Ouvrons les yeux

le dimanche, 01 mai 1938. Dans Cahiers du Crédit Social

Pourquoi les hommes vivent-ils en société ? Pourquoi chacun ne s'isole-t-il pas dans son coin, comme un Robinson Crusoé, voyant lui-même à se nourrir, à se vêtir, à se loger, à s'instruire, sans rien recevoir des autres et sans rien leur donner ?

Évidemment, c'est parce que les hommes ont assez d'intelligence pour comprendre qu'en vivant en société, chaque individu peut beaucoup plus facilement obtenir ce qu'il faut pour satisfaire ses besoins que si chacun devait tout faire tout seul.

L'association existe pour le bien commun, pour l'avantage de tous et de chacun.

Mais constate-t-on le contentement général parmi les membres de l'association humaine ? Les hommes obtiennent-ils de leur association cette plus grande facilité de vivre qu'ils en attendent ? La paix et la joie de vivre règnent-elles ?

Un simple coup d'œil superficiel nous montre des hommes mécontents partout. L'ouvrier est mécontent, parce qu'il n'a pas un salaire suffisant pour acheter les fruits de sa production. Le patron est mécontent parce qu'il ne peut pas vendre ses produits pour rencontrer ses dépenses et faire un profit légitime. Le marchand est mécontent parce que les acheteurs ne viennent pas ou ne paient pas. Les consommateurs sont mécontents parce qu'ils ne peuvent acheter ce dont ils ont besoin, alors qu'on leur offre toutes sortes de choses et qu'on les supplie de les acheter. Les cultivateurs sont mécontents parce qu'ils ne peuvent pas trouver un prix rémunérateur pour leurs produits. Les gens des villes sont mécontents parce qu'ils n'ont pas de quoi payer les produits des agriculteurs. Les provinces de l'Est sont mécontentes parce qu'elles doivent fournir des fonds aux provinces de l'ouest. Les provinces de l'ouest sont mécontentes, parce que les créanciers de l'Est leur prennent leur revenu. Les hommes se montrent le poing, les nations se montrent des canons. Les gouvernements s'agitent pour faire croire à leurs administrés qu'ils prennent soin de leurs intérêts quand ils font exactement le contraire de ce que le peuple désire.

Pourquoi ? Pourquoi ?

Pourquoi tant de biens immobilisés en face de tant de besoins ? Pourquoi tant de besoins, tant de misères, tant de pauvreté en face de tant de biens qui se perdent ?

Pourquoi, quand les greniers débordent de blé, des familles doivent-elles se rationner ? Pourquoi, quand nos manufactures de vêtements ferment à cause de stocks accumulés, des hommes, des femmes et des enfants qui restent insuffisamment vêtus ou doivent se contenter de guenilles ? Pourquoi des malades qui ne peuvent se soigner selon que le réclame leur état et selon que la médecine est capable de les soigner ?

De quoi manque-t-on au Canada ? Le bon Dieu ne nous a-t-il pas donné un pays riche de ressources naturelles ? Un sol fertile ; un sous-sol chargé de minerais ; d'immenses forêts ; des rivières et des montagnes qui nous fournissent des sources de force motrice abondantes ? Ajoutez à cela une population intelligente, active et saine.

Avec tant de richesses, il n'est pas permis, sans insulter Dieu et l'humanité, de laisser des familles et des individus condamnés à l'indigence. Les enfants sous-nourris, mal habillés et mal logés, les parents aux prises avec la misère, les jeunes gens incapables de fonder un foyer, les malades sans soin, les taudis, la pénurie de services sociaux, sont une disgrâce et une honte, une condamnation et une accusation.

Ce n'est pas là un cri de communiste. Qu'on relise la parole du Pape citée sur le frontispice de ce petit bulletin :

"L'organisme économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin alors seulement qu'il procurera à TOUS et à CHACUN de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale de la vie économique, ont le moyen de leur procurer.”

"Tous et chacun", c'est tout le monde, ce sont tous les individus qui composent la société.

“Les ressources de la nature et de l'industrie” sont abondantes au Canada, la preuve n'en est pas à faire. Si l'agriculture et l'industrie ne rendent pas à plein aujourd'hui, s'il y a tant de chômage, c'est parce qu'on ne procure pas à TOUS et à CHACUN des membres de la société TOUS les biens que la nature et l'industrie peuvent fournir.

Pourquoi ne les procure-t-on pas ? Il ne manque que "l'organisation vraiment sociale de la vie économique."

Mais comment faire pour l'avoir, cette organisation vraiment sociale de la vie économique ?

Cesser de faire ce qu'on a trop fait jusqu'ici.

Que fait-on ? On écoute les encycliques quand le curé les lit à l'église. On dit : C'est beau. Quelques auteurs les citent de temps en temps ; on dit : c'est édifiant. Puis on en reste là.

Ce n'est pourtant pas le Pape qui va venir établir un ordre économique plus social au Canada. C'est à nous, membres de la société canadienne, de le faire. L'Église nous donne des principes ; à nous de les transporter dans la réalisation. Pour cela, il faut s'en occuper.

Que l'on continue d'abandonner la direction de nos affaires à ceux qui nous exploitent, rien ne sera changé.

Nous devons tous nous occuper de nos affaires, de nos affaires personnelles et de nos affaires comme membres de la société dont nous faisons partie. Car la société est faite de sociétaires, et ces sociétaires ne sont pas des êtres fictifs, c'est nous, nous-mêmes. Pour nous occuper de nos affaires, il faut les connaître un peu. C'est le but de ce bulletin. Il n'est écrit ni en grec ni en latin, ni en jargon financier, ni en français "réservé," parce qu'il est fait pour expliquer, pour éclairer, pas pour mystifier ni emberlificoter.

On va parler un peu d'économie politique, mais pour tout le monde, car tout le monde doit en savoir assez pour suivre la chose publique. Et l'on va voir que c'est très simple.

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Êtes-vous membre de la Ligue du Crédit Social ? Enrôlez-vous et grossissez son effectif. (Page 380)

Contribuez à la propagande par la radio. (Page 384)

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