Le droit de tous aux biens de la terre

Louis Even le dimanche, 01 septembre 1957. Dans Crédit Social

Discours de Louis Even au Congrès de Trois-Rivières

Voici des extraits d’un discours de Louis Even donné il y a cinquante-cinq ans, au congrès de Vers Demain à Trois-Rivières, le 1er septembre 1957, alors qu’il commentait le radio-message de Pie XII du 1er juin 1941 sur le droit de tous aux biens de la terre:

Louis Even recevant un portrait de Pie XII
Louis Even (à droite) reçoit un portrait du Pape Pie XII.

Bien chers créditistes,

Si nous voulons embarquer dans une année de réalisations, il faut embarquer dans une année de travail. Pour embarquer dans une année de travail avec ardeur, il ne faut pas perdre de vue l’importance de l’œuvre que nous poursuivons. Nous demandons constamment aux créditistes de faire des efforts, de faire du travail, de faire des sacrifices. Il faut qu’ils soient tous bien convaincus que le Crédit Social c’est une grande chose: on pourrait en parler pendant des journées, parler de différents aspects du Crédit Social.

Cet après-midi je vais surtout essayer de faire ressortir un point du Crédit Social en touchant légèrement les autres en passant.

Restituer la personne dans ses droits

Le Crédit Social c’est la réhabilitation des droits de la personne; c’est restituer la personne dans ses droits. Cela dit beaucoup! Cela dit: il faut donner à chaque personne ce qui est son droit; pas le donner à un groupe, pas à une nation, pas à une classe, pas à un syndicat ouvrier! Le donner à chaque personne! Restituer chaque personne dans ses droits!

La personne, c’est beaucoup! Parce que chaque personne, vous savez, a une destinée à accomplir! Une destinée qui va jusqu’à l’éternité. Mais, pendant qu’elle est sur la terre, il faut qu’elle trouve un climat favorable à l’accomplissement de sa destinée et notre travail à nous, les créditistes, se situe justement dans ce domaine-là! Établir un ordre qui favorise un climat, un ordre politique, économique, social, qui favorise l’épanouissement de la personne humaine et sa marche vers sa destinée propre.

Nous avons tous une destinée éternelle: nous sommes appelés à vivre de la vie divine, par grâce, dans le ciel, toute l’éternité, mais chacun de nous a une vocation, a un épanouissement à faire de sa propre personne. Il faut que le climat le permette! C’est pour cela que, tantôt, nous nous occupons par conséquent du domaine temporel, mais, sans oublier que la personne qui va vivre dans ce domaine temporel est appelée à une destinée éternelle. C’est pour cela que nous ne pouvons pas être de l’école matérialiste, nous ne pouvons pas être de l’école communiste, nous ne pouvons pas être de l’école socialiste qui diminue la personne en faveur du groupe, en faveur de l’État!

Quels sont les droits de la personne? Dans son discours radio-diffusé du 1er juin 1941, le jour de la Pentecôte, le Pape Pie XII trace, justement, les droits de la personne dans ce domaine-là:

«Les biens que Dieu a créés l’ont été pour tous les hommes et doivent être à la disposition de tous, selon les principes de la justice et de la charité.»

Quand on dit «tous» cela n’excepte personne! Et, s’il y a des gens qui ne veulent pas du Crédit Social, qui dit «à tous et à chacun», qu’ils nous donnent leur formule pour atteindre tout le monde!

Les partisans de l’embauchage intégral, en passant, qu’ils nous disent comment ce petit bébé-là va être embauché pour avoir ses droits? Comment le vieillard va être embauché? Comment la femme qui travaille dans la maison à élever ses enfants va être embauchée et faire un salaire?

L’embauchage intégral n’est pas une solution

Vouloir régler le problème social rien que par les salaires, c’est faire fausse route! Le salaire ne peut pas donner des revenus à tout le monde. D’autant plus que le progrès moderne va justement diminuer le besoin de salariés! Et l’autre jour, je lisais une phrase du docteur Monahan, qui est à la tête, aujourd’hui, du secrétariat du Crédit Social, deuxième successeur de Douglas, et il disait: «C’est le conflit entre le progrès et la recherche de l’embauchage intégral, c’est ce conflit-là qui est à la base de l’inflation, aujourd’hui.»

Dès qu’on fait un progrès, pour détacher du besoin de l’emploi, on cherche un autre emploi! À faire des armes, à bâtir des usines, à extraire des minerais dont on n’a pas besoin afin de les occuper. Et tout cela ce n’est pas des choses pour les maisons, il faut qu’elles soient payées dans le prix que l’on paie pour les maisons; c’est à la base de l’inflation. Au lieu de nous donner des loisirs pour nous occuper davantage de notre vie culturelle, et de la préparation de notre vie éternelle, on veut nous embaucher davantage, et vous entendez des gens qui se pensent catholiques, qui nous prêchent le catholicisme, et qui viennent nous dire: «Il faut que l’homme soit embauché tout le temps; il faut qu’il travaille à la sueur de son front, sans cela il ne gagnera pas son pain!»

