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Crédit

Louis Even le dimanche, 01 novembre 1936. Dans Cahiers du Crédit Social

Crédit bancaire -- Crédit social

Un éminent économiste de France est venu donner une série de conférences à l'École des Hautes-Études de Montréal. Il y a traité des “illusions du crédit,” des "méfaits du crédit." Mais il y a aussi les avantages du crédit, et M. Beaudin les a reconnus.

Quoi qu'il en soit, le crédit occupe aujourd'hui une place de commande dans le système économique et il continuera. Le conférencier expliquait aussi, dans une autre occasion que le numéraire, l'or même, est du crédit, car dépouillé de son titre monétaire, il perdrait immensément de sa valeur, comme il est arrivé au métal argent. Le mot crédit, en effet, vient de credere, qui implique la confiance.

Un homme complètement isolé de la société, tel Robinson dans son île, n'a pas besoin de crédit. Mais dès qu'ils sont deux, l'un construisant, l'autre cultivant, par exemple, il faut qu'il aient confiance l'un dans l'autre. Le charpentier va bâtir la maison et compter que l'autre lui passera une partie de ses récoltes.

Plus la société se développe, plus vaste devient le champ du crédit. Mais s'entend-on bien sur la nature du crédit ?

Crédit réel et crédit financier Douglas distingue entre le crédit réel et le crédit financier. Les ennemis du Crédit Social, qui la plupart du temps ne le connaissent qu'insuffisamment, que mal ou pas du tout, lui reprochent de confondre la richesse avec la monnaie, de prendre la monnaie pour de la richesse. Ils écrivent souvent, consciemment ou inconsciemment, sous l'inspiration de l'école bancaire qui, sans confondre richesse et monnaie, sait tout de même bien que le contrôle de la monnaie entraîne le contrôle de la richesse.

Mais le Crédit Social distingue parfaitement entre richesse et monnaie, comme il distingue entre crédit réel et crédit financier.

Le Crédit réel, disent les Douglassistes, est la capacité de fournir une richesse réelle dans un temps déterminé.

Je m'en voudrais d'introduire dans ces Cahiers des termes inintelligibles pour le grand nombre, mais il faut tout de même bien expliquer et, d'ailleurs, on se familiarise vite, moyennant un peu d'attention.

Qu'est-ce que la richesse réelle ? Ce sont les biens utiles, les biens qui peuvent satisfaire des besoins, ceux qui trouvent des aspirants. Prenez une tonne de charbon et une "fournaise" à Montréal, en hiver : voilà une richesse réelle. Supposez-les dans le désert brûlant du Sahara : qu'en donnerez-vous ?

Eh bien, la capacité de produire la richesse réelle, les biens qui trouvent consommateur, est la base du crédit réel.

Un agriculteur possède une terre et des instruments aratoires. Il est laborieux et intelligent. Lorsqu'il vous dit qu'il peut obtenir de sa ferme un rendement, une production de richesse réelle, vous le croyez. Son crédit réel est bon. Il est capable, si vous le voulez, de vous fournir, à la saison des récoltes, tant de boisseaux de blé, ou de tonnes de foin, ou de caisses de tomates.

Si, cependant, ce même homme veut emprunter de l'argent et fait valoir ses capacités productives, on ne lui demandera pas s'il peut fournir du blé, du foin ou des tomates, mais s'il peut, à telle époque, fournir telle somme d'argent. Cela, c'est du crédit financier.

Douglas définit le crédit financier : l'aptitude à fournir une somme de monnaie déterminée dans des circonstances déterminées.

Lors donc que Bennett et d'autres nous disent que les expériences d’Aberhart, les déclarations de McGeer ou les actes administratifs de Hepburn vont perdre le crédit du Canada à Londres, à New-York et ailleurs, c'est évidemment du crédit financier qu'ils parlent. Peuvent-ils envisager autre chose ? Ils veulent dire que sur ces marchés de l'argent, on va perdre confiance dans la capacité du Canada à rembourser telle somme à telle date et à tel intérêt.

Mais le crédit réel du Canada ne se perd pas si vite, ni de cette manière. Aberhart n'est pas capable de perdre le crédit réel de l'Alberta ; il ne peut pas rendre la terre de l'Alberta improductive ; il n'en peut détruire les richesses minières ou autres. Je ne vois pas bien non plus comment il en peut abaisser la valeur humaine. Bien au contraire, les réformateurs qui cherchent à placer l'homme au-dessus de l'argent, le travail au-dessus du contrôle de profiteurs, augmentent le crédit réel de leur pays.

Et c'est ce crédit réel qui devrait commander le crédit financier, si la finance était au service de la société. C'est parce qu'elle en est devenue la maîtresse que le contraire a lieu.

Cet agriculteur qui peut vous livrer du blé, du foin, des tomates, vous rembourserait aussi bien votre argent, si à sa production de richesse réelle correspondait une production de pouvoir d'achat chez les consommateurs. Il cultiverait ce que les consommateurs désirent et ceux-ci l'achèteraient parce qu'ils le désirent et qu'ils en auraient les moyens.

Mais il n'en va pas ainsi dans notre système actuel. Le cultivateur limite sa production parce qu'il n'y a pas de monnaie dans la poche du consommateur, et ce cultivateur doit se priver de choses qu'il ne produit pas, il doit même voir ses propriétés passer aux mains des prêteurs d'argent. Et l'ouvrier des villes ne produit pas de chaussures, de vêtements, d'articles manufacturés pour le cultivateur, parce que le cultivateur, si habile soit-il à tirer de la richesse du sol, n'a pas d'argent pour payer les articles manufacturés.

C'est que la création de richesse est l'œuvre de toutes les classes qui travaillent, mais la création de monnaie est le privilège d'une poignée de profiteurs.

