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La Monnaie

le dimanche, 01 mai 1938. Dans Cahiers du Crédit Social

Nous avons dit que la monnaie est la licence pour vivre ; celui qui n'a pas de monnaie ne peut pas se procurer grand'chose dans le monde moderne.

Nous avons dit aussi que tout le monde a droit au nécessaire, par conséquent que chaque citoyen devrait recevoir régulièrement assez de monnaie pour se procurer au moins le nécessaire.

Nous avons dit encore que, lorsque l'ensemble des consommateurs n'a pas assez de monnaie pour acheter l'ensemble des produits, le bon sens même commande de mettre entre les mains des consommateurs la monnaie qui manque, au lieu de se lamenter et de s'agiter comme des fous en blâmant tout excepté ce qui est mauvais.

Mais tout cela demande que l'on puisse contrôler le volume de la monnaie, que l'on puisse fabriquer de la monnaie quand c'est nécessaire et la placer où il est nécessaire.

Cela est-il possible ? Peut-on fabriquer de la monnaie ? ─ Évidemment oui, puisqu'il s'en fabrique tous les jours. Le mal est que ceux qui détiennent le privilège de la fabrication ne s'en servent que pour leur profit, et que toute la monnaie qu'ils fabriquent représente une dette pour les particuliers et pour la collectivité.

Erreur commune

Vous avez peut-être cru longtemps, peut-être croyez-vous encore que la monnaie n'est fabriquée que dans l'Hôtel des Monnaies, dans ce que les Anglais appellent la "Royal Mint", sous la surveillance et selon la volonté du gouvernement souverain. Si vous en êtes là, votre information est très incomplète, ce qui est bien excusable d'ailleurs, parce que notre génération a progressé dans la vie au milieu d'une remarquable ignorance de l'économie la plus élémentaire, omettant de ses programmes ordinaires l'étude d'une question d'importance vitale qui ne devrait céder le pas qu'à l'étude de la religion.

Si c'était le gouvernement qui fabriquait la monnaie, il ne serait pas toujours arrêté dans des projets pour lesquels il ne manque ni d'hommes, ni de machines, ni de matériaux. Il est toujours à court d'argent.

Le ministre des Finances nous a dit, il y a quelques mois, que le gouvernement canadien n'a pas frappé de pièces de monnaie depuis cinq ans. Or la monnaie en circulation dans le pays, qui avait diminué d'un gros tiers de 1929 à 1933, a réaugmenté d'un tiers de 1933 à 1938. Le fabricant et le destructeur de monnaie, ce n'est pas le gouvernement. Ce sont des particuliers au pied desquels rampe le gouvernement.

Qu'est-ce que la monnaie ? Qu'est-ce donc que la monnaie ? Les manuels en donnent plusieurs définitions plus ou moins justes, plus ou moins complètes, mais en voici une tout à fait orthodoxe et qu'il est difficile de trouver en défaut :

"La monnaie est toute chose, quelle que soit sa nature ou quelle que soit la raison pour laquelle on l'accepte, que personne ne refuse en échange des biens qu'il désire vendre."

Pour vérifier la justesse de cette définition, il n'est que de regarder comment elle s'applique aux faits. Monsieur Dubois vend du charbon à $15.00 la tonne. Il désire vendre son charbon, et il en livrera volontiers une tonne en échange de $15.00, quelle que soit la nature de cette monnaie : Il acceptera avec la même bonne grâce trois pièces d'or de $5.00, ou bien quinze billets de banque d'un dollar, ou bien trente pièces de 50 sous en argent, ou bien un chèque valable fait par l'acheteur sur sa propre banque au montant de $15.00.

Il accepte ces monnaies de nature très différente — monnaie métallique jaune ou blanche, monnaie de papier, ou simple transfert de chiffres dans un livre de banque parce qu'il sait que l'une ou l'autre lui permettra à son tour l'accès à des produits ou à des services de toutes sortes immédiatement ou plus tard. Il ne s'inquiète ni de quoi cette monnaie est faite ni de la raison pour laquelle le public l'accepte. Il sait seulement qu'elle va être reçue de tout le monde et il fait de même.

Lorsque la monnaie consistait en disques de cuir étampés chez les peuples pasteurs, en coquillages chez les tribus africaines ou australiennes, en métal plus ou moins précieux dans les civilisations grecques, juives ou romaines, en tabac ou en peaux de castor chez les pionniers qui ont ouvert notre pays à la civilisation, elle opérait également, personne ne la refusait en échange des biens qu'il désirait vendre.

D'où la monnaie tire-t-elle sa valeur ?