Je continue la citation du Pape; elle est merveilleuse, vous savez: «Tout homme, en tant qu’être doué de raison» — c’est ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est la raison. Il ne dit même pas en tant que chrétien, il ne dit même pas en tant que catholique, il ne dit même pas en tant qu’appelé à la vie surnaturelle, il dit «en tant qu’être doué de raison»; c’est de l’humanisme cela!

Tout homme, en tant qu’être humain, en tant qu’être doué de raison, pas en tant qu’embauché, en tant qu’être doué de raison; en fait de sa nature même tient le droit fondamental d’user des biens matériels de la terre. Tout homme! Tout homme qui a une âme a la raison, n’est-ce pas? La raison c’est l’âme; c’est ce qui nous distingue de l’animal. Tout homme a un droit fondamental aux biens de la terre, rien que parce qu’il est homme; pas pour d’autres choses! Parce qu’il est homme il a un droit fondamental aux biens de la terre. Quel est mon droit à mon pain quotidien? Mon premier droit c’est que je suis un homme, que je suis né!

Pie XII ajoute après, ce qui n’est pas fait encore: «quoi qu’il soit laissé à la volonté humaine et aux formes juridiques des peuples»; les formes juridiques ce sont les législations; c’est laisser à la volonté humaine, à la communauté, c’est laisser aux législateurs, le soin de régler plus en détail la réalisation pratique de ce droit. Mais jamais il ne leur est laissé de nier ce droit, ni de l’empêcher de l’exercer.

Des législateurs qui ne reconnaissent pas le droit de chaque personne aux biens de la terre, qui mettent des entraves pour que chaque personne puisse les avoir, ces législateurs-là vont contre le droit fondamental de l’homme; ils ne sont pas dignes de leur mission. Ce sont des usurpateurs! Et je voudrais bien voir où est dans notre code de loi nationale, dans notre code de droit provincial, où est l’article de loi qui garantit à chaque être humain, dans notre pays, dans nos provinces catholiques, dans les provinces voisines, où est l’article de loi qui garantit à chaque personne qu’elle pourra exercer son droit fondamental d’user des biens de la terre?

Qu’est-ce qu’un déshérité?

Louis Even et Thérèse Tardif
Au Congrès de 1957, un diplôme est remis à Mme Gilberte Côté-Mercier, co-fondatrice de Vers Demain avec Louis Even, pour ses 25 ans d’apostolat à plein temps. Les deux demoiselles qui l’entourent, Florentine Séguin (à gauche) et Thérèse Tardif (à droite) sont encore à plein temps pour Vers Demain.
 

Le cardinal Léger a fondé à Montréal un hôpital pour les gens qui n’ont pas de place ailleurs, pour les déshérités. C’est une belle œuvre, et il y en a d’autres pour les déshérités. Pourquoi est-ce qu’il y a des déshérités?

Qui est-ce qui s’est permis de les déshériter? Pourquoi les appelle-t-on des «déshérités»? Parce qu’ils ont perdu leur héritage! Quel est leur héritage? Leur héritage, c’est le droit aux biens de la terre que le bon Dieu a créés pour tous les hommes, c’est cela! C’est le premier héritage; et le deuxième héritage ce sont les progrès qui ont été faits dans toutes les générations passées, dont notre génération présente n’est pas la seule qui l’ait fait; ce n’est pas elle qui a inventé tout un tas de choses du passé sur lesquelles on s’est basé pour inventer des choses nouvelles. C’est des choses des autres générations! Et pourquoi y a-t-il un groupe d’hommes sur la terre qui s’empare des bienfaits de toutes les générations et qui ne nous les donne qu’au compte-goutte et avec leurs conditions? Pourquoi? De quel droit s’emparent-t-ils de cela?

Le Pape dit «selon les principes de la justice et de la charité»; il y a une injustice à voler le bien des autres! Il y a une injustice à voler à chacun son droit aux biens de la terre. La charité doit venir après la justice pour combler les petits trous que la justice n’a pas pu combler. Quand tout le monde, par exemple, dans le Crédit Social aurait son revenu par un dividende qui lui donne droit à une part des biens de la terre, il y en aurait quand même quelques uns qui auraient des malchances, des maladies, ou bien leur maison brûle ou bien ils ont un accident, dans ce temps-là, eh bien, il y a besoin de secours pour eux-autres. Là la charité vient pour finir ce que la justice n’a pas pu faire.

