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Héritage

Louis Even le vendredi, 01 janvier 1937. Dans Cahiers du Crédit Social

"Je demande à ce que chaque homme et chaque femme reçoive sa part du grand héritage de richesse et de biens qui lui revient par droit de naissance."

C'est en ces mots que le Dean de Canterbury parlant devant un nombreux auditoire, à Southampton, le 1er décembre dernier, réclamait la distribution d'un dividende national à tous les citoyens de son pays. Le citoyen a droit à son dividende au même titre que l'héritier à son héritage.

Mais héritage y a-t-il et qui sont les héritiers ? Deux points, deux articles — celui-ci et le suivant.

On nous a assez bien appris, par parole et par "taxes," que les Canadiens d'aujourd'hui doivent payer les dettes de ceux qui les ont précédés. Champlain et les vaillants qui plantèrent la croix, la charrue et la civilisation dans les forêts du Canada ; après eux, leurs successeurs de trois siècles qui ont amélioré l'agriculture, fait surgir des villes et des industries — toute cette lignée de travailleurs, paraît-il, n'a laissé aux Canadiens du deuxième quart du vingtième siècle qu'un héritage de dettes ? Et dans vingt-cinq autres années, que sera cette dette dont nous ne pouvons même pas payer les intérêts aujourd'hui ?

Un défricheur courageux s'en va ouvrir une terre neuve. Sa tâche est de changer en ferme productive un fouillis de bouleau et d'autres pauvres essences, car le beau bois est depuis longtemps parti, soit brûlé par l'incendie, soit enlevé par les exploitants de nos richesses naturelles. Cet homme, sa femme et ses mioches vont peiner trente, quarante ans, avec bien des chances de laisser au plus vieux des gars une ferme hypothéquée, aux autres rien que le souvenir de leurs vertus. De nos bois, de nos terres, de nos usines semble sortir une voix qui parodie : "Tu feras des dettes à la sueur de ton front.”

Un enfant vient de naître ; le baptême ne l'a pas encore fait fils de l'Église qu'il est déjà débiteur. Des dettes fédérales, provinciales, municipales, scolaires, de fabrique, remplissent l'atmosphère autour de son berceau. Il est né dans la dette. Il grandira dans la dette. Il travaillera — s'il en a la chance — pour payer des dettes accumulées, tout en grignotant quelques miettes qui soutiennent son pouvoir de gain et l'empêchent de se révolter tout à fait, jusqu'à ce qu'il meure dans la dette.

Et vous parlez d'héritage ! Mais en voilà un fameux héritage !

C'est qu'en effet, sous le système illogique d'aujourd'hui, plus un pays acquiert d'actif, plus il augmente sa dette "financière." Le travailleur crée de la richesse, le parasite gère la finance. Et comme, malgré toutes les professions de foi contraires, on place la finance au-dessus de l'homme, le parasite est maître, le travailleur esclave. Dites au travailleur qu'il est héritier, le parasite lui fera dire que vous êtes un utopiste, un semeur de désordre, un destructeur du moral.

Un système qui existe pour le profit de quelques-uns et l'asservissement des peuples ne veut pas admettre l'héritage réel, le grand actif légué à une génération par toutes celles qui les ont précédées.

Cet héritage n'en est pas moins là, en partie confisqué par le groupe des profiteurs et en partie inerte. Expliquons.

Sous le mot héritage, le Larousse illustré du XXe siècle donne cet exemple : La science et l'industrie sont l'héritage intellectuel des générations.

La science appliquée a fait des progrès énormes, surtout depuis un siècle et demi. L'homme avait dès longtemps appris à multiplier, par les machines simples, la force de ses muscles et celle des animaux ; il utilisait aussi quelques forces inanimées, comme celles du vent et de l'eau. Mais depuis qu'il sait exploiter l'énergie solaire fossilisée sous forme de charbon ou de pétroles ; depuis qu'il distribue à des centaines de milles, par de simples fils métalliques, la force tombante des masses d'eau ; depuis que la chimie est passée du laboratoire dans l'industrie, les progrès ne se mesurent plus, le problème de la production est résolu.

Pendant ce temps, nos manuels ont continué de nous dire que trois facteurs contribuent à la production industrielle : le capital, le travail et la matière première. Ils n'ont pas encore appris à mentionner le quatrième facteur qui occupe pourtant une place de plus en plus importante et que les Créditistes appellent l'héritage culturel.

"Ce terme, dit un auteur, comprend le vaste héritage des découvertes et des inventions, de la culture et du savoir, de l'organisation tant sociale que politique ou industrielle, de l'éducation, des aspirations, des idéals transmis et développés de génération en génération... Collectivement, cet actif forme l'héritage culturel commun de l'humanité."

On a dit maintes fois que le capital et le travail doivent se donner la main, car le travail sans le capital ne peut pas grand'chose, et le capital sans le travail ne peut absolument rien. Mais que peuvent même les deux ensemble si vous excluez l'héritage culturel, les apports des inventions et du progrès à travers les âges ?

Comparez la production possible de dix hommes bien musclés d'il y a trois siècles avec la production possible de dix hommes du vingtième siècle servis par la force motrice, les machines et la chimie.

Le quatrième facteur tend à déplacer les autres. Grâce à lui, avec moins de matière première, moins de travail et pas plus de capital, les produits augmentent et s'améliorent. La machine, servante de l'homme, travaille à la place de son maître... et voici que le maître souffre de misère et de pauvreté à côté des montagnes de production de la machine. Pourquoi ? C'est que, si le capital, le travail et le propriétaire de la matière première reçoivent leur récompense, le propriétaire de l'actif culturel est méconnu. La production, fruit de quatre facteurs ne distribue pas de pouvoir d'achat au fournisseur du quatrième facteur. L'héritage produit des richesses sans produire de pouvoir d'achat correspondant, car on ignore les héritiers et l'on fait tout pour qu'eux-mêmes ignorent leur héritage.

Louis Even

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