D'où la monnaie, comme telle, tire-t-elle donc sa valeur ? Elle tire sa valeur des produits auxquels elle donne droit, grâce à l'existence de ces produits et grâce à l'acceptation par le public de l'instrument monétaire.

S'il n'y a dans un pays ni charbon, ni bois, et qu'il est impossible d'en importer de l'étranger, un consommateur de ce pays ne pourra acheter ni bois ni charbon, eût-il de l'or plein son porte-monnaie. Sa monnaie pourra lui valoir d'autres produits, mais certainement pas du bois ou du charbon.

Si ce pays est privé non seulement de bois et de charbon, mais de tout bien de consommation, l'homme n'y sera pas longtemps consommateur, même s'il est largement muni d'argent ou d'or. Il languira et mourra sur son métal.

La monnaie n'a de valeur qu'en autant que l'agriculture ou l'industrie est capable de fournir les produits. La base de la valeur de la monnaie n'est donc pas la quantité d'or ou d'argent logée dans les voûtes des banques ou des gouvernements, mais bien la capacité de la machine productrice à fournir les biens.

L'idole jaune

La nécessité de l'or comme base monétaire est un mythe, une fausseté soigneusement entretenue par ceux qui, contrôlant l'or, veulent contrôler la richesse du monde. L'acceptation de cette théorie par le public constitue l'idolâtrie la plus asservissante, fruit d'une ignorance qu'il est plus que temps de dissiper.

L'or n'est nullement nécessaire pour que le cultivateur puisse produire du blé. Le monde serait bien à plaindre si sa production et la jouissance de sa production devaient être mesurées par le régime auquel l'or est cédé par les entrailles de la terre.

L'or a bien ses défenseurs, même chez des professeurs d'économie dont le seul nom en impose à tel point de faire accepter des fossiles pour des animaux domestiques. Il est bon, vous diront-ils, que la monnaie soit rare, parce que c'est sa rareté qui fait sa valeur. Si elle est tellement rare que vous n'en pouvez avoir, de quelle valeur sera-t-elle pour vous ? Avec une monnaie rare, l'unité monétaire peut commander plus de produits, mais le consommateur dépourvu de monnaie restera le nez dans la vitrine, la faim dans l'estomac et le bouillonnement de l'exaspération dans la tête.

On veut nous maintenir "sous le signe de l'or” pour mieux ignorer le signe de l'abondance.

La monnaie saine n'est pas celle qui s'accroche à l'or à l'argent, ou au bon vouloir de bandits en redingote. La monnaie saine, c'est celle qui fait passer les produits du producteur au consommateur. La monnaie saine, c'est celle qui fonctionne. Si la monnaie fonctionne depuis huit ans, nous attendons encore qu'on nous le démontre. Quel que soit le prestige de ceux qui veulent nous berner avec des théories désuètes, nous croyons que le règne des fétiches a trop duré.

Monnaie de métal, Monnaie de papier, Monnaie de chiffres

Dans nos petits achats et ventes de tous les jours, nous nous servons de monnaie de nickel et d'argent et de billets de banque. À cause de cela, nous sommes trop portés à croire que la monnaie du pays est surtout de la monnaie de métal et de la monnaie de papier. C'est une erreur.

La monnaie de métal et la monnaie de papier forment surtout la monnaie de poche, la monnaie de change, aussi la seule monnaie du pauvre. C'est la monnaie palpable, visible qu'on appelle le numéraire. Mais, de beaucoup la plus grande partie de la circulation monétaire, le gros volume des transactions commerciales ne met en mouvement que des chiffres qui sont déplacés dans les comptes des banquiers. La monnaie de chèque a pris la place prépondérante dans notre commerce moderne, et les banquiers s'en félicitent (Rapport 1928)...ça se comprend !

Plus de 95 pour cent du commerce se fait avec cette monnaie de simples chiffres. D'ailleurs, pour 250 millions de monnaie en métal ou en papier, il y a plus de 2,550 millions de dépôts dans les banques que le chèque déplace d'un compte à l'autre, remplissant exactement le même rôle que la monnaie visible.

 Comment se fait-il qu'avec 250 millions, on puisse faire des comptes de banques de 2550 millions ? Question intéressante, qui va nous transporter à la fabrique de la monnaie et cette visite va illuminer toute notre étude.

D'où vient la monnaie ?

Gardons-nous bien, malgré toute la propagande des banquiers, de croire que les 2,550 millions représentent les dépôts des épargnants. Les dépôts des épargnants sont là, mais il y a bien autre chose. Il y a les prêts faits par les banques et qui sont de pures créations de monnaie par elles. Elles les inscrivent comme dépôts au nom de ceux à qui elles prêtent, parce que l'emprunteur n'emporte pas ─ pour cause — la monnaie avec lui. Mais ce sont des créations pures et simples de monnaie, monnaie que la banque détruira d'ailleurs à mesure que l'emprunteur remboursera.