Mais des gens qui nous prêchent la charité et qui supportent l’injustice, je ne comprends pas cela!

On nous dit, et c’est vrai, que la charité est une vertu théologale et que dans son ordre elle est plus élevée que la justice, c’est vrai, mais, dans l’ordre de la distribution des biens de la terre, la justice doit venir en premier lieu!

Le Pape dit de ce droit-là aux biens de la terre par tout le monde, que c’est un droit «imprescriptible». Qu’est-ce que cela veut dire «imprescriptible»? Demandez aux avocats, ils savent bien ce que c’est que la «prescription». La «prescription», ça veut dire qu’après un certain temps, après cinq ans pour certaines choses, après un an pour les accidents d’automobile, après trente ans pour les propriétés, etc., après un certain temps, le droit est prescrit; on n’a plus le droit de le faire valoir.

Un droit qui ne peut être effacé

Eh bien, le Pape dit: le droit de chacun aux biens de la terre, lui ne peut pas être prescrit, il ne peut pas être prescrit, c’est-à-dire: il ne peut pas être terminé par des années, il ne peut pas être aboli par des années, il ne peut pas être effacé par des siècles; il ne peut pas être effacé par des lois humaines! S’il y a des lois humaines qui nient ces droits ou nous empêchent de les exercer, elles ne peuvent pas empêcher ce droit d’exister; ce droit existera quand même!

Et c’est cela que nous revendiquons dans le Crédit Social: le droit pour chaque personne de pouvoir s’épanouir. Elle ne le peut pas si, premièrement, elle est prise avec un cœur qui ne peut pas vivre. Saint Vincent de Paul le disait bien: avant de dire à quelqu’un de sauver son âme, de travailler pour son âme, il faut commencer par le mettre dans des conditions matérielles où il peut s’apercevoir qu’il en a une.

Des gens qui sont dans des conditions matérielles assimilables à celles des étables et même moins, ceux-là, comment peut-on bien leur parler de leur âme?

Je sais que dans n’importe quelle prison, dans n’importe quelle misère affreuse, dans n’importe quelle pauvreté, on peut sauver son âme; le bon Dieu donne encore des grâces là aussi, mais c’est plus difficile! C’est plus difficile et le Pape le dit bien: c’est plus difficile de faire leur salut dans ces conditions-là!

Eh bien, on n’a pas le droit de mettre des conditions difficiles aux gens! On n’a pas le droit de les mettre dans ces conditions-là et de dire: «Faites des héros! Sauvez-vous quand même! Tirez-vous en quand même!» On n’a pas le droit de faire cela! Si les conditions viennent, on est obligé de les subir, mais on n’a pas le droit de les accepter! Un chrétien n’a pas le droit d’être résigné au désordre, même quand il le subit!

«Ce droit individuel de chaque personne, dit le Pape encore, ne saurait être supprimé même par l’exercice d’autres droits certains et reconnus sur des biens matériels.» Cela veut dire: Voici une personne qui a un droit certain sur sa maison, un autre sur sa ferme; un autre a des droits certains sur son usine; ce sont des droits certains et des droits reconnus. Ils sont certains, ils sont reconnus, ils peuvent subsister, mais, cela n’empêche pas l’autre droit fondamental, le droit de chaque personne à une part des biens de la terre! Et d’abord, qu’est-ce que nous disons, nous, dans le Crédit Social? Est-ce que nous demandons d’enlever la propriété à celui qui l’a? Pas du tout! Nous ne demandons d’enlever aucune ferme à aucun cultivateur, aucune usine à aucun patron! Mais nous demandons de permettre à chacun, à chaque personne, de se procurer des biens qui sortent de cette usine, qui sortent de cette ferme, et le propriétaire de l’usine et le propriétaire de la ferme seront les premiers contents si leurs produits s’en vont dans les maisons de tout le monde, ils seront les premiers contents!

Le droit de tous à un capital

C’est une formule merveilleuse que le Crédit Social qui respecte la propriété des moyens de production à ceux qui les ont et qui donne quand même à tout le monde un «usufruit» sur ce grand capital que le bon Dieu a créé et que les hommes ont développé. L’«usufruit» ça veut dire: «le droit aux produits». Ils ont le droit, mais pour avoir de l’ordre, on n’a pas le droit de les prendre comme l’on veut, ici et là, il faut présenter, dans notre monde moderne, présenter un droit imprimé ou un droit inscrit sur une feuille de papier qui s’appelle «argent». C’est l’expression du droit. Le droit existe; il est conféré par Dieu à notre nature. Le droit imprimé doit nous être donné en rapport avec ce droit réel qui existe et en rapport avec la capacité de production du pays d’y répondre!

