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La Vague Créditiste dans le Québec

Louis Even le jeudi, 01 avril 1937. Dans Cahiers du Crédit Social

Plusieurs s'étonnent de la rapidité avec laquelle le Crédit Social conquiert des adhérents dans toute la province de Québec et dans les centres acadiens ou canadiens-français du Nouveau-Brunswick et de l'Ontario. Comment un peuple à mentalité si traditionaliste embrasse-t-il une doctrine économique aussi nouvelle ? Certains se sont émus — bien inutilement. Un politicien-financier ou financier-politicien de grande réputation mettait en garde, il y a quelques semaines : Défiez-vous de deux choses — la spéculation et le Crédit Social. Un bon conseil pour en faire passer un mauvais ! La spéculation n'est ni sœur ni parente du Crédit Social, elle est fille du crédit bancaire, une tout autre famille dans laquelle brille l'auteur du double conseil. Il nous est agréable d'apprendre que ce contemporain des ammonites a cédé à la bonne inspiration de résigner sa présidence de l'Université de Montréal.

Le Canadien ordinaire n'a ni l'envie ni le moyen de spéculer ; mais il a une terrible envie de vivre décemment et il sait que le moyen existe. C'est pourquoi il accueille chaleureusement la logique du Crédit Social. Qui lui en fera reproche ?

Réjouissant, au contraire, de voir la catholique population de la catholique province de Québec étudier avec une ardeur remarquable des problèmes pour la solution desquels on a eu tort jusqu'ici de se fier aux profiteurs du système et à leurs dociles serviteurs. L'attitude nouvelle prouve que c'est l'ignorance, et non la religion, qui est l'opium des peuples. Un auteur anglais a écrit que la religion est l'anesthésique qui rend la brute patiente. Les créditistes de la province de Québec lui infligent un démenti.

"Si vous jugez que ce système (le Crédit Social) est bon, écrit le R. P. Lévesque, ne craignez pas de soutenir le mouvement qui le prêche. Votre foi ne vous le défend pas. Elle vous serait même reconnaissante de travailler à le christianiser autant que possible. Car il faut enfin faire quelque chose pour sortir de cet état social ridicule qui permet la misère au sein de l'abondance. Il faut enfin venir au secours de tant de frères malheureux."

Le Canadien-français n'est pas un révolutionnaire, mais il a le sens de la justice et en désire le règne même sur la terre. Défricheur ou fils de défricheur,

il s'est souvent demandé pourquoi le sol conquis et fécondé par ses sueurs doit, bon an mal an, payer redevance si lourde à gens qui n'en connaissent pas la couleur. Pourquoi, dans la région la plus riche en forces hydro-électriques, doit-il manger à la lueur d'un fanal, ou dans les ténèbres, les croûtes que lui laissent ceux qui ont hypothéqué sa province ? Le Crédit Social lui apporte le mot de l'énigme. Il sait maintenant quelle est la puissance qui fait la pluie et le beau temps sur ses marchés, ouvre ou ferme ses usines sans égard aux besoins, l'empêche d'élever convenablement ses enfants, condamne ses grands garçons au célibat, ride son front plus que la fatigue, donne teinte de moquerie aux conseils qu'il a toujours reçus avec respect. Cette puissance est diabolique, il la hait et fait bien.

Le Crédit Social lui apporte la solution, il l'accepte parce qu'il a l'esprit droit. Lui-même et chacun de ses enfants héritiers des acquisitions passées et accumulées : est-il rien de plus logique et de plus consolant à la fois dans la province des familles nombreuses ?

Le Canadien-français n'est pas aveugle, non plus. S'il voit d'une part des pauvres dans le besoin, il voit aussi d'autre part d'immenses biens non distribués, la production stupidement arrêtée.

Il ne fait certes pas sa patrie définitive ici-bas. Il sait accepter les épreuves, mais il veut aussi bénir la Providence des richesses dont elle a libéralement gratifié son pays. Il est las d'être refoulé dans un coin de sa propre basse-cour, las d'être la risée de ceux qui le pillent, las de s'entendre prêcher la frugalité par des gens bien nourris, l'économie par ceux qui cueillent ses épargnes pour s'emparer de ses richesses et le mieux asservir.

Nous prions les pontifes de la finance de nous laisser la même latitude que nos chefs spirituels. Au reste, nous nous fichons autant de leurs conseils intéressés qu'ils se fichent des soucis qui rongent leurs frères malheureux. Quand, au cours de sa carrière, un homme accumule une fortune de centaines de mille dollars ou de millions, on avait l'habitude, il y a quelques années, de le proposer comme modèle à la jeunesse. Ces temps-là sont passés. Nous savons distinguer entre fruits du travail et fruits du vol, sous quelque parure que se masque celui-ci.

Que nos parvenus se consolent d'ailleurs. Le Crédit Social n'en veut pas plus que cela à leur magot gagné ou volé ; il leur demande seulement de lâcher les rênes et de permettre à tous les fils et filles du Canada de se partager l'abondance qui s'étale devant eux, réclamant des consommateurs.

Louis Even

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