Si, par exemple, M. Lamarche demande à la banque un prêt de $10,000.00 pour financer une entreprise ou le développement de son entreprise, la banque, après s'être convaincue que M. Lamarche est capable de réussir, de vendre ses produits et de rembourser le prêt, consentira celui-ci, moyennant toutefois de bonnes garanties, des biens gagés dont elle saisira la propriété s'il ne peut effectivement rembourser. Comment fera-t-elle le prêt ? Simplement en inscrivant $10,000.00 moins l'intérêt qu'elle retient (peut-être $500.00) au crédit de M. Lamarche. Ces $9,500.00 sont un dépôt au nom de M. Lamarche. Dépôt fait par qui ? Par un épargnant ? Pas du tout, mais par la banque elle-même. La banque fait de ces dépôts tous les jours.

Suivons l'histoire. Qu'arrive-t-il de ces $9,500.00 ? Monsieur Lamarche achète des machines, paie leur transport et leur installation, paie ses employés, en tirant des chèques sur son dépôts de $9,500.00. Il met donc en circulation les $9,500.00 que le banquier a fabriqués pour lui en écrivant $9,500.00 dans son livre au crédit de M. Lamarche. Ce dépôt fait par la banque, avec une plume et une goutte d'encre, a donc mis au monde $9,500.00 de monnaie.

Voilà une fabrique de monnaie qui n'est pas trop coûteuse et qui ne demande pas beaucoup d'effort à mettre en rendement.

Remarquez bien ceci : lorsque le banquier a inscrit ce dépôt de $9,500.00, aucun autre dépôt n'a diminué. Les chèques sur les autres dépôts peuvent continuer comme auparavant ; il y a simplement une base à chèques augmentée de $9,500.00. Si le total des dépôts dans les banques du Canada était auparavant, disons, de $2,517,760,400.00, la minute après l'octroi du prêt, ce total est passé à $2,517,769,900.00. Tout prêt bancaire est une augmentation de la somme des dépôts, une augmentation de la monnaie disponible.

Sur quoi est basée cette monnaie ? Sur de l'or ? Allons donc, pas une once d'or de plus n'a été nécessaire. Le banquier n'attend pas qu'il soit sorti de l'or de la terre et ne s'en occupe pas. Il considère simplement le cas. Comme tout prêteur, il veut être moralement assuré que l'emprunteur pourra le rembourser. Mais à la différence des autres prêteurs, il ne prête pas de l'argent qu'il a, il crée l'argent qu'il prête.

Sur quoi donc en définitive est basée cette monnaie ? Sur la capacité de l'emprunteur à pouvoir rembourser, c'est-à-dire, sur la capacité de l'emprunteur à produire des biens vendables, des biens qui répondront aux désirs de consommateurs. Sans la capacité de production et sans l'existence de consommateurs pour absorber la production, cette monnaie ne viendrait pas en existence.

Qui donc donne à la monnaie sa véritable valeur : le banquier qui la fait par une simple écriture, ou le producteur qui travaille et le consommateur qui utilise ?

Qui peine ?

Continuons d'étudier le cas de M. Lamarche. M. Lamarche a reçu du banquier la permission de mettre en œuvre sa capacité potentielle de production. Il a reçu, basé sur son propre crédit réel, un crédit financier de $9,500.00. Mais, pour payer l'autorisation du banquier et le coup de plume de celui-ci, M. Lamarche devra réussir, par son initiative, son savoir-faire, son organisation, son travail et celui de son personnel, à retirer de la circulation et à rapporter au banquier, non seulement les $9,500.00 qui ont été distribués par son entremise, mais $10,000,00 bien comptés.

Les autres emprunteurs sont dans le même cas. La banque exige, en retour de ses prêts qui mettent la monnaie au monde, plus que cette monnaie. Il est vrai que la banque met en circulation, de son côté, une partie de ces intérêts en payant ses employés et en versant des taxes au gouvernement. Mais pas autant qu'elle réclame, car il y a la part qui viendra grossir la réserve, ou profits non distribués, et la part à des actionnaires capitalistes qui ne sera pas mise en circulation, à moins que ce ne soit sous forme de nouveaux prêts commandant les mêmes retours grossis.

Voilà une des raisons pour lesquelles la capacité d'achat des consommateurs est si inférieure aux prix des produits.

Si au lieu d'un Monsieur Lamarche, c'est un gouvernement qui emprunte, l'histoire est semblable : ce sont alors les contribuables directs ou indirects, donc tous les citoyens, qui peinent.