Dans le Crédit Social justement, on fait cette grande distinction, c’est Douglas qui l’a faite pour la première fois, entre le crédit réel d’un pays, le crédit réel d’un pays, c’est tout ce que le pays peut fournir pour répondre aux besoins, et le crédit financier, c’est l’argent pour exprimer ces besoins. Et il dit: «Il faut un rapport d’égalité, un rapport de proportion, un rapport de permanence, de stabilité entre le crédit financier et le crédit réel.»
Le crédit réel est fait par qui? Par qui est faite la capacité de production du pays? Le premier grand facteur, le premier grand agent ou premier grand auteur du crédit réel, c’est le bon Dieu!

S’il n’avait pas fait la terre avec tout ce qu’elle a dessus et dedans, avec les forêts et leur gibier et leurs arbres, avec les rivières et leur eau, avec la mer et avec le soleil qui la pompe et avec les montagnes qui font qu’il y a des chutes d’eau et qu’on peut avoir des forces, avec toutes les forces déjà connues par l’homme, avec toutes les forces inconnues et qu’il a mission de trouver. C’est sa mission: Dieu l’a dit à Adam, même après son péché: «Domine la terre, tu as péché, mais domine la terre, arrange-toi pour la dominer tout de même!» (…)

Les politiciens aiment à chanter la prospérité du pays en calculant des statistiques de production. Ils ne calculent pas les statistiques de souffrance qu’il y a dans les maisons! Il n’y a pas de statisticien pour faire cela! Mais, vous, créditistes, qui faites du porte en porte, vous avez pu voir dans combien de régions, même de notre province de Québec qui est pourtant dite une province riche, dans des districts de l’Ontario, qui est une province riche, dans d’autres districts de toutes les provinces, vous avez pu voir bien des misères, bien des souffrances.

L’humain là? Non, la loi, le règlement! L’humain? Non, la loi n’a pas prévu cela! Il y a des lois pour les droits de l’argent. Si vous ne remplissez pas vos obligations financières, votre créancier vous traduit en cour. Et la cour lui donnera raison; elle saisira vos biens si vous en avez, elle saisira votre salaire si vous en gagnez pour rencontrer les droits de l’argent! Je ne critique pas ces actes-là! Je dis qu’il y a des lois pour protéger les droits de l’argent, mais il n’y en a pas pour protéger les droits de la personne humaine aux biens de la terre, à son bien, il n’y en a pas! Il est temps qu’il y en ait!

Le Pape, qui est le Vicaire de Notre-Seigneur sur la terre, qui est, par conséquent, le premier représentant du Christ, qui est là, à Rome, pour tout l’univers, à la place du Christ qui est rendu invisible sur la terre, mais qui est dans le ciel, le Pape, lui, ne dit pas qu’un pays est prospère quand il y a beaucoup de biens dans le pays. Qu’est-ce qu’il dit, à ce sujet-là? Il dit: « La richesse économique d’un peuple ne consiste pas proprement dans l’abondance des biens mesurés selon un calcul matériel pur et simple de leur valeur », cela vaut tant, cela vaut tant, total tant, donc le pays est riche. Il dit ce n’est pas cela la vraie richesse, « mais bien dans ce qu’une telle abondance représente et fournit réellement et efficacement comme base matérielle pour le développement personnel convenable de ses membres. » La prospérité non distribuée n’est pas une prospérité! C’est la prospérité distribuée qui l’est.

Et j’ai hâte d’entendre les politiciens chanter la prospérité distribuée à chaque personne, à chaque famille! Ça n’est pas fait encore.

Pie XII ajoute: «Si une telle distribution » remarquez bien, le problème de production est réglé, au moins dans nos pays et dans une bonne partie des pays de l’univers!» «Si une telle distribution des biens ne s’est pas réalisée, ou si elle n’était qu’imparfaitement assurée», si elle n’est pas parfaitement assurée, il faut qu’elle soit parfaitement assurée! Si elle n’est qu’imparfaitement assurée, «le vrai but de l’économie nationale ne serait pas atteint.» L’économie nationale doit assurer parfaitement, le mot est là, il faut que soit parfaitement assurée la distribution à chaque personne, ou bien l’économie nationale n’est pas bonne! Le but n’est pas atteint, étant donné, dit-il, que, «quelle que fût l’opulence l’abondance, des biens disponibles, le peuple n’étant pas appelé à y participer, ne serait pas riche mais pauvre.»

Peuple pauvre en face d’une abondance de richesses, on connaît ça! Tant que ça n’est pas distribué le peuple est pauvre et on n’a pas le droit de dire que la prospérité règne! Le pays est riche? Oui! Eh bien, c’est une accusation contre vous, gouvernements, parce que le peuple est pauvre et le pays est riche! Vous êtes coupables!

Louis Even

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