distribution à tous.

On peut ignorer ces notions, pourtant bien simples, et prendre des règlements financiers pour des lois inflexibles de la nature, aussi inflexibles que celles de la pesanteur et de la rotation de la terre, de sa translation autour du soleil, de la succession des saisons ; et l’on peut ainsi se croire devant des situations insolubles, dans des pays pourtant potentiellement riches, où le système monétaire est encore généralement un mystère, sauf pour ceux qui profitent du maintien de ce mystère. Mais on ne peut plaider cette ignorance au Canada, surtout pas dans la province de Québec, où le Crédit Social a fait la lumière et exposé les principes d’une finance saine et efficace depuis plus de 85 ans.

Sont donc inexcusables, chez nous, les hommes politiques, les journalistes, les éducateurs, les sociologues laïcs, les prédicateurs de justice sociale et les responsables de tous niveaux, qui, par ignorance crasse, ou par incurie, ou par lâcheté, ou par complicité, laissent blâmer n’importe qui et n’importe quoi excepté le système d’argent actuel inapte et perverti, pour les privations dont souffrent des personnes et des familles, exposant ces victimes à se tourner vers le communisme et sa propagande pour y chercher ce qu’ils ne trouvent pas dans une économie d’abondance immobilisée sous leurs yeux.

Tous capitalistes

Au lieu de vitupérer contre le capitalisme et de faire des signes d’amitié au communisme ou à des gens dont les vues marxistes sont connues, c’est l’expansion du capitalisme, du capitalisme vrai qu’il faut réclamer. Le capitalisme étendu à tous. Tous capitalistes.

Ce serait d’ailleurs conforme au réel, si ça ne l’est pas à une conception financière en désaccord avec le réel. Tous capitalistes, parce que tous sont attitrés à une part des fruits de richesses naturelles créées par Dieu. Tous, aussi, héritiers d’un progrès croissant dans les techniques et procédés de production — progrès acquis, transmis et accru d’une génération à l’autre. Progrès qui permet une production de plus en plus abondante et de plus en plus rapide, avec de moins en moins de labeur humain. Progrès qui est le facteur prépondérant, donc le plus gros capital réel de la pro­duction moderne. Et cet héritage n’a pas été gagné par un plus que l’autre des vivants ac­tuels. C’est donc un capital réel communautai­re, très productif, et qui doit bien valoir, à tous au même titre, un dividende réel, un droit à une part de la production due en grande partie à cet héritage communautaire.

Un dividende social périodique

La population doit faire pression sur les gouvernements pour qu’ils décident d’agir, au lieu de toujours étudier et de toujours remettre. Et l’application du Crédit Social en serait une magnifique réalisation, par le dividende social périodique à tous et à chacun, indépendamment des autres sources de revenus que les uns ou les autres peuvent avoir.

Au lieu d’assistés sociaux, des capitalistes sociaux. Au lieu d’allocations d’indigence avec leur cortège d’enquêtes et d’humiliations, le dividende social. Non pas une aumône mais un dû. Dividende qui ne serait pas plus humiliant à recevoir que le dividende servi périodiquement au capitaliste qui a investi des fonds dans l’industrie. Le capital-progrès est bien plus réel et bien plus facteur de production qu’un capital-dollars de n’importe quel montant.

En parlant des pauvres, des indigents, on les appelle souvent des « déshérités ». C’est justement cela qu’ils sont, des DÉSHÉRITÉS. On refuse de les reconnaître comme « cohéritiers », à titre égal, avec tous les citoyens de leur pays. Cohéritiers de ce progrès qui est le plus gros facteur de la production moderne. Donc, des ayant-droit à une part de la production due à ce progrès.

Si les fruits de la production sont partagés seulement entre les bailleurs de fonds et les employés, cela signifie que la part des déshérités est allée aux financiers et aux salariés. Le fait d’en reprendre à ceux-ci, par des taxes, pour venir au secours des déshérités ne remet pas ces déshérités dans leurs droits ; ces allocations les laissent dans leur statut de déshérités, déshérités secourus, alors qu’ils devraient être reconnus comme cohéritiers, co-capitalistes so­ciaux, recevant un dividende social, non pas comme secours à un indigent, mais comme dû à un capitaliste. Cela serait un dividende, garantissant ainsi à chaque membre de la société une certaine mesure de sécurité économique, un certain niveau de vie, aussi longtemps que continue la production et en rapport avec le volume de cette production. Sans pour cela supprimer la rémunération de ceux qui, producteurs, mettent en œuvre le capital communautaire.

Cette vision ouvre les perspectives d’un système économique et social vraiment humain, réalisant le droit fondamental de tout homme à l’usage des biens terrestres — droit lié au seul fait de sa nature d’être humain — droit si réaffirmé par le grand Pape Pie XII dans son mémorable radio-message de Pentecôte 1941.

Le progrès technologique ne serait plus une punition en supprimant de l’emploi. Au contrai­re, le dividende social assurant à tous un certain niveau de vie lié à la production et non pas uniquement à l’emploi, la mécanisation accrue, l’automation apporteraient une libération per­mettant de poursuivre d’autres activités que celles de la seule fonction économique de l’homme, au lieu de susciter des besoins matériels nouveaux pour maintenir l’emploi comme uni­que source de revenu. Le système liant le droit de vivre à l’emploi accentue le matérialisme. Un régime de dividende social à tous favorise­rait ce qu’un philosophe entrevoyait comme « au lieu d’une civilisation de travail une civilisation de contemplation ».

Louis Even

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