Source de dettes

Le fait que la somme de la monnaie créée par les prêts bancaires est toute vouée à revenir aux banques avec quelque chose en plus, oblige quelqu'un, quelque part, à s'endetter par de nouveaux emprunts, pour que puisse être extrait du public ce surplus qui n'y a pas été mis par les prêts précédents. Ainsi s'explique le paradoxe de deux progrès parallèles : d'une part, le progrès du développement et de la capacité de production du pays ; d'autre part, le progrès des dettes fédérales, provinciales, municipales, industrielles.

Toute monnaie venant au monde à l'état de dette envers le fabricant de monnaie, on ne peut faire autrement que naître sous un régime de dettes, vivre sous un régime de dettes et mourir sous un régime de dettes.

S'il fallait acquitter toutes ces dettes, la monnaie entière du pays n'y suffirait pas. On n'y trouve qu’un dollar de monnaie contre cinq de dettes. La dette représente la permission de vivre que nous donne le fabricant de monnaie.

Dictature bancaire

La banque contrôle ainsi le volume des 11/12 de la monnaie de notre pays. Le crédit, qui constitue ces 11/12, coule dans deux directions : un flot de crédit sortant de la banque et un flot de crédit rentrant à la banque. Par ce flot de crédit rentrant, n'allons pas, encore une fois, entendre les dépôts des épargnants. Le flot de crédit rentrant, ce sont les remboursements. La banque fabrique $9,500.00 de monnaie de chiffres pour M. Lamarche : flot de crédit sortant. M. Lamarche tire du public et ramène à la banque $10,000.00 : flot de crédit rentrant.

Si la banque est généreuse dans ses octrois de crédit, n'y mettant pas des conditions trop difficiles, et si elle est patiente pour les remboursements, le flot de crédit sortant étant bien alimenté et le flot de crédit rentrant pas trop épuisant, il y a du sang dans les artères et les veines de l'industrie, on ne se plaint pas trop. Mais sitôt que les banques deviennent difficiles pour les avances de crédit et exigeantes pour les remboursements, le flot de crédit rentrant dépasse de beaucoup le flot de crédit sortant et la vie industrielle souffre ; bientôt tout languit.

Dans l'un et l'autre cas, le corps social dépend, pour sa santé, de l'action des contrôleurs du crédit. N'en attendons pas une technique sanitaire, leur seul mobile est le profit qu'ils en retirent.

Cette dépendance absolue de la bancocratie est la forme moderne d'esclavage du monde civilisé. L'industrie, le travail, les gouvernements mendient des maîtres de la monnaie le droit de vivre, la permission de respirer. Le maître tient une plume. L'esclave travaille, se démène, se creuse les méninges, sue, se prive, souffre, s'envenime, attaque son frère, promène la mort, pour satisfaire la plume du maître.

Comprenez-vous maintenant pourquoi l'on parle de dictature financière ? Cette dictature opère dans tous les pays civilisés. La compression du crédit, la diminution de monnaie en 1930 a été universelle, comme elle l'avait été en 1920.

Le Pape n’a certainement pas forcé la note quand il a écrit que "sans leur permission nul ne peut respirer.”

Contrôle inacceptable

Est-ce à dire que nous blâmons la monnaie de chèque, la monnaie d'écriture et que nous réclamons la fermeture des banques ? Pas du tout. C'est le contrôle que nous blâmons, non pas le mode de fabrication de la monnaie moderne. La machine est admirable à cause de sa souplesse, mais c'est contre le bien du corps social d'en abandonner le contrôle à des particuliers, parce que c'est le profit de ces particuliers qui règle l'usage de la machine. C'est aussi contre la logique autant que contre le bien commun que toute monnaie naisse à l'état de dette. C'est enfin incompatible avec un régime de progrès et de production abondante et facile que la monnaie ne naisse que du côté producteur.

La société produit les biens et leur donne de la valeur ; mais c'est le banquier qui produit, détruit, accorde, refuse, augmente, diminue la monnaie nécessaire à l'écoulement de ces biens. La production est le fruit du travail orienté par les besoins des consommateurs ; la monnaie est le fruit de la plume du banquier, guidée par le profit personnel de celui qui la tient. Aussi la première réforme à faire dans le système monétaire, c'est de changer le contrôle, d'enlever au banquier, non pas le droit de faire des opérations bancaires, mais celui de contrôler le volume de la monnaie.

Il y aurait une multitude d'autres considérations à faire. Mais cet article est déjà d'une longueur décourageante surtout pour des lecteurs novices dans ce domaine. Nous allons les reposer par une parabole qui va peut-être leur faire mieux que tout le reste comprendre ce qu'est la monnaie, ce qu'est la dictature monétaire et comment on entretient la servitude.

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