Crédit Bancaire

Comme on l'a écrit dans le premier numéro des Cahiers (octobre), les banques émettent de la monnaie scripturale : inscriptions de crédits au compte d'emprunteurs, découverts (overdrafts) à des industriels, escomptes de billets commerciaux. Cette monnaie, qui n'est ni du métal, ni du papier, mais une simple inscription de chiffres dans des livres, circule au même titre que l'autre, paie les achats, les salaires, exactement de la même façon. La monnaie scripturale, cependant, n'a pas la même durée de vie que la monnaie métallique ; elle naît et meurt dans les banques. Le prêt la fait naître, le remboursement la détruit. C'est pourquoi certains auteurs refusent de l'appeler monnaie : ce sont de simples avances, disent-ils, des crédits, un escompte sur la production future. Il reste que la monnaie scripturale opère aussi efficacement que l'autre pendant qu'elle est en circulation, et, de plus, cette monnaie scripturale est responsable aujourd'hui de plus de 90 pour cent des transactions commerciales.

C'est là un point important. Il n'en était pas ainsi il y a soixante ans. Mais nous vivons aujourd'hui surtout du crédit bancaire, nous dépendons du crédit bancaire. L'abondance ou la pénurie de ce crédit bancaire, des 90 pour cent de notre circulation monétaire, dépend du rythme des avances et du rythme des rappels. C'est ce qui nous place à la merci du système bancaire privé.

La richesse (produits et services) est le fruit des efforts des travailleurs-travailleurs manuels ou travailleurs intellectuels. Mais la monnaie nécessaire à l'écoulement de cette richesse est contrôlée par le petit groupe qui contrôle les banques. C'est une anomalie.

Crédit Social

Puisque c'est la société des travailleurs qui produit la richesse, pourquoi la monnaie qui exprime cette richesse et permet son écoulement n'est-elle pas sous le contrôle de cette même société ? C'est pourquoi, au lieu du crédit des banques, du crédit bancaire, nous réclamons le crédit de la société, le crédit social.

Comme le définit simplement l'honorable Robert L. Owen, un expert non surpassé en questions monétaires et en finances publiques, le Crédit Social est le crédit possédé, exercé et contrôlé par la société. Par la société, remarquez bien. Pas par le gouvernement, encore moins par un groupe privé. Même si le gouvernement, ou la commission nommée par lui, doit proclamer de la monnaie nouvelle, ou le rappel de monnaie en cours, sa décision doit être subordonnée aux faits de la production et de la consommation.

C'est vous, c'est moi qui produisons la richesse ; c'est vous, c'est moi qui devons contrôler la monnaie, justement par cette richesse. Si notre travail produit beaucoup de richesse réelle, beaucoup de bien cherchés par la consommation, on devra avoir beaucoup de monnaie pour permettre son écoulement. La production totale du pays doit régler automatiquement la quantité de monnaie. Le crédit financier doit être soumis au crédit réel et en être l'expression exacte.

Voit-on la différence entre la nature du crédit bancaire et celle du crédit social ?

Avec le régime du crédit bancaire, le travail dépend continuellement de l'approvisionnement de monnaie par un groupe qui en contrôle l'émission et la destruction.

Avec un régime de crédit social, le travail lui-même, par ses résultats, règle l'approvisionnement de monnaie.

Dans l'ordre des choses, le crédit social a précédé le crédit bancaire. Tout crédit suppose non seulement un travail productif, mais aussi un groupement, une société. Le crédit bancaire est une spoliation, une mainmise sur le crédit social, sur le crédit créé par la société qui travaille.

Il y a là une grande correction à faire. Mais pour forcer le changement, il faut commencer par éclairer et convaincre l'opinion. C'est le but de ces Cahiers. Le régime bancaire a faussé les idées, créé une mentalité mauvaise. On en est venu à considérer la monnaie comme une chose nécessairement rare, dont la quantité dans l'univers dépend moins des hommes que la production des denrées ou des services. L'homme lutte contre l'homme pour se disputer le moyen d'échange : c'est la concurrence sauvage où le triomphateur est ordinairement celui qui est "le moins retenu par des scrupules de conscience."

Que d'articles, de livres mêmes, n'a-t-on pas dédiés à exalter les gestes de ces triomphateurs ! On est allé jusqu'à les présenter comme modèles à la jeunesse. Quant à l'humble travailleur qui peine toute sa vie pour nourrir sa famille et engraisser ces parasites encensés, qui le regarde ? S'il n'y a pas le succès financier pour auréoler ce front ridé, il passe inaperçu, méprisé même. C'est peut-être un défricheur qui a passé sa vie à transformer un bois de sicots brûlés en terre productive : n'importe, cette ferme est hypothéquée, la carrière de cet homme est un fiasco !

Un régime de Crédit Social développerait et développera, car nous l'aurons-un tout autre esprit, un esprit social. Le travailleur saura que, tout en contribuant à son enrichissement personnel, il contribuera au bien-être de ses concitoyens, car l'augmentation de richesse du pays se traduira

par une augmentation de monnaie et toute monnaie nouvelle sera répartie entre la masse des consommateurs. Il aura pour lui-même, mieux qu'aujourd'hui, son salaire ou le revenu de ses ventes, mais toute la population profitera aussi du dividende provenant de l'augmentation du crédit national due à l'œuvre de ce travailleur.

Voilà un aspect nouveau qui peut faire sourire les tenants du régime qui agonise, victime de ses propres excès. Mais quand on aura appris à placer les intérêts des hommes, des femmes et des enfants au-dessus des intérêts des créateurs-prêteurs d'argent, on s'éclairera d'un autre fanal.

Louis Even

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